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Bilharziose : des insuffisances font des victimes dans le Mouhoun

Publié le mercredi 13 décembre 2006 à 07h19min

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Du 25 octobre au 3 novembre 2006 s’est déroulée dans la région de la Boucle du Mouhoun, une campagne de lutte contre la schistosomiase (bilharziose) et les vers intestinaux. Elle a consisté à une distribution de médicaments : le praziquantel (préventif contre la bilharziose) et l’albendazole (préventif contre les vers intestinaux) aux scolaires et aux populations.

A l’issue de cette campagne, un mort, un comateux sauvé de justesse, des personnes soignées à des coûts élevés et, une phobie généralisée des populations pour les campagnes de masse.

Psychose dans la région de la Boucle du Mouhoun suite à la campagne de distribution des comprimés de praziquantel et d’albendazole en vue de lutter respectivement contre la bilharziose (schistosomiase) et les vers intestinaux. Du 25 octobre au 3 novembre 2006, les populations de la région semblent avoir vécu le calvaire. Au sortir de cette campagne, les Dédougoulais ont la phobie des campagnes de masse.Et pour cause, un décès selon notre investigation a été enregistré suite à une erreur d’administration et un comateux rétabli selon les autorités sanitaires avec en toile de fond, des patients ayant dépensé entre 1000 et 60 000 F CFA pour se soigner. Selon les autorités sanitaires, la campagne consistait à distribuer des comprimés aux populations pour prévenir les maladies précitées.

Ainsi, pour le coordonnateur national de la campagne, le docteur Seydou Touré, « utilisé aux doses normales conseillées, c’est-à-dire un comprimé d’albendazole par personne (enfant et adulte) et le comprimé de praziquantel donné selon la taille, il n’y a aucun effet secondaire. Dans les consignes, on insiste beaucoup pour que les gens mangent au moins quelque chose avant la prise du praziquantel.

Pour l’albendazole, il n’y a pas de problème. » Or, selon le docteur Laurent Nikièma, médecin de santé publique à Dédougou, se référant aux instructions du même programme de lutte contre la schistosomiase, le praziquantel était donné pour la frange de la population ayant 5 ans et plus, en fonction de la taille de l’individu. Quant aux enfants de 5 à 15 ans, seul un comprimé d’albendazole leur était donné. Les instructions semblaient « claires » mais confuses quand on constate deux versions pour la posologie. Même au « sommet », on ne maîtrise pas la posologie à administrer.

La campagne dans sa seconde phase dans les régions du Sahel, de la Boucle du Mouhoun, du Sud-Ouest et du Nord, a reçu l’instruction de prendre les adultes pour leur première prise de médicament et, les enfants à partir de cinq ans pour retraitement, a précisé le Dr Touré. Sur le terrain, le constat était tout autre.

Abdoul Dramane Kinda, élève en classe de 3e au Lycée provincial de Dédougou, explique : « Après avoir pris les 5 comprimés qu’on m’a donnés, j’ai eu mal au dos et j’ai été incapable de bosser. Je n’ai pas pu faire l’EPS (NDLR : l’épreuve physique et sportive) ». Yacouba Kouaté, son compagnon de classe, a eu des maux de tête. Ces élèves ont affirmé avoir mangé avant de prendre les comprimés.

Du cas de la petite Kadidiatou

Certains se sont plaints des effets secondaires qui, pour la plupart se rapportaient à des vomissements, des diarrhées, des nausées, des douleurs abdominales, des maux de tête, des insomnies. Un décès a même été enregistré. Il s’agit de la petite Kadidiatou Traoré de 2 ans 6 mois à qui des agents auraient donné les comprimés (1 comprimé de praziquantel et 1 d’albendazole).

Clotilde Ouédraogo sa mère explique que sa fille est décédée le 1er novembre 2006. L’ayant rencontrée, nous lui avons demandé de raconter le douloureux événement qu’elle a vécu. Un lourd silence pèse durant environ une minute. Avant de s’exprimer, tête baissée, elle laisse échapper un soupire. « Il y a 8 jours de cela que ma fille est décédée (NDLR : l’entretien a été réalisé le 08 novembre 2006).Tout a commencé dans la soirée du 31 octobre vers une heure du matin par une forte fièvre (NDLR : elle soulignera que c’est le même jour vers 10 h que sa fille a reçu les comprimés).

