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Sénégal : Un fils spirituel persécuté

Publié le lundi 9 octobre 2006 à 08h56min

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Le moins que l’on puisse dire, on ne chôme jamais politiquement et on est rarement à court d’idées au Sénégal. Que ce soit à l’approche des échéances électorales ou en période d’accalmie, il ne se passe pas de jour sans qu’un animateur de la scène politique apporte du grain à moudre au grand moulin qu’est le Sénégal, passionné de politique.

Contrairement à certains pays où le climat politique est morose et où, face à l’adversité, aux intimidations et aux pressions de toutes sortes, certains opposants "alimentaires" et "archéos" jettent définitivement l’éponge. Ils cessent le combat et optent pour la solution de l’allégeance au pouvoir en place avec toute la sécurité et le confort qui en découlent.

Le Sénégal semble être l’une des rares exceptions en Afrique où des opposants refusent non seulement d’aller à la soupe du pouvoir, mais également osent descendre dans l’arène pour le combattre frontalement. Le dernier exemple en date, c’est l’annonce par Idrissa Seck, ancien Premier ministre, ancien dauphin et ancien fils spirituel d’Abdoulaye Wade, de la création de son propre parti, le "Rewmi", pour affronter son ancien patron à l’élection présidentielle de 2007. Sans attendre le dépôt des textes constitutifs du nouveau parti pour une éventuelle reconnaissance ou un éventuel rejet par le ministère en charge de la gestion des partis politiques, les autorités ont vite décidé d’étouffer dans l’oeuf, le parti de Seck à peine conçu. Ainsi, après avoir tenté de salir la réputation de l’ancien Premier ministre en le traînant devant la justice qui l’a pratiquement lavé, le pouvoir sénégalais change aujourd’hui d’arme pour en finir avec lui. Prétextant le fait que le nom "Rewmi" en wolof signifie mon pays en français, les autorités sénégalaises estiment qu’un individu ne peut s’approprier à lui seul le nom d’un pays pour en faire un parti alors qu’il s’agit d’un patrimoine de tous les Sénégalais. Si apparement dans la forme, l’argument peut séduire, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut s’agir que d’un débat sans fondements juridiques. Dans le fond en effet, dès lors que la Constitution sénégalaise ne mentionne pas cet interdit dans ses dispositions, on ne saurait reprocher à Idrissa Seck d’aller à l’encontre des lois de la République.

Dans ces conditions, la décision des autorités sénégalaises apparaît comme de l’acharnement sur un homme dont le poids politique et l’aura grandissent à l’approche des grands rendez-vous électoraux et pourraient faire ombrage à Abdoulaye Wade qui ne cache pas ses ambitions de briguer un second mandat. La précipitation avec laquelle les autorités sénégalaises ont réagi à la simple annonce de créer ce parti montre à quel point l’exécutif semble désemparé face à son avenir politique, surtout que l’éventualité d’une coalition entre les partis de l’opposition se dessine actuellement. Si cette coalition voyait effectivement le jour, elle pourrait fausser toutes les stratégies échafaudées par le pouvoir pour gagner les élections.

Mais est-ce vraiment une arme efficace pour la Nomenklatura sénégalaise pour abattre Idrissa Seck, l’homme qui a toujours su rebondir chaque fois que le pouvoir tente de l’enterrer politiquement ? En effet, plus on s’acharne sur lui, plus on le met dans la posture d’un héros et d’un martyr aux yeux de l’opinion sénégalaise qui n’est pas dupe et qui est l’une des plus politiquement éclairées en Afrique de l’Ouest. Plutôt que d’envenimer et de rendre malsain le climat politique sénégalais, les autorités auraient pu tout simplement transférer le dossier au Parlement pour trancher. Une telle démarche aurait l’avantage de prouver qu’en bons démocrates, Wade et ses partisans n’ont pas l’intention de contourner les mécanismes institutionnels mis en place pour prendre des décisions. De même que le pouvoir s’est référé à la justice pour se prononcer sur les supposés détournements de Seck, de même, il aurait dû confier ce projet de création d’un nouveau parti à certaines instances compétentes en la matière.

Quoi qu’il en soit, rien ne semble, aujourd’hui, arrêter Idrissa Seck dans sa lancée, surtout qu’il a l’appui des autres partis de l’opposition qui n’excluent pas de former une coalition avec lui. En tous les cas, le sigle d’un parti n’est qu’une association de mots. Idrissa Seck aura réussi à faire passer son message. Une de ses forces, c’est d’avoir côtoyé pendant longtemps Abdoulaye Wade avec lequel il a partagé un certain nombre de dossiers délicats et que le moment venu, il pourrait utiliser comme arme contre son mentor d’hier. Quoi qu’il en soit, il a déjà réussi à démystifier la fonction présidentielle et permis le renforcement de la démocratie sénégalaise basée sur le débat transversal au sein des partis politiques et aussi au plan national.

Idrissa Seck qui ne manquera pas de rappeler que Wade a déjà "digéré" (signe de l’instabilité des rouages de l’Administration) quatre Premiers ministres, n’hésitera pas non plus à mettre en exergue certaines promesses (notamment la résorption du chômage des jeunes) non tenues après 6 ans de "Sopi".

Autant de fantômes qui hantent actuellement le pouvoir et qui peuvent expliquer le comportement actuel, compréhensible, mais critiquable, des autorités.

En tout état de cause, autant de gesticulations autour d’Idrissa Seck ne peuvent que contribuer à élargir sa base électorale. Reste que la classe politique sénégalaise est un réservoir inépuisable de fortes têtes. Qui consentira à se faire hara-kiri au bénéfice de celui qui présentera plus de garanties de victoire face à Wade ?

Le Pays

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