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Affaire des 50 millions : Blaise, Kanazoé, et les deux commerçants

Publié le mercredi 18 octobre 2006 à 07h41min

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Ainsi en a décidé la justice burkinabè. Dabo Moussa et Ousmane Tapsoba, les deux commerçants qui ont reçu les 50 millions du chef de L’Etat des mains de Oumarou Kanazoé (OK), sont condamnés à 14 mois d’emprisonnement ferme et à une amende de 500 mille francs chacun.

Le tribunal, en son audience du 16 octobre 2006, a également condamné les deux prévenus à rembourser au richissime homme d’affaires les 50 millions de francs, et à lui payer 15 millions de dommages et intérêts. Il a fallu plus de dix heures de débats pour en arriver à ce verdict, dans une atmosphère tendue entre le parquet et la défense, qui n’a pas manqué d’arguments pour rejeter l’accusation.

Résumé des faits : en 2001, pendant qu’une fronde grondait contre les pratiques commerciales des Syro-Libanais, Moussa Dabo est approché par Tintin Ilboudo de la part du riche homme d’affaires Oumarou Kanazoé. L’objet des entrevues qui ont lieu après, c’était de calmer les manifestations de revendication des commerçants. Oumarou Kanazoé agissait au nom du chef de l’Etat, qui avait remis, à cet effet, 50 millions de F CFA à Moussa Dabo et Ousmane Tapsoba. Les questions auxquelles le tribunal, conduit par Latin Poda, devait trouver réponses étaient les suivantes : pourquoi a-t-on remis de l’argent à ces deux "meneurs" de la fronde ? Pour faire quoi ?

Il est 7h30 quand nous arrivons aux portes du Palais de Justice de Ouagadougou, ce 16 octobre 2006. Première surprise, les lieux sont quadrillés par les forces de l’ordre. Tout le monde est soumis à une fouille corporelle et à la présentation de pièce d’identité. A 8h, les portails du Palais se referment sur les chanceux qui sont arrivés plus tôt. La salle est dejà bondée, comme lors de la dernière audience, au cours de laquelle les partisans de Moussa Dao et Ousmane Tapsoba ont hué le tribunal et OK.

Palais plein

7h 40. Cette fois, pas de OK. Mais, seconde surprise, Halidou Ouédraogo, son avocat, lui, est bien là. La salle retient son souffle. L’homme traverse le prétoire, lentement, s’appuyant sur une béquille. Il va plaider. A ses côtés, Mes Félicité Dala et Nombré Dieudonné.

Ils ont en face d’eux quatre confrères : Me Sankara, Me Farama, Me Sagnon et Me Yamba.

Les deux prévenus sont déjà là. Vêtus de superbes bazins, aucune trace des 12 mois de détention préventive sur leur visage. Leur audition a montré qu’ils n’avaient rien perdu non plus de leur fougue. Surtout Moussa Dabo. Encadré par une escouade de gardes, il jette, de temps en temps, un regard vers le public. Dans la salle, les parties civiles sont également présentes. Les représentants des 88 associations de commerçants venues réclamer leur part de l’argent détourné, selon elles. Tintin Ilboudo, l’homme-clé de cette affaire, est aux premières loges, impassible. Alizèta Gando Ouédraogo et OK répondent aux abonnés absents.

"C’était pour briser la lutte"

8h 23. Le tribunal fait son apparition. Il est conduit par Latin Poda. Le parquet est représenté par Daouda Zoungrana, substitut du procureur, assisté de deux autres.

Moussa Dabo est appelé à la barre. On lui lit la prévention. « Vous êtes prévenu d’abus de confiance sur la somme de 50 millions de francs CFA au préjudice de Oumarou Kanazoé, qui vous l’avait remise pour répartition entre les associations de commerçants. »

Le prévenu n’aura pas le temps de répondre. Son avocat, Me Sankara, demande la jonction d’un dossier sur la même affaire, et dans lequel ses clients poursuivent Oumarou Kanazoé, Alizèta Gando et Tintin Ilboudo pour tentative de corruption. Premier accrochage. Le juge s’étonne, il n’a pas le dossier. Il regarde du côté du parquet, qui donne le ton. Le substitut Zoungrana est clair : c’est un autre dossier qui n’a rien à voir avec celui en cours. Réplique de Me Farama, qui s’étonne : "Le parquet lui-même avait pourtant décidé de joindre cette citation au fond." Pour Me Farama, le parquet a joué un double jeu. Il a dit qu’il joindrait ladite citation mais ne l’a pas fait. Pour lui, le parquet a refusé d’enrôler le dossier.