J’ai essayé en vain de calmer la fièvre. A 5 h du matin, vu que la fièvre perdurait, je l’ai emmenée à l’infirmerie du camp militaire. J’y suis arrivée à 5 h 30. L’agent de santé m’a demandée ce qu’elle avait. J’ai expliqué son état de forte fièvre, ses vomissements, et son état déshydraté. » La voie monotone et posée, elle poursuit, toujours tête baissée. « L’agent de santé m’a demandée si je lui avais donné les comprimés qu’on distribuait le matin. J’ai répondu oui.

Il m’a dit que je ne devais pas le faire en remuant sa tête ». Sur cette parole, elle relèvera la tête pour nous fixer. Que s’est-il passé par la suite ? Quelques secondes après, elle poursuit : « On m’a prescrit des médicaments que j’ai achetés. Après avoir administré le produit, l’agent de santé m’a orienté vers le grand hôpital (NDLR : le Centre hospitalier régional de Dédougou). J’y suis arrivé vers 7h. Des femmes m’ont reçue. Je leur ai expliqué que ma fille faisait de la fièvre. Elles m’ont dit qu’elles vont prendre sa température. Et avant qu’elles aient eu le temps de prendre sa température...elle est décédée », conclut-elle. Le silence retombe.

Sur la fiche sanitaire délivrée par la pédiatrie du camp militaire, libelléé : « examen demandé », il y est littéralement écrit : « reçu ce jour pour une diarrhée, vomissement, anémie, anorexie, T 39°5 ». (NDLR : T= température). Les indications médicales se poursuivent par des termes techniques que seuls « les initiés » comprendront : « diaze pam inj Qx 0,20 EPPI par voie rectale. Mauvais état général ».

La fiche se termine par « Je vous l’envoie avis et une meilleur prise en charge » (NDLR : la faute d’orthographe du mot « meilleur » est du document) signé « traitant » avec le tampon « régiment parachutiste commando ». Quant à l’ordonnance, elle mentionne : « Diaze pam inj 1 amp. Seringue 5 cc n°1, Qx 0,20 n°1 ». Et le carnet de santé de Kadidiatou est précis sur la date de son décès. Il y est simplement écrit : « Arrivée et Dcd » (NDLR : Dcd=décédé) avec le tampon en rouge « 1 nov 2006 », fait par la section pédiatrique du CHR. Les indications du carnet disent « référé du camp militaire pour diarrhée, vomissement, anémie ». La dernière consultation de Kadidiatou remonte au 27 février 2006. Aucune trace de maladie signalée dans le carnet.

Selon Clotilde Ouédraogo, c’est sa fille aînée de 6 ans qui a reçu en première position, le jour de la distribution, les comprimés après que les agents aient demandé son âge. « Ils ont pris sa taille et lui ont remis deux comprimés » (un praziquantel et un albendazole). Il les a avalés sur place selon sa mère. Pour cet enfant, elle a dépensé 2650 F CFA en frais d’ordonnance pour la soigner des effets secondaires. En revanche pour la cadette, les agents n’ont pas demandé son âge. « Ils ont simplement pris sa taille et ont donné les deux comprimés identiques à ceux reçus par la grande sœur ».

La mère de Kadidiatou a avoué avoir reçu trois comprimés de Praziquantel. Or, sa taille, prise auprès d’un tailleur, est de 167 cm. Comme les mesures peuvent ne pas être parfaites, considérons une imperfection de plus ou moins 2 cm. Selon la posologie, la tranche comprise entre 160 cm et 178 cm a droit à 4 comprimés.

Et la mère de Kadidiatou quels que soient les plus ou moins 2 cm sur sa taille rentre dans ce lot.

