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Côte d’Ivoire : Le coton toujours dans l’impasse en zones rebelles

Publié le jeudi 11 janvier 2007 à 07h38min

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Les arriérés dus par des sociétés cotonnières aux producteurs de coton demeurent impayés depuis deux ans dans les zones rebelles du nord de la Côte d’Ivoire, maintenant la filière dans une impasse financière que les Forces nouvelles (ex-rebelles) ont du mal à juguler.

Les Forces nouvelles, qui contrôlent cette région, la principale productrice de coton dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, ont sommé les sociétés cotonnières — égreneurs de coton — d’apurer leurs arriérés vis-à-vis des cotonculteurs au cours de la campagne 2006-2007 qui vient de s’ouvrir.

La sommation décidée lors d’une réunion de la filière cotonnière qui s’est déroulée ce mois à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire, en présence d’un représentant du gouvernement, exige que "25 pour cent de ces arriérés soient payés à la date butoir du 2 janvier 2007 prochain".

"Les égreneurs qui ont des arriérés sont invités à présenter leurs meilleures propositions au comité de suivi de la filière coton avant d’être autorisés à démarrer la présente campagne de commercialisation", ajoute la sommation des Forces nouvelles qui occupent la moitié nord du pays depuis la tentative manquée du coup d’Etat du 19 septembre 2002, transformée en rébellion armée.

Une enquête réalisée dans la filière coton entre 2004 et 2006 par un cabinet d’audit et de conseil, indique que pour 73,2 millions de dollars d’achat de coton graine en 2004-2005 et 2005-2006, 38 millions de dollars, soit près de 52 pour cent, ont été retenus à la source pour le remboursement des crédits des intrants dont ont bénéficié les producteurs.

"Trente-six pour cent ont été versés aux cotonculteurs au titre des paiements de coton graine. A ce jour, il reste encore à payer 4,2 milliards francs CFA (8,4 millions de dollars) aux cotonculteurs, soit 11,5 pour cent", révèle le résultat de l’audit.

Fuite vers les pays limitrophes

Les égreneurs jettent la responsabilité du retard des paiements d’abord sur la crise socio-politique que vit leur pays depuis plus de quatre ans. Mais, Vamissa Diomandé, directeur général de la société cotonnière Ivoire Coton, a dénoncé également la chute continue du cours mondial de coton, à cause notamment des subventions accordées aux cotonculteurs américains.

Pour sa part, Seydou Soro, le patron de la société cotonnière URECOS-CI, s’est plaint à IPS, de la production accélérée de coton en Chine et au Brésil, dont l’augmentation aurait participé à la chute du prix des fibres du coton africain. Ce qui a provoqué, selon lui, un manque à gagner aux égreneurs ivoiriens qui n’ont pas pu assurer le paiement des arriérés vis-à-vis de leurs cotonculteurs. Toutefois, la société de Diomandé — Ivoire Coton en Côte d’Ivoire — est la seule qui ne doit pas d’arriérés aux cotonculteurs ivoiriens.

Les autres égreneurs, qui doivent encore des arriérés aux producteurs, ont accepté la résolution des Forces nouvelles leur demandant de présenter des modalités de paiement avant la date butoir du 2 janvier.

Par ailleurs, Alphonse Soro, président du comité de suivi de la filière coton des Forces nouvelles, estime que "Les impayés, accumulés par certains égreneurs et dus aux cotonculteurs, expliquent l’anarchie qui règne dans ce secteur agricole et la fuite du coton graine vers les pays limitrophes que sont le Mali et le Burkina Faso où les prix sont plus concurrentiels".

Par exemple, le prix officiel du kilogramme de coton coûte 33 cents US au Burkina Faso, contre 29 cents en Côte d’Ivoire.

Il souligne, à cet égard, que les cotonculteurs ivoiriens transportent à bord de camions, motos, charrettes et pirogues leur production pour joindre les usines d’égrenage des pays voisins où ils vendent leur coton moins cher quand on le leur achète cash puisqu’ils sont dans un besoin pressant d’argent.

Les bons et les mauvais payeurs

Une attitude qui a parfois provoqué des situations dramatiques. Selon Alphonse Soro, pendant la campagne de commercialisation 2005-2006, deux cotonculteurs auraient trouvé la mort, noyés dans le fleuve Comoé séparant la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, alors qu’ils acheminaient leur coton dans une pirogue pour l’usine d’égrenage de Banfora, une ville burkinabè du sud. Alphonse Soro ajoute qu’une enquête, menée par le comité de suivi de la filière coton, a révélé qu’en 2004-2005, plus de 62 500 tonnes — sur une production totale de 323 000 tonnes — de coton graine ont quitté la Côte d’Ivoire pour les usines d’égrenage du Mali et du Burkina Faso. Mais avec l’installation du comité de suivi du coton, le volume de la "fuite du coton ivoirien vers l’extérieur est tombé à 6 000 tonnes en 2005-2006", sur plus de 267 000 tonnes. Devant cette situation qui détériore davantage la filière, les Forces nouvelles ont exigé des cotonculteurs qu’ils vendent leur production aux égreneurs locaux pour cette campagne 2006-2007. Mais cela ne semble pas rencontrer l’adhésion des producteurs. "Les Forces nouvelles n’ont pas de pouvoir sur notre production et ne peuvent en aucun cas nous obliger à la vendre aux égreneurs qui continuent d’endosser nos arriérés", déclare à IPS, Largaton Yéo, producteur de coton à Spénédiokaha, dans l’extrême nord du pays. "Nous avons décidé de vendre notre coton à qui nous voulons parce que nous n’avons obtenu d’intrants d’aucune société cotonnière".

Ces propos sont partagés par Nagnougo Soro, gérant d’une coopérative de producteurs du village de Tawara, non loin de Korhogo. "Mes collègues et moi allons vendre notre production au premier venu qui détient de l’argent et qui achète au comptant. Qu’il soit étranger ou ivoirien, cela nous importe peu. Nous avons besoin d’argent c’est tout", dit-il à IPS.

La Côte d’Ivoire traverse une crise politico-militaire depuis plus de quatre ans. Les rebelles, qui occupent la moitié nord du pays, estiment avoir pris les armes pour lutter contre l’exclusion présumée des populations de cette partie du territoire.

Comme conséquence de la crise, la filière coton qui était déjà chancelante au départ, vit désormais un cauchemar, selon des spécialistes. Elle est prise en otage entre des égreneurs de l’extrême nord du pays, qui sont au bord de la faillite, et ceux du centre-nord, qui sont de rares bons payeurs, comme Ivoire Coton.

Aly Ouattara (IPS)

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