La partie civile sort de son silence. Halidou Ouédraogo, qui reste assis, s’impatiente : "C’est un dossier simple qu’on a voulu faire traîner. Nous sommes venus parler d’abus de confiance et non de corruption, lance-t-il."

Il s’ensuit une longue bataille juridique sur la régularité de l’ordonnance de non-lieu partiel et la procédure de renvoi devant la juridiction de jugement de cette affaire, puis c’est la compétence du tribunal à juger de cette affaire qui est contestée par la défense. Pour celle-ci, cette affaire ne relève pas du flagrant délit, puisque l’affaire date de 2003.

Pour le parquet, ce dossier des 50 millions est régulièrement enrôlé, puisqu’il est passé par un cabinet d’instruction. Sur le siège, malgré les arguments de la défense, le juge tranche : le tribunal est compétent pour juger. Moussa Dabo peut enfin s’expliquer, après une heure de tour de chauffe.

Moussa Dabo ne reconnaît pas les faits. Il précise cependant qu’il a reçu l’argent, mais pas pour le distribuer aux associations. On retient des circonstances de la remise que Tintin llboudo a été l’intermédiaire entre OK et les deux commerçants (Dabo et Tapsoba).

Alizèta Gando était présente à la remise. Le prévenu précise qu’il a été contacté en tant que meneur de la lutte, et on lui aurait demandé de faire en sorte qu’il n’y ait plus de manifestations, à cause des troubles que cela viendrait à créer. Leurs interlocuteurs, qui ont reconnu la justesse de la lutte, n’approuvaient toutefois pas la méthode, selon Dabo. Et d’ajouter que si les autorités pouvaient solutionner leurs révendications, ils arrêteraient la lutte. L’argent, ils ne l’ont accepté qu’après 18 longs mois de tractations. Sur insistance de Oumarou Kanazoé (OK), ils ont fini par accepter. Mais l’argent leur revenait, martèle-t-il. Une des raisons qui a motivé le refus de prendre l’argent reposait sur sa provenance. Etait-ce vraiment l’argent du Président du Faso (PF) ou plutôt celle des Libanais ?

C’est 18 mois plus tard que les deux prévenus ont accepté les 50 millions et les ont déposés dans deux comptes : un de 10 millions, et un autre de 40 millions. Sur cette somme, Tintin Ilboudo voulait un prêt de 10 millions de francs CFA.

Entre-temps, il y a eu l’incendie de Rood Woko. L’affaire s’ébruite. Pour les prévenus, Tintin n’y est pas étranger. Puis vint la rencontre chez Kanazoé, au cours de laquelle les deux commerçants devaient remercier le PF. Refus de ces derniers d’associer d’autres commerçants, tel que le souhaitait Kanazoé. Pour Dabo, le Président du Faso avait remis de l’argent pour eux, et il n’y avait pas de raison que d’autres personnes en bénéficient. Les choses commencent à se gâter. Ce qui devait rester finalement un secret est devenu un secret de polichinelle. Un jour, Kanazoé fait appélé Dabo lors d’une grande réunion avec les commerçants, et lui demande s’il a reçu de l’argent de lui pour les associations. Dabo répond par la négative. C’est le début de l‘affaire. Kanazoé fait distribuer 50 autres millions aux associations et leur demande de poursuivre les deux commerçants pour récupérer leur dû. Voici, résumée, d’un point de vue du prévenu Dabo, la génèse de l’affaire.

88 associations partie-civile

Le procureur questionne le prévenu. Pourquoi a-t-il nié avoir pris de l’argent lors de son interpellation ? Il justifie son attitude par le fait qu’il a été enlevé de son domicile. Il poursuit que lors de l’instruction, il a reconnu avoir reçu de l’argent mais pas pour le distribuer. Pour lui, c’était pour briser la lutte qu’on le lui avait remis. Pourtant, fait savoir le parquet, Zabda, un témoin, a affrmé que l’argent était destiné aux associations, raison pour laquelle, d’ailleurs, il avait apposé sa signature pour permettre l’ouverture des comptes.

Pour la partie civile, le fait de recourir à une tierce personne prouve que l’argent n’était pas à eux et que leur intention frauduleuse a existé depuis les tractations parce qu’ils ne voulaient pas matérialiser la réception de l’argent. Elle a brandi un PV dans lequel les deux prévenus reconnaissent la destination finale de l’argent. Mais ce document ne sera pas examiné, vu les conditions dans lesquelles il a été signé. Les prévenus ont dit l’avoir signé au commissariat de police de Ouaga 2000. Une pièce qui a suscité le courroux de la défense.

Un témoin et des parties civiles vont se succéder à la barre, sans vraiment apporter de révélations sur l’affaire. Tous ont confirmé qu’ils avaient appris que l’argent était à répartir entre les associations.

