Amadou « Balaké », la voix d’or du Burkina
Le rendez-vous a été fixé en fin de matinée. La veille, l’orchestre Africando dont il est membre, s’est produit au New Morning, une prestigieuse salle parisienne, à l’occasion de la sortie du septième album de ce groupe musical fondé il y a quinze ans par le Sénégalais Ibrahima Sylla.
Cet nouvel opus intitulé "Ketukuba" rend hommage au regretté Gnonas Pedro, décédé en août 2005 mais qui a eu le temps d’enregistrer une des onze chansons que contient l’album.
L’homme est d’une surprenante simplicité et ne semble pas se prendre au sérieux. Il porte un tee-shirt bleu foncé, surmonté d’un blouson de même couleur. Malgré les 62 hivernages qu’il a sur son compteur, en témoigne la pelouse blanche qui recouvre son crâne, Amadou Balaké affiche une forme presque olympique et une joie de vivre qu’il transmet facilement à son interlocuteur.
C’est en 2001 que Amadou Balaké a intégré Africando (ando signifie en Wolof, unité) à la demande de Boncana Maïga, célèbre producteur arrangeur bien connu dans le milieu du show-biz africain.
Une chance pour lui de donner une nouvelle impulsion à sa longue carrière musicale construite dans plusieurs villes africaines depuis plus de quarante ans, et une juste récompense pour celui qui incarne à lui seul, la diversité et l’unité africaine. Car Amadou Balaké est autant Burkinabè que Malien, Guinéen ou Ivoirien et sa musique, qui se décline sur le rythme afro-cubain est chantée essentiellement en mandingue. « Contrairement à Georges Ouédraogo, mon mooré n’est pas pur, donc je m’abstiens de chanter dans cette langue », confesse Amadou Balaké.
Sur sa carte d’identité, il s’appelle Amadou Traoré, né en mars 1944 à Ouahigouya, dans le nord-ouest du Burkina Faso. En fait, il aurait dû s’appeler Amadou Lompo, le vrai nom patronymique de ses parents et grands parents, originaires de Fada N’gourma, en pays gourmatché, dans l’est du pays. Avant de prendre le nom Traoré suite à de profondes brouilles avec ses frères, son père qui a été militaire à Gao, au Mali pendant 15 ans sous le drapeau français, s’appelait Fifou Lompo, et les enfants nés avant le changement de nom sont des Lompo.
Après sa mort, Amadou et ses frères chercheront à toucher la pension de leur père, en vain. Selon le fonctionnaire chargé du paiement des pensions, un certain Emile, originaire de Réo, le livret de monsieur Lompo serait partie en fumée dans un incendie !
En 1952, sa mère Awa Maïga, devenue veuve, quitte Ouahigouya où son mari est enterré et s’installe à Dapoya, un quartier de la capitale, Ouagadougou. Attiré par la musique, le futur Balaké fréquente les orchestres qui se produisent dans les bars de la capitale. Il regarde, écoute et s’exerce dans un premier temps à la percussion, puis à la chanson. Dans la famille, on apprécie que très modérément la passion du petit Amadou, ironiquement traité de griot. « C’est quand j’ai payé le pèlerinage de ma mère à la Mecque qu’on a commencé à me prendre au sérieux » explique t-il.
Quelque temps après leur arrivée à Ouagadougou, Amadou Traoré obtient un poste d’apprenti chauffeur chez son beau frère à Mopti, au Mali. Au bout de six ans, il revient à Ouagadougou et travaille comme manœuvre dans une entreprise de Travaux publics. « C’est nous qui avons construit l’hôtel Indépendance en 1961 » se rappelle t-il, avec fierté. Cette même année 1961, il obtient son permis de conduire et devient taximan tout en continuant à faire de la musique. Mais le propriétaire du véhicule, opposé à cette double activité finit par retirer son bien.
Qu’importe, Amadou Traoré a conscience de ses talents et de ses capacités à réussir dans la musique grâce surtout à sa voix au timbre particulier.
