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Norbert Tiendrébéogo : "Une semaine de formation CDR, c’est insuffisant pour faire un putsch"

Publié le vendredi 9 avril 2004 à 07h58min

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Après le pasteur Paré Israël mercredi soir, le deuxième civil des treize présumés putschistes a été appelé à la barre hier dans la matinée, au cours d’une audience qui a été suspendue vers 13 heures après deux coupures d’électricité consécutives à la bienfaisante pluie des mangues qui s’est abattue sur la capitale. Le leader du Front des forces sociales (FFS), parti sankariste, s’est dit victime d’une conspiration.

Le pasteur Pascal Israël Paré, devant Franck Compaoré et ses collaborateurs, s’expliquera d’abord sur un coup de téléphone que le capitaine Ouali, lui a donné depuis la Côte d’Ivoire, l’informant qu’il allait rencontrer l’aide de camp du président Laurent Gbagbo.

"Si on doit prendre ce coup de fil pour une tentative de coup d’Etat..." , dira le pasteur. Ensuite le patron de l’église de l’Union internationale des chrétiens s’expliquera sur la réconciliation dont il a été le maître d’œuvre entre Ouali et Bayoulou. On se souvient que les deux avaient eu une petite altercation (lire l’Observateur du mercredi 7 avril 2004). "J’ai prié pour qu’ils se réconcilient... Ce jour-là aucun d’eux ne m’a parlé de coup d’Etat".

Le pasteur Paré a balayé aussi d’un revers de la main l’affirmation selon laquelle le siège de son église a été utilisé pour des réunions préparatoires au putsch.

Une dîme de 9 millions

L’arrêt de renvoi mentionne aussi qu’il a béni les sommes qui auraient dû être utilisées pour le coup d’Etat. Le pasteur s’inscrit en faux contre cela et il s’en explique : "Quand on est un homme d’église, il faut s’ouvrir spirituellement, physiquement et financièrement à Dieu... Ouali est venu à l’église en 2002... Entre-temps, il m’a demandé de prier pour lui, car il avait un projet en tête, mais il n’en avait pas les moyens... J’ai prié... Il est revenu un jour me dire qu’il a obtenu 25 millions (Ndlr : de l’aide de camp de Laurent Gbagbo).

Il a souhaité que je bénisse l’argent avant utilisation... Ce que j’ai fait... et c’est en ce moment qu’il m’a dit qu’il a constaté que je souffre beaucoup à la tête de mon ministère... J’étais en train d’organiser la conférence de paix qui regroupait plusieurs pays de la sous-région... C’est de ce fait que j’ai prélevé la dîme, qui s’est élevée à 5 millions... C’est Ouali qui m’a proposé de le faire".

Du reste, quelques semaines après, l’aide de camp en question, Logbo Raphaël, a donné encore 21 millions à Ouali, qui est retourné chez le pasteur. Même scénario : bénédiction du pactole et prélèvement d’une dîme de 4 briques, soit au total 9 millions.

Israël Paré reconnaît qu’il a eu à prier avec le caporal Bassolé Bassana, mais pas pour effectuer un putsch. Revenant sur son voyage à Pô avec le sergent Bako, le pasteur a expliqué qu’il se rendait dans cette localité pour voir son champ de maïs. Certes, il a vu le lieutenant Philippe Minoungou et sa femme, qui est une sœur en Christ, mais lui a continué dans son champ, non sans avoir fait escale dans l’église locale, dirigée par un pasteur du nom de David Wourgou.

A la question du tribunal de savoir si le pasteur a eu un contact avec le caporal Bassolé Bassana dans ladite ville, il répondra par l’affirmative, mais ajoutera que c’était à son église annexe de Bobo. Certes, Bassolé a beaucoup parlé de revendications, "mais je lui ai dit de faire attention pour ne pas me créer des problèmes".

Sur ces entrefaits, l’avocat du pasteur, Me Appolinaire Kyelem, interviendra pour attirer l’attention du tribunal sur la reconstitution des faits : "En quoi prier sur de l’argent est-il un acte préparatoire à un attentat ?". Invoquant les articles 110 du code pénal, et 97 du code de procédure pénale, le conseil du pasteur demandera au tribunal une possible requalification des faits reprochés à son client : "Si on veut retenir mon client dans les liens de la prévention, il faut que cela soit pour complicité d’attentat à la surêté de l’Etat et non pour attentat à la surêté de l’Etat". Et d’étayer cette demande en arguant qu’en matière pénale, il n’y a pas d’à-peu-près, mais l’exactitude.

