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Médias tchadiens : Un censeur nommé Déby Itno

Publié le jeudi 7 décembre 2006 à 08h16min

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C’est sûr, aucun journaliste, à travers le monde, n’est prêt à vivre ce que subissent actuellement ses confrères de la presse privée tchadienne, obligés comme ils le sont, depuis quelques semaines, de soumettre leurs articles à une commission de censure chargée d’en extirper les éléments susceptibles de porter atteinte à la “cohésion nationale”.

Tout le malheur de la presse se trouve dans le fameux décret N°1014. Il fait obligation à tout organe de la presse privée de soumettre à une commission de censure l’exemplaire provisoire de chaque numéro du journal à imprimer.

Aux manettes de la censure, deux personnes sûres du régime à N’Djamena : Mahamat Saleh Yacoub, secrétaire général du ministère de la Communication, et Nguérébaye Adoum Saleh, conseiller du ministre dudit ministère, devenus grands correcteurs des médias, avec tout le zèle qu’on peut imaginer pour ne pas se voir reprocher, après parution, d’avoir laissé passer des choses désagréables.

Quotidiennement, avec leurs ciseaux, ils procèdent à la coupure de tout ou partie de plusieurs articles de presse susceptibles, comme on l’a dit, de "porter atteinte à la cohésion nationale". Une radio communautaire a été fermée.

Cette mesure de censure préalable a été instaurée le 14 novembre 2006 au lendemain de l’état d’urgence qu’Idriss Déby Itno a décrété à N’Djamena et dans six régions suite aux affrontements entre communautés arabes et non arabes dans l’est tchadien. Cette zone du pays est depuis, on le sait tous, le théâtre de combats entre l’armée loyaliste et des bandes rebelles soutenues, selon le Tchad, par le Soudan.

Le 23 novembre, avec la bénédiction du Parlement, le pouvoir procédait à une prorogation de l’état d’urgence avec tous ses effets nocifs sur la presse, qui voit le filtre préalable prolongé pour une période de six mois. Cet imprimatur gouvernemental appelait à une réaction vigoureuse des responsables des médias, qui ont décidé, à compter d’hier 6 décembre, de suspendre pour 15 jours leur parution.

Dans cet enfer, l’unique canard qui est vraiment à l’aise, c’est bien le journal privé progouvernemental qui est le seul à continuer à avoir une parution normale. La censure, tout le monde est d’accord là-dessus, est condamnable.

Et rien ne peut la justifier, car non seulement l’abus que l’on peut faire d’une chose ne doit pas être un prétexte pour en interdire l’usage, mais surtout, la vérité finit toujours par triompher, qui plus est, à l’heure des technologies de l’information et de la communication (TIC).

En fait, le veto médiatique est une pratique permanente qui se fait de façon insidieuse dans tous les pays du monde. Ce n’est pas l’apanage de nos républiques bananières. Même dans les démocraties les plus élaborées, il y a des situations graves qui poussent l’Etat à prendre des mesures restrictives des libertés collectives et individuelles.

Le cas le plus patent, on l’a enregistré aux Etats-Unis où après le 11 septembre 2001, Washington a pris quelques mesures allant dans le sens de la censure. Bien sûr, elles sont toutes douces et presque imperceptibles sur le terrain dans le quotidien des médias sans jamais prendre la forme hideuse comme c’est le cas présentement à N’Djamena.

Le cas tchadien mérite que l’on s’y attarde un peu. Dans ce nouveau pays pétrolier, le paysage médiatique ne fourmille pas de titres comme dans d’autres pays africains qui n’ont pourtant aucune goutte de pétrole. Née à la faveur du vent démocratique des années 90, la presse tchadienne, plutôt que d’affirmer son indépendance, a préféré entrer pleinement dans le débat politique partisan, en s’affichant de tel ou tel bord.

Alors qu’on s’attendait à ce qu’elle joue son rôle de critique, de contrepoids et d’accompagnateur de la démocratie. Ainsi, on a eu des médias proches du pouvoir et d’autres, ancrés résolument dans l’opposition. Et ce statut de presse d’opposition, beaucoup de médias le revendiquent ouvertement pour ne pas dire qu’ils s’en glorifient.

Dans ces conditions, il n’y a pas à s’étonner que les gouvernants les traitent exactement comme des opposants. Loin de nous l’idée de donner des leçons, mais le bon sens veut qu’une presse ne se réclame ni du pouvoir ni de l’opposition. Son rôle, nous le croyons, c’est d’informer l’opinion, de critiquer les faits, gestes et projets du gouvernement, mais aussi ceux des opposants et de la société civile si elle veut se faire respecter.

Et si pour un organe de presse s’afficher proche du pouvoir ou être simplement suspecté comme tel sont pratiquement une maladie honteuse, se voir qualifié de presse d’opposition (parfois à travers le prisme déformant des Occidentaux) est vécu comme une gloire alors que toutes les deux situations relèvent du même péché.

En matière de presse, la liberté est inséparable de la responsabilité. Du reste, dans les textes, les journalistes peuvent tout dire et écrire sans abus. Mais en Afrique, c’est malheureusement très souvent le cas, chaque média choisit son camp : pouvoir ou opposition.

Avec la complicité des pays occidentaux et surtout des mouvements et associations des droits humains, la presse dite d’opposition est béatifiée, si bien que pour l’opinion publique, le bon journaliste est celui qui est résolument contre le pouvoir en place.

Si donc Déby Itno qui n’a jamais supporté les critiques des médias a bondi sur le premier prétexte en or qui s’est présenté à lui pour jouer au censeur, on se demande bien si nos confrères tchadiens, souvent accusés de toutes les outrances, de toutes les diffamations, bref de non-respect des règles éthiques et déontologiques qui régissent la profession, n’ont pas eux-mêmes fait le lit de cette anastasie qui lie aujourd’hui leur plume.

Il faut donc condamner certes cette dernière dérive totalitaire du régime Déby, mais n’est-ce pas aussi l’occasion pour tout journaliste du Tchad de faire son autocritique, de se regarder dans la glace pour améliorer son image ?

Mais quoi qu’il en soit, le pouvoir de N’Djamena a manqué de tact en procédant ainsi. Car tant qu’à censurer sous ce format, il aurait dû se hisser courageusement à la hauteur de ses péchés en suspendant carrément les titres. Mais est-ce seulement possible dans notre monde où les technologies de l’information et de la communication rendent difficile toute censure ?

Rien n’empêche, en effet, les journaux censurés de placer sur un site internet les articles que les censeurs auraient jugés bons pour la poubelle. Ces papiers que N’Djamena ne voudrait pas voir pourraient alors être abondamment repris à l’étranger. Or, c’est ce dont nos gouvernants ont le plus peur : être mal vu par l’extérieur.

San Evariste Barro

L’Observateur

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