Pourtant, elle a reçu trois comprimés. Le jeune élève Kinda qui mesure 173 cm, a reçu 5 comprimés alors qu’il devait en recevoir 4. Son ami Kouéta, 172 cm, a eu 5 comprimés au lieu de 4.
Et comme disait un agent de santé à Dédougou, « on a appris en littérature médicale qu’une approximation dans le diagnostic est tolérée mais, une approximation dans la prise des médicaments n’est pas permise. » Cela peut être fatale. Un autre individu qui a été aussi secoué par le produit est un paysan de Oulani.

Un agent de santé a confirmé qu’il présentait des symptômes tels des douleurs lombaires, des vomissements et avait perdu l’usage de la voix. Il a été sauvé de justesse et est rentré chez lui, selon l’agent de santé. Le cas du chef de centre de l’ONEA, Théodore Kaboré est pathétique. Bien qu’il ait été invité à la cérémonie de lancement de la campagne le 25 octobre, sa posologie sera faussée. Du fait que l’homme mesure 173 cm, il devait avoir 4 comprimés. On lui en a donné 5. Il a vomi quatre fois dans la nuit du deuxième au troisième jour après la prise des comprimés, selon ses propos.

Le troisième jour, il a vomi selon lui, plus de dix fois. Transporté à l’hôpital, on lui administre coup sur coup trois poches de perfusion couplées à la vogalène. « Même la vogalène n’a pas stoppé mes vomissements. Et c’est la première fois que je tombe ainsi malade car je ne me suis jamais couché d’une maladie quelconque pendant trois jours et être perfusé ».

Sa fiche de consultation indique « pour vomissement bilieux accompagnée (NDLR : la faute d’orthographe (e muet à accompagnée provient du document) de diarrhée liquidienne le tout évoluant depuis 96 heures environ (NDLR : 4 jours environ après la prise) dans un contexte d’asthénie, anorexie, insomnie, fièvre et courbature (astralgie) et présence de geardion intestinaliste dans les selles ». Quant à l’administration selon la taille et non le poids, plusieurs agents de santé ont confié qu’ils ont l’habitude d’administrer les doses en fonction du poids et non la taille.

Des erreurs aux conséquences graves

Les insuffisances dans cette campagne, vont du non-respect des posologies, avec en sus, un mauvais recrutement des agents chargés de l’opération aux conditions d’hygiène non appropriées. « Tous les agents n’étaient pas de la santé », a soufflé un infirmier. Vérification faite, une balayeuse de jour et élève en cours du soir, était du lot de ceux chargés de distribuer les médicaments. Le rejet du médicament a été radical par les populations.

M. Kansié, enseignant, déplore les conditions d’hygiène car « comment peut-on utiliser 2 gobelets pour une classe de 90 élèves ? ». Ce système fut utilisé pour tout l’établissement selon des sources. Cette stratégie, selon Dr Nikièma, a été recommandée par l’OMS : « On devait utiliser le système de désaltération des scolaires à l’école d’où les gobelets ». Le docteur Touré va plus loin : « il était demandé d’utiliser un seau et un gobelet pour 500 personnes. ». Mais, ne pouviez-vous pas utiliser des gobelets jetables quand on sait qu’il y a des maladies transmissibles par la salive comme l’hépatite ? « Cela était envisageable mais, je ne sais pas si les ressources financières prévues pouvaient faire cela ou pas. Cependant, je ne peux pas me prononcer sur les aspects gestion et finance parce que je suis un médecin de santé publique », rétorque le docteur Laurent.

Pour le Dr Touré, « l’utilisation des gobelets jetables est une suggestion qui pourrait être prise en compte dans les campagnes de masse à venir. ». La campagne a été gérée par le district sanitaire selon nos informations. Cependant, le médecin-chef de district que nous avons rencontré n’a pas voulu se prononcer sur la question malgré notre insistance.