Le ministère public, par la voix d’Abdoulaye Barry, signifiera d’abord que le pasteur a dit ce qu’il a à dire étant "un homme de Dieu", mais a tout de même posé quelques questions, notamment sur les auditions pendant l’enquête préparatoire.

A la question de savoir si le pasteur a subi des sévices à la gendarmerie lors de son interrogatoire, ce dernier répondra sans ambages : "Non, je remercie les gendarmes, je prie pour eux, pour le colonel Mamadou Traoré et ses hommes... Là où ça m’a fait mal, c’est qu’étant diabétique, ayant été opéré, je me retrouvais à dormir presque nu sous les brasseurs d’air avec les moustiques... C’était pas facile... Ensuite je suis resté presqu’une journée sans manger ni boire, et après, par la fenêtre, on m’a donné un sachet noir contenant du riz mélangé avec la sauce... J’ai refusé...".

Le pasteur terminera son audition en affirmant en substance qu’il a dit ce qu’il avait sur le cœur et s’il est avéré qu’il a commis quelque chose de répréhensible contre l’Etat, il demande pardon au "représentant du président du Faso, le commissaire du gouvernement au tribunal...". Rectification du commissaire du gouvernement qui fera savoir à l’intéressé qu’il représente le Parquet militaire, et non le président du Faso. Après cela, la séance sera suspendue aux alentours de 22 heures.

Norbert se dit victime d’une machination

Après l’audition du pasteur Paré Israël le 7 avril 2004 au tribunal militaire lors de son audiance du 8 avril, c’est celle tant attendue du 2e accusé civil de l’affaire, Norbert Tiendrébéogo, qui a eu lieu. Ce dernier est convaincu d’être victime de conspiration, de machination.

Dans sa présentation, celui qui affirme résider "actuellement au camp Paspanga" dit comprendre qu’il y ait conspiration contre lui, compte tenu de sa position politique. Mais qu’on l’attaque en dessous de la ceinture, cela le révolte plus. L’arrêt de renvoi est pourtant grave pour lui : invitation à préparer une marche qui sera infiltrée par des militaires ; comptes rendus réguliers de l’évolution des préparatifs du coup d’Etat ; confirmation du capitaine Ouali au juge d’instruction quant à son implication dans l’affaire ; consensus sur la répartition des postes une fois le coup d’Etat fait.

Sur cet aspect, et selon la déposition, les militaires allaient occuper les premiers rôles, le PDP/PS de Joseph Ki-Zerbo, le 2e, et le FFS, le troisième. En outre, il est reproché à Norbert d’avoir donné des conseils et des indications sur la réalisation du coup d’Etat, ce qui étonne l’accusé, qui déclare ironiquement n’avoir fait qu’une semaine de formation CDR. Ce qui est insuffisant pour donner des stratégies de coup d’Etat. Certes, il a reconnu avoir présenté son ami Bayoulou à Ouali, mais il ne s’est jamais agi entre eux de rencontres pour l’organisation d’une quelconque marche encore moins de coup d’Etat.

D’ailleurs, dira-t-il, "L’organisation d’une marche requiert un certain nombre de procédures". Autre aspect soulevé par le commissaire du gouvernement, la demande faite à Ouali par Norbert Tiendrébéogo de l’aider à implanter le FFS dans sa région. "Quoi de plus normal" ! dira-t-il, surtout que Ouali lui a dit avoir de l’admiration pour l’opposant qu’il est.

Par ailleurs, le capitaine Ouali reconnaît être issu d’une grande famille de l’est du Burkina, donc ayant certainement une grande influence. "Quand Ouali m’a rencontré chez une militante qui était malade, il a dit qu’il souhaitait me voir. Le lendemain, il est venu au foyer du FFS. Il m’a dit avoir eu des déboires pendant la Révolution, mais que cela ne l’empêche pas d’avoir de l’admiration pour mon parti. Je lui ai donc demandé de m’aider à implanter mon parti dans sa région".

Le commissaire du gouvernement a cependant insisté sur le fait qu’il ne faudrait pas que Norbert Tiendrébéogo pense que c’est le ministère public qui l’a chargé d’autant plus qu’il parle de persécution et de machination. Selon Abdoulaye Barry, "Ce sont ses propres amis qui le chargent", dont le cerveau présumé du putsch. En effet, lors de leur confrontation, à la question de savoir si Ouali a parlé de la nécessité d’un changement de régime à M. Norbert Tiendrébéogo, Ouali aurait répondu par l’affirmative. Il en est de même pour la répartition des postes politiques. Mais pour le client et sa défense, de confrontation, il n’y en a pas vraiment eu.

