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Mort de l’abbé Pierre : L’arrêt d’un grand cœur

Publié le mardi 23 janvier 2007 à 07h46min

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On le savait déjà fatigué, l’Abbé Pierre. Fatigué par les outrages du temps, par toute une vie dédiée au combat au profit de son prochain, par sa révolte contre l’injustice en ce bas monde.

Il s’en est allé. Hier lundi au petit matin à l’Hôpital du Val-de-Grâce à Paris. Il y était admis pour "une petite infection pulmonaire", une bronchite en fait. Cet émissaire des plus pauvres auprès des puissants, nous avons eu l’insigne honneur de lui serrer la main. C’était le 4 juillet 2002 au siège d’Emmaüs à Ouagadougou, lors d’une interview.

Nous avions déjà entendu parler en bien de l’Abbé Pierre dans les journaux, à la télévision, à la radio. Mais le nonagénaire que nous avions en face de nous au quartier Pissy de Ouagadougou était encore meilleur que ce qu’on en avait dit. Et en dépit de ses difficultés à articuler les mots, à répondre à nos questions, nous étions en symbiose avec lui et avions compris son message de paix et de combat pour la dignité humaine. Rarement, le journaliste que nous sommes, avait eu l’insigne chance de rencontrer un homme doté d’une très grande âme. Il était parfait autant que puisse l’être l’humain.

Aussi connu que la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe, l’Opéra ou Notre Dame de Paris, il était emblématique. Ce n’est peut-être pas pour rien qu’il fût, pendant longtemps, la personnalité la plus populaire auprès des Français, jusqu’à ce qu’il demande que son nom soit retiré des enquêtes de popularité.

Mais que l’on se le tienne pour dit : cet grand homme, cet avocat des laissés-pour-compte n’est pas né Abbé Pierre.

Il avait pour prénom Henri et pour nom Groués. Mais c’est sous le nom d’Abbé Pierre qu’il s’engage dans la résistance lors de laquelle il aide des juifs à se cacher. C’était durant les années de braise de la 2e guerre mondiale.

Recherché par la Gestapo, il fit la rencontre du général De Gaule avec lequel il eut des atomes crochus. C’était en 1943 à Alger. Après la guerre, ce prêtre, qui déjà entendait dédier sa vie pour changer à sa façon le monde, est élu député de Meurthe et Moselle de 1945 à 1951. Auparavant, en 1949, il avait fondé "Emmaüs", communauté de chiffonniers construisant des logements provisoires pour les "sans domicile".

Par la création "d’Emmaüs", il entendait aider les exclus à s’en sortir eux-mêmes, en récoltant les surplus des nantis. Et par cette approche, il venait ainsi de rompre avec la charité traditionnelle.

Cet homme hors du commun, né en 1912 à Lyon, n’a pas fait que traverser le 20e siècle, il l’a marqué de manière indélébile de son empreinte d’homme de Dieu. Il avait en sainte horreur les inégalités, l’injustice, la misère, en particulier celles qui ravalent l’homme au statut d’animal. C’est pourquoi il luttera jusqu’à son dernier souffle, en faveur de tous ceux que l’on ne désignait pas encore, dans l’Hexagone, sous le sigle de SDF.

Et en cela, nul doute, l’Abbé Pierre fut un visionnaire auquel la suite des événements aura, hélas, donné raison.

Nous n’étions pas de ce monde en 1954, mais à ce qu’on dit, il y eut cette année-là un hiver rigoureux, un froid glacial à ne pas mettre un chien dehors. Et pour venir en aide aux plus démunis que le froid allait finir par décimer, cet avocat des pauvres fit un appel resté célèbre sur les ondes de Radio Luxembourg en faveur des sans abri, précisement après le décès d’une femme, morte gêlée faute d’abris. Si Emmaüs a été créé cinq ans plus tôt, c’est cet hiver 54 là qu’il est né cet abbé Pierre, devenu depuis le nom générique de la compassion et de la générosité selon la bonne formule de Geneviève Delarue, l’animatrice de "Religions du monde" sur RFI.

Il n’avait de raison de vivre qu’en contribuant à effacer les souffrances en ce bas monde, en exhortant la population, comme les pouvoirs publics à devenir les maillons d’une immense chaîne de solidarité, rappelant ainsi à chacun son devoir d’être humain. L’appel fut entendu et c’est ainsi qu’un hôtel fut mis à sa disposition ainsi que des milliers de couvertures. Mieux, il obtint des crédits pour lancer la construction de maisons au profit des plus déshérités.

Aujourd’hui, environ 10 000 anciens SDF ont leur toit à eux, grâce à Emmaüs. Véritablement, si Emmaüs n’avait pas existé, nombreux seraient les ressortissants de l’Hexagone, voire du Tiers monde qui vivraient l’enfer au quotidien. Que serait l’Occident sans ces multiples associations caritatives ?