Le comble est que cette méthode, dite utilisée par le système scolaire, a été aussi utilisée dans les marchés, les gares, les lieux publics avec tous les risques que cela comporte. En plus, le service d’urgence de l’hôpital n’a pas été associé à la campagne afin qu’il puisse prendre des précautions pour faire face aux cas d’effets secondaires, a révélé une source qui a requis l’anonymat. Il a confirmé le cas du comateux pris en charge. Aussi a-t-il reconnu qu’ils ont reçu trois cas d’urgence. Un autre infirmier a affirmé que les cas d’effets secondaires, s’ils sont reconnus consécutifs à la prise des médicaments devaient être pris en charge par le district gratuitement. Les autres tels que la fille aînée de Clotilde Ouédraogo, le chef de centre de l’ONEA,
Le chef de centre de l’ONEA (Dédougou) présentant ses fiches de consultation médicale lors de sa convalescence

Théodore Kaboré qui a dépensé 48 284 F CFA de frais d’ordonnance sans compter les frais d’hospitalisation de 3000 f /jour durant 3 jours et les cas d’urgence, n’ont pas bénéficié de cette faveur. Où est passée leur prise en charge ? Selon le coordonnateur « il était mis à la disposition des kits pharmaceutiques de paracétamol pour les céphalées. » Pourtant, aucun de ceux qui ont présenté des effets secondaires n’ont reçu quoi que ce soit.

Qui est coupable ?

Dans nos investigations, une femme agent de santé, ayant participé à l’opération, a laissé entendre que dès les deux premiers jours, des plaintes leur sont parvenues faisant état de vomissements, de vertiges, de maux de tête etc. Selon elle, les supérieurs ont été informés puisqu’un bilan de l’opération était fait au quotidien à la hiérarchie. Malgré tout, l’opération s’est poursuivie sans une réaction conséquente de la hiérarchie.

Peut-être, c’est ce qui justifie les propos de M.C, agent de santé : « la campagne était politique, sinon, il aurait fallu prendre le temps nécessaire, au besoin faire des investigations avant de lancer l’opération ». Grâce aux informations fournies de diverses sources et recoupées, nous sommes parvenus à remonter à ceux qui ont distribué les comprimés à l’autogare. Jeudi 9 novembre. CHR de Dédougou. 9 h. Mme S. O. est là. Après quelques hésitations, elle confirme avoir distribué les médicaments à l’autogare.

Elle confie qu’elle n’était pas seule mais était avec un autre agent de santé. « Il est mieux que vous reveniez à midi, là on pourrait à deux échanger avec vous parce que je peux dire quelque chose qui peut me compromettre » 12h00. M.C est là. M.C et S.O expliquent simultanément qu’ils ont travaillé dans des conditions difficiles. Quant au fait qu’ils auraient pu donner le médicament à un enfant, M.C. dira qu’après tant de temps écoulé, il ne peut pas se « remémorer le film » de l’administration. Aussi, selon lui, le milieu dans lequel ils évoluaient « était difficile à sonder car plusieurs personnes venaient à eux ».

Un agent de santé du centre médical urbain de Dédougou a précisé que certains, après avoir pris les comprimés se sentaient tellement à l’aise qu’ils revenaient pour en demander. « On le leur refusait mais il n’est pas exclu qu’ils aient opéré plusieurs prises ». Là encore, il devait y avoir un système permettant d’identifier ceux qui ont déjà reçu les comprimés de ceux qui ne les ont pas encore reçus.

Une autre défaillance. Pendant que des agents de santé insistaient mordicus pour que les comprimés soient avalés sous leurs yeux, obligeant certains à aller manger et revenir, d’autres personnes ont pu avoir les comprimés qu’ils ont, soit jetés soit gardés par devers eux. « J’ai reçu les comprimés mais vu ce que dame rumeur racontait de ce produit et ayant constaté les effets secondaires chez certains, j’ai préféré les jeter aux W.C », a affirmé un enseignant du lycée provincial. Le coordonnateur a révélé que les consignes étaient claires : « personne n’avait le droit d’emporter le médicament. Il devait être avalé sur place ». Et pourtant !

Les Dédougoulais rejettent aujourd’hui les campagnes de masse. Toute chose qui prouve que les erreurs en médecine ne se pardonnent pas.

Daouda Emile OUEDRAOGO

Sidwaya

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