Son aventure de musicien professionnel commerce en 1962, au Mali. Il intègre l’orchestre du Grand hôtel, qui anime tous les soirs le Moulin Rouge, une boite de nuit de Bamako.
En 1963, il quitte la capitale malienne et atterrit à Abidjan où avec des Italiens, il joue au Tropicana, à l’hôtel Ivoire. La collaboration dure à peine six mois et notre aventurier décide de partir en Guinée. Grâce aux bons soins d’une amie membre du bureau politique du Parti démocratique de Guinée, parti unique à l’époque, il est nommée chef d’orchestre de Horoya Band de Kankan.
Très vite, les relations entre cette « dame mariée » et son protégé prennent une allure qui ne plait guère à ce dernier. Lequel se résout finalement à faire ses valises, puis débarque d’abord à Conakry, et ensuite à Mamou où, à la tête du Bafinf Jazz, il participe à des compétitions artistiques. Il est régulièrement sollicité pour animer les meetings que le président Sékou Touré organise à l’intérieur du pays.
Dans les premières années qui ont suivi les indépendances, le leader guinée Sékou Touré entretient des relations exécrables avec certains de ses pairs africains, notamment les présidents Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, Maurice Yaméogo de la Haute-Volta (Burkina Faso actuel) et Léopold Sédar Senghor du Sénégal. Amadou Traoré sera une victime collatérale de cette haine entre le camp des socialistes et celui des pro-occidentaux.
Dénonçant sa trop grande proximité avec l’ancienne puissance coloniale, Sékou Touré traite le président ivoirien de valet de l’impérialisme français, hostile à l’unité africaine. Prenant la défense de Houphouët-Boigny, le président voltaïque lui répond, le qualifiant à son tour de représentant du communisme, véritable ennemi des Africains. Sur les ondes de la radio nationale, il s’en prend à Sékou Touré dans des termes d’une vulgarité indignes d’un chef d’Etat. « Qui est donc ce Sékou, alias Touré, qui désire tant qu’on parle de lui ? Un homme orgueilleux, menteur, jaloux, envieux, cruel, hypocrite, ingrat, intellectuellement malhonnête...Tu n’es qu’un bâtard parmi les bâtards qui peuplent le monde. Voilà ce que tu es, Sékou, un bâtard des bâtards ».
C’est alors que l’entourage de Sékou Touré se tourne vers Amadou Traoré et lui demande de composer une chanson en réponse au président voltaïque qui, aux yeux de Sékou Touré n’est « qu’un commis voyageur de la division de l’Afrique et garçon de courses de Houphouët-Boigny ». Ce qu’il refuse. « Comment pourrais-je rentrer chez moi si j’insulte mon président ? » se justifie t-il. Estimant que le climat ne lui parait plus serein, Amadou Traoré demande et obtient une audience avec le numéro un guinéen et lui exprime son envie de rentrer voir sa mère. A sa grande surprise, Sékou Touré ne s’y oppose pas, mieux il lui offre des travellers chèques, le franc guinée étant inconvertible.
Revenu au pays, il réintègre l’Harmonie voltaïque où il avait joué avant de s’expatrier et qui est maintenant dirigée par Maurice Simporé. La chanson qu’il compose, « balaké » qui veut dire porc-épic en mandingue, est un succès musical, médiatique et commercial dans plusieurs pays d’Afrique. Depuis lors, on l’appelle Balaké.
Ce brusque succès va toutefois lui créer des ennuis. Selon Amadou Balaké, Maurice Simporé « m’a chassé du groupe en arguant que l’Harmonie voltaïque n’est pas un orchestre mandingue. Un faux prétexte, car en vérité, il était jaloux de ma popularité », croit-il savoir.