Ils sont nombreux les Burkinabè, les Africains, les hommes et les femmes ressortissant de pays dits pauvres qui ne rêvent pourtant que de vivre en Occident. Une chimère, car la vie n’y est pas aussi douce qu’on le croie.

Certes, certains de nos concitoyens arrivent à se faire une petite place au soleil au pays des Blancs, mais combien sont-ils à être désillusionnés ?

D’ailleurs, pour avoir la pleine mesure de la misère qu’on vit dans les banlieues de la France et de l’Occident en général, on se doit d’abord de lire le rapport sur L’état du mal logement en France 2006 produit par la Fondation de l’Abbé Pierre.

Toutefois, si vous n’avez ni le temps ni l’envie de vous plonger dans ce rapports de 280 pages, sachez tout simplement que la société française "est malade. Et l’eldorado occidental n’est qu’une illusion". Telle est la conclusion qui transparaît en filigrane de ce volumineux rapport. Une conclusion qui reste d’actualité avec le débat en France sur le droit au logement opposable et l’inextricable problème des SDF qui étaient allés ces dernières semaines squatté sous des tentes les abords du canal saint Martin à Paris sous la houlette des "Enfants de Don Quichotte" et qui viernt libéré les lieux qu’après la promesse ferme faite par le gouvernement Villepin de trouver des solutions structurelles et non conjoncturelles à leurs difficultés.

Trouble-fête et empêcheur de gouverner en rond pour les uns, véritable messie pour les autres, l’Abbé Pierre n’aura véritablement laissé personne indifférent. En tout cas, l’homme, du temps de sa fougueuse jeunesse, était réputé pour son caractère quelque peu rugueux, ses coups de gueule, ses frilosités voire son côté cabotin. Mais, au service de tout homme, de tout l’homme il l’a été jusqu’à son dernier souffle.

Pour lui en effet, "La vrai charité ne consiste pas à pleurer ou simplement à donner, mais à agir contre l’injustice".

Et c’est avec rage et amour que l’Abbé Pierre ira même à Sarajevo sous les bombes en compagnie de Bernard Kouchner, le fondateur de Médecin sans frontière, pour plaider la cause de la paix.

Ainsi, ce prêtre tenace a parcouru la planète entière en y insufflant de toutes ses forces son esprit de solidarité, lequel n’a pas manqué de déclencher une avalanche de bonnes intentions, reconverties en espèces sonnantes et trébuchantes au profit des pauvres.

Aujourd’hui, grâce à l’action de cet homme, les communautés Emmaüs sont implantées par centaines dans 37 pays avec un seul objectif : redonner à l’homme toute sa dignité.

Et si ce nonagénaire que nous pleurons aujourd’hui a été pour certains le prêtre idéal, c’est qu’il a su jouer pleinement sa partition. Et contrairement à des brebis galeuses prétendument vêtues du manteau de berger, lui, Abbé Pierre, prêtre de combat devant l’Eternel, a été toujours à la hauteur de ses péchés. Entier, honnête, généreux, fidèle à lui-même et à ses convictions, il l’a été sans doute.

En effet, dans un récent livre, il ne s’était pas embarrassé de circonlocutions inutiles pour révéler à la face du monde avoir connu l’amour charnel avec une femme. Pour un abbé, il fallait le faire. Mieux, cet homme d’Eglise s’est prononcé pour le mariage des prêtres, l’ordination des femmes et l’adoption pour les parents homosexuels. Toute une révolution !

Ainsi donc, celui pour lequel "La mort n’est pas vraiment une séparation, une fin, mais une continuation, un renouveau, une sortie de l’ombre pour entrer dans la lumière" devrait briller de mille feux dans l’au-delà.

Boureima Diallo

L’Observateur

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Vos commentaires

  • Le 23 janvier 2007 à 13:56, par veronique chabroux En réponse à : > Mort de l’abbé Pierre : L’arrêt d’un grand cœur

    C’est avec une grande tristesse que j’ai appris la mort de l’abbé Pierre.Un homme au grand coeur qui nous quitte.Il aura été pour les plus pauvres un père un frère un sauveur et aujourd’hui il sera pour moi irremplaçable.Le destin l’a voulu ainsi c’est à 94 ans que cet homme aura décidé de quitter ce monde mais il restera néanmoins dans le coeur des français.L’abbé Pierre reposez maintenant en paix et nous serons toujours avec vous par la pensée

  • Le 24 janvier 2007 à 12:33 En réponse à : > Mort de l’abbé Pierre : L’arrêt d’un grand cœur

    Merci pour vos témoignage sur la vie de notre frère l’abbé Pierre ce grand homme. Son action qui a commencé il y a plus de soixante ans doit être continuée car le chantier est encore grand. Il a montré que la volonté de changer les choses peut beaucoup. Puissions nous sous son regard rempli d’amour pour les hommes apporter les changements nécessaires pour que la dignité humaine soit respecter dans ce monde où l’indifférence est bien trop présente.
    Hervé.

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