L’ audition du second prévenu, Ousmane Tapsoba, conforte celle de Moussa Dabo. Il déclare que c’est Tintin qui est à l’origine de cette affaire. Les deux qui étaient en affaire ne se sont pas entendus. Il a donc monté les commerçants contre eux.

Le défilé des parties civiles n’apportera rien de nouveau au dossier.

"Il n’y a pas d’infraction"

Les plaidoiries ont été très opposées, dans le fond. La partie civile a invoqué l’abus de confiance. Les prévenus ont dissimulé l’argent dans un compte qu’ils ont utilisé pour leur propre bénéfice au lieu de le distribuer. La partie civile a exigé le remboursement des 50 millions, et des dommages et intérêts de 35 millions, ainsi qu’un surplus de 3 millions.

Pour la partie civile, ils ont reçu l’argent, ils ne l’ont pas distribué.

Le parquet a eu sensiblement la même lecture que la partie civile. Pour lui, l’infraction est constituée. Les prévenus ont reçu l’argent. C’est au niveau du contrat qu’il y a problème. En effet, les prévenus nient le fait qu’ils devaient distribuer ladite somme. Mais, remarque le parquet, ils l’ont reconnu avant de se rétracter. Des témoins ont été formels, a ajouté le substitut du procureur, sur ce fait. Le parquet a affirmé qu’il n’y avait pas de doute que l’argent devait être distribué. Il a requis 48 mois de prison ferme et 500 mille francs d’amende.

La défense a axé sa plaidoirie sur le fait qu’il n’y a pas d’infraction et que le dossier n’aurait pas dû être retenu. La jonction n’ayant pas été faite, cela prouve que le parquet s’est mis à la place de la partie civile. Il conteste la validité du mandat entre Kanazoé et ses clients. La réalité du mandat n’a jamais été prouvée. La finalité de l’argent n’a pas été clairement déterminée. Pour Me Sankara, le ministère public s’est laissé guider par ses sentiments plutôt que par les faits dans ses réquisitions. La défense a demandé la relaxe pour ses clients. Me Farama est revenu sur des éléments du dossier qui ont été utilisés à charge contre ses clients, alors qu’ils auraient pu l’être à décharge. Ce sont, notamment, l’acharnement des donateurs pour que les deux prévenus acceptent l’argent. Pourquoi eux et pas d’autres ? Le tribunal a voulu savoir si les deux prévenus pouvaient casser la lutte. Pour Me Farama, une lutte se casse par le sommet, et c’est ce qui a été fait. Il a terminé en disant que si le parquet était convaincu du délit d’abus de confiance, eux ne l’étaient pas.

Après une heure de délibération, le tribunal a rendu son verdict. 14 mois ferme pour Moussa Dabo et Ousmane Tapsoba ; reçoit la constitution de partie civile de Kanazoé et comdamne les prévenus à lui rembourser 50 millions de F CFA. Au titre des dommages et intérêts, le tribunal inflige aux deux commerçants 15 milions de francs CFA. Les parties civiles de Tintin Ilboudo, Alizéta Gando, et des 88 associations ont été réjétées.

Ousmane Tapsoba et Moussa Dabo ont dèjà purgé 12 mois de prison. Leur libération n’est donc plus qu’une question de semaines.


Mauvais quart heure pour un témoin

Issaka Kafando a eu chaud. Constitué partie civile à travers son association, il a été malmené par la défense, qui a demandé au tribunal de le poursuivre pour faux et usage de faux, car il a utilisé un récépissé douteux pour aller prendre de l’argent au nom de son association. La défense a également contesté sa qualité de partie civile. Sur ce point, le tribunal a rejété la constitution de partie civile de toutes les associations lors du procès.

Me Sankara : "On fera appel"

Très déçu du verdict rendu par le tribunal le 16 octobre dernier, l’avocat Sankara a précisé qu’il ferait éventuellement appel du jugement. Il s’est dit soulagé du rejet par le tribunal de la constitution de partie civile des 88 associations de commerçants.

Des spectateurs pas comme les autres

Le procureur du Faso et le juge d’instruction Wenceslas Ilboudo étaient asssis côte à côte sur le banc réservé à la presse lors du procès. Derrière eux, quelques juges qui tenaient à ne pas rater l’evénément.

Bizarre !

Il n’y a eu aucune clameur dans la salle, à la lecture du verdict. Nombreux sont les commerçants qui n’ont pas compris grand-chose. Ils s’employaient à demander des explications.

Les supporters des deux prévenus ont eu à se manifester une ou deux fois, mais ont été rappelés à l’ordre par le président du tribunal.

A.T.

Par Abdoulaye TAO

Le Pays

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