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Décès du Professeur : Ki-Zerbo saara (1)

Publié le mardi 5 décembre 2006 à 07h41min

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Le député Joseph Ki-Zerbo

Le Professeur Joseph Ki-Zerbo, historien et homme politique est décédé hier à Ouagadougou à l’âge de 84 ans. C’est, à n’en pas douter, une bibliothèque dans tous les sens du terme qui vient de s’éteindre.

Comment tracer en quelques traits de plume une vie aussi riche et pleine comme le fut celle du professeur Joseph Ki-Zerbo, sans trahir ou omettre quelques facettes de cette personnalité aux multiples casquettes ?

Telle est l’équation qui se posait hier à notre rédaction quand, sur le coup de 10 heures, nous avons appris la mort du patriarche. Et que nous avons dû résoudre à chaud. Beaucoup, surtout ceux de la jeune génération, ne connaissent en fait que l’homme politique, mais il faut dire que le fils d’Alfred Diban Ki-Zerbo, né le 21 juin 1922 à Toma fut d’abord un intellectuel accompli et fécond, auteur d’une abondante littérature souvent non publiée, dans des domaines aussi variés que la politique, l’histoire, la société, l’écologie, l’éducation, la culture, le développement, etc.

Au total, c’est environ 200 publications que le Centre d’études pour le développement africain (CEDA) a repertoriés jusque-là (le travail de collecte se poursuivant) "aux fins de sauvegarde et de conservation sur leurs supports originels, de publication sous forme de livres et de plaquettes, de diffusion aux moyens de technologies disponibles de l’information et de la communication".

Mais ses œuvres les plus connues restent à coup sûr "Le Monde africain noir" (Paris, Hatier, 1964), "Histoire générale de l’Afrique", un ouvrage collectif (Paris, Présence africaine/Edicef/UNESCO, 1991) et "A quand l’Afrique ?", son dernier livre majeur, des entretiens avec René Holenstein (Editions de l’Aube, prix RFI Témoin du monde 2004) qui est un peu son testament politique.

L’un des plus grands penseurs de l’Afrique contemporaine, il va renouveler avec le Sénégalais Cheikh Anta Diop l’histoire du continent berceau de l’humanité, question de redonner aux Africains un contrôle si minime soit-il sur la définition de leur passé souvent écrit par les autres.

Jusqu’à ce que la maladie l’éloigne depuis quelques mois de la scène socio-politique, celui qui fut le premier agrégé d’histoire de notre pays et secrétaire général du CAMES (1), était un esprit vif et alerte, volontiers railleur avec un art consommé de la formule et de la métaphore dont certaines seront passées dans la postérité, aussi bien dans ce français qu’il maîtrisait à la perfection que dans nos langues nationales.

On lui attribue ainsi la paternité du slogan fétiche du Collectif "Nan laara, an saara" (2) ou son célèbre "Je suis un président sorti et non sortant" lancé au cours du dernier congrès du PDP/PS début février 2005 quand il a passé la main à son fidèle lieutenant Ali Lankoandé. Jusqu’alors, à ceux qui voulaient le pousser à la porte et qui faisaient du rajeunissement du parti une fixation, il répondait invariablement qu’"un vieillard assis voit mieux qu’un jeune homme debout".

Sur le terrain politique, ce grand Samo qui vient de s’éclipser fut fondateur, en 1958 à Dakar du Mouvement de libération nationale (MLN) avec d’éminents intellectuels africains tels Albert Tévoédjré du Bénin et un certain Abdoulaye Wade qui sera 42 ans plus tard, élu président du Sénégal.

Pour mémoire, rappelons que le MLN prôna le "non" au référendum proposé par le général de Gaulle en 1958 pour la communauté franco-africaine et réclama l’indépendance, tout de suite. A ce titre, il fera partie des intellectuels africains qui rejoindront la Guinée de Sékou Touré pour tenter d’assurer la relève des cadres français suite au "non" retentissant de ce pays audit référendum.

En sautant quelques péripéties, on le retrouve candidat malheureux à la présidentielle voltaïque de 1978, avant d’être contraint à l’exil cinq années plus tard sous la révolution sankariste et condamné par un TPR. Il ne rentrera au bercail qu’en 1992 pour créer la Convention nationale des patriotes progressistes/Parti social démocrate (CNPP/PSD).