Il y a confrontation, diront-ils, quand toutes les parties sont en présence. Ce qui n’a pas été le cas d’autant plus qu’il y a eu un rôle pas clair de l’instruction, qui écrivait souvent ce qu’elle voulait entendre.

Pour Norbert Tiendrébéogo, le seul projet digne de ce nom qui l’unissait à Bayoulou, c’était l’emboûche bovine. Ce qui ne les empêchait pas, lors de leurs différentes rencontres, de parler de certains problèmes professionnels, sociaux ou politiques. Certainement que sa confrontation avec Ouali lors de ce procès pourra éclairer tout le monde.

"J’ai payé mon transport pour être arrêté "

A l’écouter, le commandant Kambou Sié Rémy donne l’impression d’être celui qui arrive toujours au mauvais moment et au mauvais endroit. Voilà un militaire qui, une fois son stage commencé à Koulikoro au Mali, est rappelé pour répondre d’une tentative de coup d’Etat dans son pays.
Pour lui, sa naïveté et sa franchise lui ont toujours joué de mauvais tours. Cette franchise ne lui porterait pas bonheur, si fait qu’il semble s’en être fait une leçon aujourd’hui : "Souvent, il ne faut pas être franc avec la justice. C’est la franchise qui m’a amené ici aujourd’hui".

Rappel des faits par le prévenu : "J’ai obtenu un stage. Je devais aller au Mali. On m’a dit que là-bas la vie est chère. Je tenais donc à prendre un portable ici. J’ai appelé le capitaine Bayoulou, que je connaissais pour qu’il m’envoie de l’argent : il est venu avec des gens que je ne connaissais pas, Bassolet et Naon.

J’ai pris l’enveloppe contenant l’argent, c’était 100 000 FCFA, j’ai pris mon avion pour le Mali. Là-bas, j’apprends qu’il y a eu tentative de coup d’Etat au pays et que Bayoulou est dedans". Et les problèmes commencent pour lui.

Certes, quand il a rencontré Bayoulou, celui-ci lui a parlé d’un coup d’Etat en organisation. Il a toujours pris cela pour de la plaisanterie et il n’a pas pris la peine d’en aviser ses supérieurs, jusqu’à ce que l’affaire éclate.
Quand Bayoulou lui en parlait, il lui arrivait de plaisanter avec lui, tellement il ne croyait pas : "Jusqu’à présent, je continue à ne pas y croire. J’aime la paix, je n’aime pas les bouleversements. Quand les Bouyoulou, Naon et Ouali en parlaient, moi je prenais cela comme une affaire de surmenés et de gourounsis. Pendant que j’étais en stage, on me dit qu’on me demande au pays.

"J’ai donc payé mon transport pour être arrêté", dira-t-il d’un air résigné. Plus tard, il fera remarquer que le juge d’instruction, le commandant Francis Somda, est un promotionnaire avec qui il dit avoir eu des démêlés en 1990 à Dédougou. Pire, en 1993, ils ont même failli en venir aux mains. De ce qui lui arrive, le commandant Sié Kambou n’en revient pas : "Lorsque le juge m’a dit qu’il allait me prendre en tant qu’inculpé, j’ai appelé ma femme. Elle m’a dit : calme-toi et crois en Jésus. Moi qui ai toujours été un persécuteur de croyants, j’ai récité après elle".

"La sécurité rapprochée, je connais "

Deuxième militaire à comparaître hier devant le tribunal, le sergent-chef Bako Baliboué, diacre du pasteur Paré. Cet ancien du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), plus précisément de la garde rapprochée du chef de l’Etat, a reconnu avoir été contacté par son ancien camarade, le sergent Naon Babou, pour des revendications corporatistes : « On nous avait envoyés en stage en Côte d’Ivoire sans nous donner des frais de mission ».

Et toujours selon les dires du sergent-chef, si à l’issue de cette formation, ils ont reçu le « diplôme d’officier de sécurité », aucune mention de ce stage ne figure sur leurs états de service. Pourtant, affirmera l’accusé, « Je connais ce travail plus qu’autre chose, si c’est pas le spirituel ».

A cela s’ajoutaient les primes de risque perçues en partie, et surtout son départ du RSP après dix années de service, directement lié selon lui à ses prises de position après la mort de Norbert Zongo. Son changement d’unité aurait d’ailleurs suivi l’affectation de Naon Babou, qui liait, lui aussi, son départ à la même cause.