Avec son expérience d’ouvrier dans les Travaux publics, Amadou Balaké est recruté par ITS, une entreprise allemande qui a assuré le bitumage de la route Ouagadougou-Pô en 1969. Victime d’une fracture de la jambe droite suite à un accident de travail, Amadouy Balaké se sent en quelque sorte condamné à réussir dans la carrière musicale. En 1970, il forme un groupe dénommé « Les « Cinq consuls de Balaké » qui égaie les soirées du Don Camillo, alors situé non loin du ciné Rialé.
En 1971, il enregistre un 33 tours, « Mdolla Yacouba » (mon amant Yacouba), avec Adama Ouédraogo, patron du club voltaïque de disques. Il est ensuite sollicité par un jeune producteur nigérian résidant à abidjan, Aboudou Lassissi dont les propositions financières n’étaient pas inintéressantes. Avec lui, Amadou Balaké enregistre à Ibadan « Taximan n’est pas gentil », très bien accueilli par la presse et le public.
Après ce succès, le nouveau duo s’envole pour New-York où il enregistre le tube Yamba (drogue) en 1976-77. Suite à une dispute, Aboudou Lassissi qui payait la chambre d’hôtel de Balaké, le somme, en plein hiver, de la libérer sans délai ! Par chance, un ami le met en contact avec un chef d’orchestre de Broadway qui l’emploie comme chanteur dans une boite de nuit. Ses prestations plaisent au public et à son patron qui décide de le garder.
Le séjour américain sera pourtant de courte durée. Informé que sa mère, de retour de la Mecque, est souffrante et a perdu la parole, Amadou Balaké décide de rentrer au bercail avec en tout 600 000 F CFA en poche. Assez pour rallier Ouagadougou via Abidjan à bord de la Gazelle, le train qui assurait alors la liaison entre les deux capitales.
Mais quelle ne fut sa surprise à son arrivée de voir que sa mère en parfaite santé, vaque tranquillement à ses occupations ! Amadou Balaké comprend qu’il a été l’objet d’une manipulation de son ex-producteur, résolument décidé à lui mettre les battons dans les roues.
A quelque chose malheur est bon dit-on, car ce retour précipité lui aura permis d’être aux côtés de sa mère qui décédera quelques semaines plus tard.
Après cet épisode douloureux, Amadou Balaké s’installe définitivement au Burkina où il « fait de petites choses qui me permettent de gagner honnêtement ma vie », jusqu’à ce que Boncana Maïga lui propose d’intégrer le groupe Africando.
A 62 ans, père de neuf enfants, Amadou Balaké n’est pas prêt de prendre sa retraite. Il met actuellement la dernière main sur un album qui devrait sortir d’ici la fin du mois de décembre 2006. « C’est un hommage au défunt président Sangoulé Lamizana, le meilleur président que le Burkina ait connu ».
Lorsqu’on lui demande les raisons qui empêchent la musique burkinabè de s’imposer hors de ses frontières, la réponse est sans ambiguïté : « Nous avons un complexe vis-à-vis des autres. Nous imitons beaucoup les étrangers alors que nous pouvons faire mieux. Mais nous sommes tellement modestes au point de douter de nos propres capacités de créations », estime celui qui a appris la musique sur le tas et qui, sur scène, étonne toujours ses partenaires. « Pourquoi va t-on louer des musiciens étrangers pour nos animations alors que les autres pays ne pratiquent pas la réciprocité ? » interroge le lauréat du disque d’Or de la Radio télévision ivoirienne en 1982.
Les autorités devraient selon lui, multiplier les occasions pour que les jeunes, tels Bill Akakora, Sami Rama, Amety Méria, Zêdess... puissent exprimer leurs talents, eux qui se battent pour faire connaître la culture burkinabè dans le monde. « Ce que nous anciens voulons, c’est que les jeunes nous dépassent en création et en popularité ».
Son seul regret est de n’avoir pas bénéficié d’une scolarité, même élémentaire en dehors de l’école coranique. « C’est un handicap car je suis obligé de faire toujours appel à quelqu’un pour accomplir certaines formalités », lâche t-il dans un soupir.
Par Joachim Vokouma
Lefaso.net