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Crise ivoirienne : De Lomé à Addis-Abeba, peut-on tricher avec l’histoire ?

Publié le vendredi 20 octobre 2006 à 07h44min

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Mbeki, Gbagbo et Obasandjo

Un proverbe africain dit : « Quand vous avez le bouc pour parent, chaque jour de marché que Dieu fait, vous déversez toutes vos larmes ». Ceux qui, du fond du cœur, aspirent au retour de la paix en Côte d’Ivoire, ont versé des larmes à Lomé quand Eyadéma s’en est lavé les mains comme pour dire : « Prenez votre crise et résolvez-la vous-mêmes ».

Ils ont plusieurs fois pleuré à Accra et ont finalement compris que ceux qui aspirent à refaire l’histoire s’appliquent à dribbler les événements et à prendre leurs semblables pour des chasse-mouches Ashanti. Tout le monde a pu penser que Marcoussis serait un raccourci commode pour la paix, c’était oublier que ce qui s’appelle entêtement chez l’âne peut s’appeler fermeté chez l’homme. Déception après Pretoria et catastrophe à New York : l’araignée tisse sa toile, l’homme politique brode la sienne, les deux ont la même finalité : se saisir d’une victime et pssst...

Même les tours chez le voisin de Ouagadougou sont restés caducs. “ Avion vient, vous vient. Mbeki vient vous vient ; pourquoi la paix vient, vous vient pas... ” Et voici que, par éliminatoires directes d’adversaires, on remporte les « 1/4 de finale à Abuja ». Au même moment, des rumeurs font état de regroupement et d’entraînement de milices, de violations d’embargo sur les armes, de marches appelées populaires.

Comment résoudre la crise ?

Depuis quatre ans, en vérité, l’attitude du pouvoir ivoirien n’a pas varié d’un iota, au regard des moyens à mettre en œuvre pour la résolution de la crise. Par un abus de langage certain, résumons cette attitude en disant : « Qui me bouscule par les armes sera refoulé par les armes et rien de moins. Et surtout, ne parlez pas de limiter le mandat présidentiel en Côte d’Ivoire. S’il y a des présidents à vie, pourquoi pas moi ? »

Les analystes de la crise ivoirienne s’appliquent exclusivement, ou presque, à la recherche de solutions. A notre sens, ils n’ont pas pris suffisamment de temps et de peine pour comprendre la nature et le degré de cette crise avant d’en proposer des solutions qui auraient des chances d’être appropriées. Rapidement, on campe les adversaires du président Gbagbo : c’est Bédié ou Ouattara (ADO), entre autres. Et s’il faut trouver mieux ou pire que ces adversaires, il faut aller les chercher à Paris ou à Ouagadougou. Ainsi cogitent, en Côte d’Ivoire, calmement, les jeunes compatriotes, laissant la rue et la casse aux jeunes Patriotes.

S’il faut désigner la racine de cette crise pour en mesurer la gravité et comprendre, par conséquent, les raisons de la radicalité du pouvoir ivoirien, il convient de noter que l’adversaire absolu de Gbagbo n’est ni Ouattara ni Bédié, c’est Houphouët Boigny. L’adversaire relatif, mais redoutable, c’est 50 ans d’histoire qu’il faut rattraper et renverser. Les moyens dont disposent Gbagbo pour s’en sortir ?

Ce n’est rien d’autre que ce qu’il a appris dans l’écurie des mouvements politiques de naguère : la science de la violence. Pour dire crûment les choses : Laurent Gbagbo, l’impresario de la rue, n’a jamais été rien d’autre que certaines pratiques politiques révolues, même s’il arrive tard, juste au moment où il est à la mode, de parler de refondation.

Oubliant cela (Lomé, Accra, Marcoussis, Pretoria...), Abuja demande à Gbagbo de collaborer avec ceux qui ont fait la politique d’Houphouët. De pactiser avec les “ ex-rebelles ” qui ont tous l’âge et la nostalgie du grand rassemblement du Ciboë. D’avoir le sens du compromis et de la mesure. Des amis lui demandent même d’attendre la douce France, la rose à la main à la manière d’Houphouët, juste à l’entrée de la Basilique de Yamoussoukro pour des agapes anhistoriques... En tous les cas, on peut affirmer que chaque fois que Gbagbo rentre de telles rencontres, il annule sa grande colère en riant aux éclats et en appelant le Dieu de ses pères au secours : “ Lago yiri ! ” (Dieu est grand, en langue bété.)

