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Afrique : Conté 1er, roi de Guinée

Publié le vendredi 5 janvier 2007 à 11h02min

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Il ne reste plus à Lansana Conté qu’à s’autoproclamer monarque (non éclairé, évidemment). Après avoir déclaré que la Justice, c’est lui, le président guinéen s’exclut de toute légitimité républicaine pour s’inscrire dans un autre type de régime où la séparation des pouvoirs est inexistante.

Ayant désormais droit de vie et peut-être de mort sur ses « sujets », Conté est devenu tout, sauf le dirigeant d’une république.

On savait Lansana Conté peu regardant sur les règles démocratiques mais il n’avait jamais osé tenir de tels propos qui remettent fondamentalement en cause le fonctionnement des institutions républicaines ou ce qu’il en reste.

Depuis quelques années, l’impotence de Conté a aussi rendu malade le pays qui, depuis, ne fait que perdre une à une les valeurs fondatrices d’un Etat de droit. L’une des dernières frasques du président, qui a fait le tour du monde, concerne sa descente dans une prison pour libérer des détenus qui, il est vrai, ne sont pas n’importe qui, puisqu’il s’agit de magnats des affaires et de la finance. La récente sortie présidentielle -cette fois-ci verbale- est tout autant, sinon plus malheureuse et concerne la même affaire de règlements de comptes au sommet de l’Etat.

Au total, la tragicomédie qui se joue en Guinée, et dont Conté est l’acteur principal, ressemble à la traditionnelle atmosphère de fin de règne que connaissent les pouvoirs usés. Et dans un contexte de lutte de clans pour la succession du vieux chef qui, lui-même, ne s’avoue jamais vaincu, on ne peut éviter la confusion telle que la Guinée la vit présentement.

La réaction d’orgueil de Conté dans une affaire où il s’est senti grugé peut être compréhensible. Selon un rapport d’audit, une des personnes qu’il a fait libérer est plutôt victime de coups bas politiques puisque l’Etat lui doit 22,6 millions de dollars et que le même Etat, de son côté, lui, doit 4,04 millions de dollars.

La Justice, si on lui avait laissé faire sereinement et objectivement son travail, aurait sans doute pu trouver une issue plus honorable à l’affaire. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que la grossière intervention du président arrange le prévenu. Il est toujours plus honorable et digne d’être blanchi par la Justice que par un chef d’Etat, surtout dans les conditions que l’on sait.

Et que dit la Justice, elle-même, de cette intrusion de l’exécutif dans sa sphère de souveraineté ? Parce que son indépendance est bafouée, elle devait avoir une réaction de protestation. Mais il n’en est rien, ce qui suppose que le premier magistrat, Lansana Conté, a véritablement bâillonné ses "collègues".

C’est pourquoi autant les dirigeants au pouvoir ont une lourde responsabilité dans le respect de la séparation des pouvoirs, socle de la démocratie, autant la Justice doit œuvrer à préserver de toutes ses forces son indépendance.

En Guinée, Conté a bien compris qu’en Afrique les juges demeuraient encore rattachés au cordon ombilical de l’Etat, pour ne pas dire du parti au pouvoir, à qui ils doivent leur promotion. La moindre velléité de résistance à l’ordre établi peut valoir à un magistrat toutes sortes d’ennuis pouvant aller jusqu’à la réduction à néant de sa carrière.

Ecartelés entre la peur de perdre des avantages matériels et les menaces de mort qui peuvent être proférées contre eux, les juges honnêtes sont contraints à la résignation. Quand la terreur devient un mode de gouvernement, les institutions républicaines se muent en coquilles vides tout justes bonnes à servir les caprices du dictateur.

En Guinée, l’état de déliquescence des institutions est tel qu’apparemment, il ne faut rien attendre d’elles. La Justice étant pieds et poings liés, donc incapable de faire face aux forces de prédation qui l’assaillent, la réaction de protestation est venue des syndicats. Ils ont annoncé une grève à compter du 10 janvier jusqu’au "rétablissement de l’ordre républicain".

Ce qui arrive aux Guinéens est certes caricatural, mais d’autres prédateurs de la Justice sévissent dans certains pays africains. Ainsi, de façon plus subtile et avec la manière, certains régimes continuent à maintenir l’institution judiciaire sous leur férule. Emmitouflés dans des manteaux de démocrates, bon nombre de pouvoirs africains rechignent cependant à lâcher la bride à la Justice pour lui permettre de "fourrer le nez" partout où le droit est menacé.

La Guinée n’est que l’expression la plus absurde et la plus visible des dysfonctionnements du système judiciaire en vigueur un peu partout en Afrique. Pour autant, on ne saurait fermer les yeux sur les dérives mégalomanes du président Conté qui n’a plus rien à envier à Sékou Touré, n’en déplaise à la France qui continue de soutenir à bouts de bras son régime complètement à bout de souffle.

"Le Pays"

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