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Politique en France : Accepter le purgatoire pour espérer le paradis

Publié le vendredi 13 octobre 2006 à 08h29min

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Alain Juppé

La politique peut être un métier dangereux. Quand on s’y engage, il faut s’attendre aux ivresses du succès, des promotions et des victoires, mais aussi aux déceptions liées aux disgrâces, aux défaites et même aux poursuites judiciaires.

Ne pas intégrer ces paramètres dans son agenda d’homme politique, c’est refuser l’action qui implique le risque de commettre des erreurs et aussi, le cas échéant, le courage d’en subir les conséquences. Ainsi va la vie politique, des hauts et des bas, l’enfer et le paradis et, le plus souvent, le purgatoire, une sorte de retraite sabbatique, de traversée du désert où l’on se refait des forces.

On peut ainsi dire que Alain Juppé, l’un des hommes politiques français les plus doués de sa génération, a connu l’enfer de la condamnation judiciaire, de la déchéance de ses mandats, de l’inéligibilité, avant de vivre son purgatoire de la façon la plus réparatrice et la plus brillante qui soit : enseigner dans une école prestigieuse, l’Ecole nationale d’administration publique de Montréal. Jacques Chirac avait rendu hommage à Juppé en disant qu’il était le plus doué des gaullistes. Les deux hommes se connaissant très bien, il ne s’agit pas de mots en l’air, ni de remerciements pour avoir en réalité payé pour la gestion de la mairie de Paris par Chirac. Celui-ci étant protégé par l’immunité, on peut imaginer que l’épée de la Justice a frappé l’un de ses plus fidèles lieutenants à sa place.

Ces subtilités politico-juridiques, on en trouvera toujours parce que les hommes politiques chercheront toujours à échapper à l’étau de la justice. Le plus important, c’est la capacité de cette justice à déjouer tous les stratagèmes, à sévir en cas de délit. C’est aussi l’acceptation des règles du jeu par les acteurs et de se plier aux décisions judiciaires quand ils sont en faute. Ces deux conditions ont été remplies dans le cas Juppé.

Bien que très proche du président Chirac et ayant exercé de très hautes fonctions (il a été Premier ministre de 1995 à 1997), Juppé a été condamné en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et à une année d’inéligibilité dans l’affaire des emplois fictifs du RPR (devenu UMP) à la mairie de Paris. Une telle descente aux enfers, on s’en doute, est lourde à porter, même si l’on est une bête politique. Mais, voilà, patiemment, l’homme a attendu son heure et elle est arrivée avec l’élection municipale anticipée, le 8 octobre dernier et qui a permis à Alain Juppé de redevenir maire de Bordeaux.

Cet homme pouvait-il émerger à nouveau de si fort belle manière (sa liste a obtenu plus de 56% des voix) s’il n’avait pas une base électorale acquise à sa cause ? La fidélité de l’électorat, surtout en des temps de difficulté comme ceux que Juppé a connus, se mérite. C’est le travail au quotidien, le sens du service et l’écoute de ses concitoyens qui sont le gage de cette résurrection. La non limitation des mandats a fait le reste.

En France, faut-il le rappeler, les mandats ne sont pas expressément limités par la Constitution, le peuple étant le seul censeur, en raison de sa maturité politique et du caractère irréprochable des scrutins. Tant qu’un leader politique méritera la confiance des électeurs, il n’a rien à craindre pour son mandat, émanation de la volonté populaire. Peut-on imaginer, sous nos tropiques, un tel retour en grâce, par la seule force de son charisme, d’un homme politique déchu ? Il est clair que non.

La carrière politique, en Afrique, se bâtit plus dans l’allégeance au pouvoir que dans un combat personnel engagé. Certes, il arrive que des opposants émergent du lot et parviennent à briguer la magistrature suprême. Cela s’est vu dans nombre de pays, depuis l’instauration du multipartisme. Mais ces opposants parvenus au pouvoir se mettent dans le sillage de leurs prédécesseurs, en formant des clans hors desquels il n’est pas possible de faire valoir ses talents.

Bref, en Afrique, on n’a pas besoin d’une assise populaire pour être sûr de remporter une élection. Peu importe l’opinion des gens, seule compte l’onction du parti et du chef. Entre l’Occident et l’Afrique, ce sont donc deux logiques qui s’affrontent : celle où la politique est une question de conviction, un moyen pour servir de nobles ambitions ; et celle où elle est une fin en soi, une échelle pour gravir l’escalier social. C’est pourquoi, dans le premier cas, les hommes politiques sont si attachés aux questions d’honneur et de dignité et que dans le second cas, on ignore même jusqu’à la notion de scandale.

Il ne faut pas craindre de le dire, la politique, en Afrique, a besoin d’être réinventée et mise véritablement au service de la bonne cause. Malheureusement, l’horizon ne laisse pas poindre une lueur d’espoir. Les nouvelles classes dirigeantes, qui étaient censées apporter un nouveau souffle à l’art de gouverner et de servir le peuple, ont affiné encore plus les méthodes de détournements et fait de la course à l’enrichissement leur objectif politique principal.

Sans accorder un blanc-seing total au personnel politique français, il est tout de même permis de dire que sur le plan de la gouvernance politique, il a beaucoup à apprendre aux Africains. Mais ce transfert de conduite politique respectueuse du bien public tarde à se faire du Nord vers le Sud. Volontairement ?

Le Pays

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