Bako Baliboué dira donc que lorsque son ancien camarade lui a parlé de ces revendications, il a fini par donner son accord après hésitation. « En tant que croyant, ça ne m’intéressait plus tellement, car je veux devenir pasteur », ajoutera-t-il.
Mais si le sergent reconnaît avoir rencontré Bayoulou et Ouali à plusieurs reprises chez le sergent Naon, il précise que c’était pour mener à bien ces revendications. « C’est à la gendarmerie et chez le juge qu’on m’a parlé de coup d’Etat » , a-t-il affirmé.

De même, toujours selon les dires du sergent Bako, il n’a jamais été question d’attaquer le RSP, même si, précisera-t-il, "On peut s’attaquer au RSP par des moyens comme les tracts ou les écrits dans les journaux…". Pour cela, il fallait des moyens, et les deux millions qu’il a reçus un dimanche après le culte n’avaient rien à voir avec les préparatifs d’un putsch.

Pourtant selon l’acte d’accusation, le sergent s’est rendu à Pô avec le pasteur et le caporal Bassolé pour remettre de l’argent ainsi qu’un portable au lieutenant Minoungou. « Je suis allé à Pô pour accompagner le pasteur qui se rendait à son champ », expliquera le sergent Bako, qui dit n’avoir été informé du contenu de l’enveloppe qu’une fois sur place. Et Bassolet d’ajouter que s’il a introduit le caporal auprès du lieutenant, c’est tout simplement parce que son subalterne le lui avait demandé.

L’audience a été suspendue aux environs de 13 heures pour cause de pluie et de coupures d’électricité. Elle a repris après 17 heures, avec les mêmes coupures d’électricité, qui avaient fini par devenir intempestives.

"On a été sucés comme une orange et jetés comme du kleenex"

Le sergent Kambou Jean-Claude a d’abord raconté au tribunal les difficiles conditions de sa détention à la gendarmerie de Kaya. Concernant ce qu’on lui reproche, il a déclaré qu’il ne se reconnaît pas dans un complot ou coup d’Etat.

Selon lui, il a toujours été informé d’une manifestation pour revendiquer leurs droits. Et des revendications, il en avait : stage non payé, indemnités non perçues… Pour tout cela, il était prêt à demander une audience au colonel Diendéré pour réclamer ses droits. Il a ajouté que tant que Diendéré sera là, il n’y aura pas de paix au Conseil.

Le sergent Kambou a aussi évoqué, parmi les motifs de son départ du RSP, la mort du journaliste Norbert Zongo. On l’accusait au Conseil de fournir des renseignements au président de la Commission d’enquête indépendante, le juge Kambou, qu’on disait son « parent ». C’est dire déjà que quelqu’un ou des gens lui voulaient du mal.

C’est une preuve selon lui que la cohésion n’était pas totale au sein du RSP. D’ailleurs, il a soutenu que c’est à juste raison que lors d’une présentation de vœux au président Compaoré, ce dernier aurait dit à ses gardes du corps : « Le cadeau que vous pouvez me faire, c’est de vous entendre, c’est d’être unis ».

Il reconnaît avoir reçu 200 puis 800 000 FCFA du capitaine Ouali par l’intermédiaire de son ami et colocataire, le caporal Bassolet. Cependant, il a avoué qu’on ne lui avait jamais dit pourquoi on lui donnait cet argent.

Le sergent a raconté au tribunal qu’il a servi le président Blaise Compaoré pendant 11 ans en tant qu’élément de la sécurité rapprochée. Il a révélé que les costumes-cravates que les militaires portent quand ils sont en service autour de Blaise, c’est eux-mêmes qui les cousaient. "Peut-être que les choses ont changé après mon départ", a-t-il ajouté.

Justement, le sergent Kambou a déclaré qu’au moment où il quittait le Conseil, le solde que les militaires avaient demandé n’avait pas été payé, car Diendéré s’y est opposé. Il a conclu en disant qu’au RSP, « On a été sucés comme une orange et jetés comme du kleenex ».

Après, ce fut le tour du sergent-chef Abdoulaye Konfé de s’expliquer. Mais son audition ne durera pas dix minutes, le président du tribunal ayant suspendu l’audience en raison de coupures intempestives d’électricité. L’audience reprend donc ce matin avec le sergent-chef Konfé.

San Evariste Barro
Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
K. Issa Barry
H. Marie Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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