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Burundi : Comment on fabrique un héros

Publié le jeudi 18 janvier 2007 à 07h58min

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Domitien Ndayizeyé

Les chefs d’accusation étaient extrêmement graves. Et l’ex-président burundais, Domitien Ndayizeyé, a dû avoir des sueurs froides, tellement il a été acculé par la Justice et le pouvoir en place.

Il a été vivement accusé d’avoir "recruté des personnes civiles et militaires", "mis sur pied un plan d’assaut du palais présidentiel" et d’avoir porté "atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat".

Tout semblait bien ficelé pour que l’ex-président passât le reste de sa vie en prison. Mais tous ces micmacs avaient aussi une odeur nauséabonde de règlement de comptes destiné à nuire à sa réputation. Mais la Justice l’a finalement acquitté. Il n’empêche, cette "politicaillerie judiciaire" à mis à nu la farouche envie du pouvoir burundais de museler l’opposition et d’intimider, du même coup, tous ceux qui seraient tentés par les délices que confère la gestion des affaires publiques au sommet de l’Etat.

Même lorsque le principal accusateur de Domitien Ndayizeyé s’était rétracté, affirmant alors que ses propos avaient été extorqués par la torture et la menace et que le coup avait été savamment monté par la police présidentielle, la Justice avait fait la sourde oreille et jeté l’ancien président en prison. Une triste affaire pour ce pays qui cherche ses marques après avoir vécu treize ans de guerre civile. A l’évidence, de telles pratiques dont le seul objectif est de discréditer les adversaires du pouvoir isole davantage le Burundi de l’arène internationale.

Aucun investisseur ne voudra en effet s’aventurer dans un pays pris dans la vague des tourmentes. Depuis son indépendance en 1962, le pays a connu plusieurs coups d’Etat ou tentatives de coups d’Etat, vrais ou supposés. En tout cas, le Burundi vient de réaliser une mauvaise affaire et devrait, s’il veut acquérir la confiance des bailleurs de fonds, sauver rapidement les meubles en renouant avec la réconciliation nationale.

Politiquement aussi, le président actuel, Pierre Nkurunziza, perd des points, et pas des moindres. En voulant coûte que coûte abattre politiquement son prédécesseur, et jeter l’opprobre sur lui, il lui donne, du même coup, des galons, et fait de lui, aux yeux de l’opinion publique, un martyr. On le sait, les martyrs portent très rapidement la tunique de héros et peuvent ainsi être propulsés à la tête de l’Etat par la volonté populaire.

Si Pierre Nkurunziza avait relu ses cours d’histoire, il se serait abstenu de commettre une telle absurdité. Mais l’homme, emporté par la folie du pouvoir, révèle, du fait du caractère trop grotesque du coup monté, ses carences de chef d’Etat. Car un tel acte, au lieu de sonner le rassemblement, attise les tensions, les haines et les survivances de la lourde décennie de guerre civile que le pays a connue.

Ce genre de cacophonie n’est pas l’apanage du Burundi. La plupart des pays qui se mordent aujourd’hui le doigt parce qu’ils ont basculé dans des zones de turbulences ont connu au préalable de telles dérives. Le pire, c’est que cette pratique est devenue une règle d’or pour certains régimes africains : divertir par la "complotite", dans le but d’éliminer ou de fragiliser certains opposants devenus gênants, donc susceptibles de se frayer le chemin conduisant au fauteuil présidentiel.

A force de vouloir trop verrouiller les portes du pouvoir pour s’assurer une présidence à vie, bien des chefs d’Etat africains se croient épargnés de toute menace. Du moins, en provenance d’opposants politiques. C’est une grave erreur. Car, à défaut de pouvoir utiliser des moyens légaux pour accéder au pouvoir, certains prétendants à ce poste peuvent exprimer leurs frustrations autrement.

Et si jamais, dans la quête permanente de mieux-être et de justice, l’Etat ne parvient pas à transformer les mécontentements en actes positifs, c’est le pays lui-même qui, finalement, prend un sérieux coup. Et ce serait bien dommage ! Le problème, c’est que la démocratie n’est pas, en réalité, une valeur partagée dans la plupart des pays africains. Si le pouvoir ne tente pas de diviser les opposants par des espèces sonnantes et trébuchantes, c’est une autre arme fatale qui est utilisée. Et celle-ci se résume en quelques expressions très lourdes de conséquences : atteinte à la sûreté de l’Etat, subversion, apatride...

De nombreux opposants politiques ou acteurs de la société civile ont subi ce supplice. Mais les régimes qui ont persévéré dans ce genre de pratiques ont fini, tôt ou tard, par basculer dans des crises graves. Les opposants deviennent alors comme des forces alternatives. Car, bien souvent, lorsque la persécution est trop flagrante, certains finissent par être élevés au rang de héros par leur peuple. De nombreux pouvoirs africains n’ont pas encore compris cela, ou font semblant de l’ignorer. En la matière, le Tchad, la Guinée, la Côte d’Ivoire et bien d’autres pays sont en état de sursis. Le Burundi aussi, bien sûr. D’ailleurs, là-bas, l’ex-président, Domitien Ndayizeyé, déjà qualifié de "notre Mandela", et qui voulait prendre sa retraite politique, a finalement décidé de se présenter à la prochaine élection. Sans doute convaincu d’être déjà adulé par le peuple. L’actuel président burundais a déjà ainsi fabriqué un héros.

Le Pays

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