En parcourant « les solutions d’ADO », d’avant le sommet qui vient de se tenir à Addis-Abeba, le 17 octobre 2006, on voit que Alassane Dramane Ouattara propose, comme solution à la crise ivoirienne, la mise en place, entre autres, d’un « Conseil présidentiel qui sera non seulement une instance de concertation permanente, mais aussi un cadre de contrôle de l’action du Premier ministre ». Un triumvirat qui se paie, de surcroît, les services d’un Premier ministre. Si l’on se réfère à notre grille de lecture de la crise avec au centre, un tandem Gbagbo/Houphouët et non Gbagbo/Banny, on dira que les solutions d’ADO sont vouées à l’échec.

Peut-être par excès d’intellectualisme face à un adversaire volcanique. On n’oubliera pas que sur le terrain politique, bien souvent, l’intelligence et l’intellectualisme n’ont pas fait le poids devant la passion et la propagande. Dans son discours de réception à l’Académie française, M. Rouart a d’ailleurs rappelé que la victoire de Mitterrand sur Giscard a été celle du sentiment sur l’intelligence.

Entre des lendemains qui chantent en désordre et des lendemains qui calculent avec exactitude, les Français ont préféré ceux qui chantent : tant pis pour l’ordre et la raison.
Avec le tandem Gbagbo/Houphouët, le processus d’identification, par exemple, ne peut aboutir. En voici la raison principale. Houphouët disait avoir été désavoué une seule fois par ses compatriotes : le référendum sur la double nationalité...

Mais c’était en principe et devant la loi ivoirienne. Car, en fait, et par l’autorité du temps, cette double nationalité a été une réalité vécue pendant plus d’un demi-siècle : dans les plantations, les usines et à travers la vaste gamme des alliances et des partenariats. C’est cette réalité que la Refondation veut logiquement refonder, en donnant à la représentation géographique Nord/Sud, une interprétation des plus redoutables, doublée d’une théorie qui s’appelle Ivoirité.

De graves questions se posent, par exemple : le Nord étant déplaçable, où commence-t-il ? Est-ce à partir de Treichville, de Katiola, de Ouangolo... ? L’Ivoirité ne peut pas donner de réponse à cette question. De Gbagbo à Ouattara en passant par Bédié, on voit bien qu’il y a trois « Nord ». Feu Robert Guéï devait aussi avoir sa géographie de l’Ivoirité.

Donc, plus le « Nord » se rétrécit, plus il y aura des étrangers (...) et moins d’Ivoiriens à identifier, jusqu’au moment tragique où, les mange-mil s’étant envolés, des Ivoiriens bon teint se retrouvent face à face avec des Ivoiriens pur sang, des machettes au milieu.
Comment résoudre cette crise ?

Les perspectives de l’analyse ci-dessus montrent que cette crise est une « Nègrerie », c’est-à-dire « toutes les conneries qu’on fait dans notre pays et qui nous a conduits là où on est. Et puis, on ne peut pas en sortir. C’est des Nègreries » (Venance Konan, journaliste écrivain ivoirien, 2006). Ce propos nous renvoie à d’autres Nègreries qu’on peut lire dans « En attendant le vote des bêtes sauvages » de Amadou Kourouma. Violences, corruption, non-sens, mais surtout l’absurdité de vouloir effacer 50 ans d’histoire.

Si des Africains sont forts au point de réussir là où Hercule lui-même a échoué, il faut craindre la force elle-même. La refondation ivoirienne s’enferme dans une lutte absurde contre la politique d’Houphouët, une politique que le temps a consignée dans l’ordre de la nécessité. Elle se bat avec des armes désuètes, celles que la “ science de la violence ” a scientifiquement condamnées et jetées par la fenêtre.

Ceux qui payent le tribut de tout cela ne se tiennent pas au pinacle de l’histoire pour qu’on les voie, ils croupissent dans les plantations, les usines, les ports, les prisons et sous les déchets toxiques. Ils sont totalement impuissants, à moins que l’on ne consente à reconnaître que leur “ capacité ” à mourir pour intoxiquer de leur cadavre la pensée des bien-pensants est une force.

La question - comment résoudre la crise - reste intacte, car nous ne savons pas comment laver la Nègrerie d’un Nègre. Faut-il en pleurer ? Peut-être. Nous n’avions qu’à ne pas avoir le bouc pour parent.

Par Ibrahiman SAKANDE (ibra.sak@caramail.com)

Sidwaya

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