En 1996, c’est le divorce et la fondation du Parti pour la démocratie et le progrès/Parti socialiste (PDP/PS) pendant que la frange restée CNPP/PSD allait fusionner avec l’ODP/MT, en même temps que d’autres partis, pour donner naissance au CDP.

Après avoir occupé la présidence de sa formation politique pendant 10 ans, celui qui était encore l’un des derniers dinosaures de la faune politique burkinabè toujours en activité a pris sa retraite politique début février 2005, lors du dernier congrès du PDP/PS comme on l’a vu plus haut. Quelques temps après, il cédait son siège de député à son suppléant Etienne Traoré, professeur de philosophie morale et politique à l’université de Ouaga.

Ces dernières années, celui qui a reçu en 2000 le "Prix Kadhafi des droits de l’homme" on ne peut plus controversé pour des raisons évidentes, a surtout été vu sur le front de la lutte contre l’impunité, notamment au sein du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques né après l’assassinat de Norbert Zongo.

On l’aura ainsi vu trainant sa longue silhouette lors des marches-meetings, battant le pavé ouagalais sous un soleil de plomb malgré les outrages du temps. Il sera mort dix jours avant le 8e anniversaire du drame de Sapouy.

Si on devait paraphraser la célèbre figure de son style de son cru, on dirait Ki-Zerbo ma laa, Ki-Zerbo saara, autrement dit Ki-Zerbo est mort les armes à la main. Nous autres, journalistes n’oublions d’ailleurs pas que celui qui vient de nous quitter, a pratiqué ce métier jadis. En effet, il fit partie, avec son condisciple de séminaire et plus tard beau-frère de Joseph Ouédraogo (Jo Weder) de la première équipe rédactionnelle d’"Afrique Nouvelle" le premier journal panafricain de l’Afrique occidentale française (AOF).

Il fut d’ailleurs, avec d’autres comme Frédéric Guirma ou Laurent Bado, une des grandes plumes de L’Observateur à ses tout débuts. Les gens d’une certaine génération se souviennent encore de "l’Armée voltaïque et notre avenir", son fameux écrit qui valut à ce journal sa première saisie, le 6 mai 1974.

Le professeur a donc tiré sa révérence et laisse un lourd héritage plein d’enseignements.

Et si ses idées et sa carrière politiques ont souvent été controversées (on lui a souvent reproché, à tort ou à raison, le côté élitiste et intellectualiste de son engagement et de ses formations politiques qui ne seraient des partis de masse voués à la conquête et à la gestion du pouvoir d’Etat), ce que nul par contre ne peut lui contester, c’est son envergure intellectuelle qui fit de lui, l’un des universitaires burkinabè et africains les pus connus à travers le monde.

Ousséni Ilboudo

Notes :

(1) Ki-Zerbo est mort en dioula

(2) Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur dont le siège est à Ouaga

(3) Si vous vous couchez, entendez si vous ne vous levez pas pour lutter, vous êtes morts.

L’Observateur

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Vos commentaires

  • Le 5 décembre 2006 à 10:24, par NATREMY En réponse à : > Décès du Professeur : Ki-Zerbo saara (1)

    que les esprits d’Afrique t’accompagne.mon grand souhait etait de retourner au pays pour te rencontrer avant que l’appel de dieu ne soit prononcé.rien que cette nuit dans mon reve,j’ai parlé
    de toi à un autre jeune qui avait soif de te connaitre.tout ce que je sais est que tu as accepté
    l’invitation pour l’initiative que nous organisons ici en avril 2007.Je pleure de ne t’avoir pas rencontré avant,je pleure aussi fort pour le Burkina qui en avait encore besoin de toi.
    QUE LA TERRE TE SOIT LEGERE.

  • Le 5 décembre 2006 à 13:36, par dnacoulma En réponse à : > Décès du Professeur : Ki-Zerbo saara (1)

    Des Burkinabé étudiants à Louvain la Neuve viennent d’apprendre cette triste nouvelle. Juste pour présenter à toute la famille du défunt, à toute la classe politique et intéllectuelle burkinabé, nos sincères condoléances.
    "Que la terre lui soit légère" Wend na manega a reeng taoré, wend na gou a sen bassé"

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