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Librairies par terre : Une activité en pleine expansion

Publié le vendredi 15 septembre 2006 à 06h51min

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Installées aux abords des grandes voies, les librairies par terre proposent des ouvrages pédagogiques, scientifiques, des romans, journaux, dictionnaires de seconde main... Leur quotidien, elles le partagent avec des lecteurs de tous ordres. Même s’ils soutiennent « rendre service » à leur clientèle, les librairies par terre font aussi de bonnes affaires.

Derrière le lycée Philippe Zinda Kaboré, le long du canal, une vingtaine de maisons en tôles. On y vend des livres et des fournitures de bureau. Les maisons alignées constituent chacune une librairie, une « librairie par terre ». Cette appellation est due au fait qu’autrefois, les livres étaient exposés à même le sol.

Mais aujourd’hui, ces points de vente de documents ont pris une autre dimension. Dans les librairies-papeteries. On trouve toutes sortes de documents, des plus courants au plus inattendus ; « Nous vendons essentiellement des documents pédagogiques : livres d’anglais, de français, de mathématiques, d’histoire et de géographie, etc », nous confie Sahabane Sawadogo, le gérant de la librairie-papeterie Song-Taaba. En dehors des disciplines citées, il y a également dans « sa » librairie, des ouvrages relevant d’autres spécialités : droit, comptabilité, finances. On y trouve aussi des dictionnaires, des encyclopédies, des atlas...

Dès que vous pénétrez dans ces maisons en tôles, une odeur de vieux papiers vous accueille. Il vous faut parfois, une bonne minute avant de retrouver votre souffle. Certains livres, notamment les moins demandés sont recouverts d’une fine couche de poussière : « Ces livres sont là depuis au moins 10 ans », nous apprend fièrement M. Sawadogo, tout souriant. Cette précision comme pour dire qu’il est dans le business des livres depuis fort longtemps, « Une quinzaine d’années ». Et il ne s’en plaint pas du tout : « Grâce à ce commerce, j’ai pu construire une maison, m’acheter un moyen de déplacement et inscrire mes enfants à l’école ». « Moi j’ai construit une maison de 40 tôles. J’ai également acheté des motos pour mes employés », souligne fièrement un autre.

La période de la rentrée scolaire est celle des bonnes affaires pour les propriétaires des librairies par terre. Pour réunir les fournitures scolaires de leurs enfants, nombreux sont les parents d’élèves dont le premier réflexe consiste à se rendre à une librairie par terre : « Là-bas, nous pouvons négocier les prix.

Des prix négociables

Ce n’est pas comme ailleurs où les prix sont fixes », relève un parent d’élève, Marcel Kaboré. Il estime que face à la hausse sans cesse du cours de la vie , il faut « développer des initiatives pour survivre ». Cela consiste entre autres, à une « maîtrise de ses dépenses ». Et de se demander : « Pourquoi achèterais-je plus cher ce que je peux avoir moins cher ? « . D’autres parents ou clients des librairies par terre soutiennent la positon suivante : le livre, qu’il soit neuf ou vieux, présente le même contenu. « Pourquoi alors s’arracher les cheveux pendant qu’une solution est toute trouvée ? ».

Les gérants des librairies par terre mettent à profit les vacances scolaires pour reconstituer leurs stocks. « Nos sources d’approvisionnement sont principalement la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Sénégal ». Contrairement à l’organisation en vigueur dans d’autres secteurs d’activités, les propriétaires de librairies par terre ne se déplacent pas. « Nous nous approvisionnons auprès de grossistes qui font eux-mêmes le déplacement au Burkina ».

Les librairies par terre ont une clientèle assez variée : travailleurs, élèves, étudiants... Les jeunes femmes et les filles constituent un autre type de clientèle. Celles-ci, portées, pour la plupart, vers les romans-photos et les romans d’amour de la collection Harlequin y trouvent également leur compte.

Cependant, certaines librairies ont arrêté la vente des harlequins et des photos-romans : « Aujourd’hui, nous avons arrêté cette activité parce qu’elle n’est pas avantageuse », souligne Boukaré Ouédraogo.
Les femmes acquièrent ces ouvrages plus par échange que par achat. En plus de la somme de 50 F ou 100 F on échange un roman-photo contre un autre ou un harlequin contre un autre. La somme ajoutée est généralement fonction de l’état des deux ouvrages, à savoir celui qu’on apporte et celui qu’on veut acquérir. De l’avis des responsables de librairies par terre, le volet harlequin et roman-photo est en perte de vitesse : « Les filles ne lisent plus ». « Pourquoi » ? Avons-nous voulu savoir.

Un débat était ainsi lancé. A ce propos, Romuald Diarra, présent sur les lieux à la recherche de bouquins, a son opinion. Jeune homme d’environ 27 ans, vêtu d’un tee-shirt moulant et d’un jean aux bas évasés, il voit aux télénovelas, la principale raison de l’abandon de la lecture des romans par les filles : « C’est l’histoire racontée dans les harlequins ou autres romans d’amour qui est mis en scène dans les télénovelas », soutient-il. Et Ramatou Diallo, de petite taille, svelte, les cheveux au vent, le teint décoloré accompagnant sa camarade venue échanger des harlequins de confirmer : « Pourquoi se donner du mal à lire ce que la télévision diffuse à longueur de journée ! ».

« Rendre service »

Clients comme libraires sont tous d’avis que les librairies par terre « rendent service ». Selon le degré de fidélité du client, les échanges d’ouvrages peuvent concerner également les manuels scolaires.
« Certains parents d’élèves , compte tenu de leurs charges, ne peuvent donc pas acheter à chaque rentrée scolaire, de nouveaux livres pour leurs enfants. Ils viennent alors vers nous pour effectuer des échanges contre la somme de 1 000 F ou 2 000 F CFA par manuel ».

Il y en a même qui achètent les livres à crédit. « Ce n’est pas facile. Les gens n’ont pas les moyens mais ils tiennent à ce que leurs enfants réussissent à l’école », lance Boukaré Ouédraogo, d’un air songeur et mélancolique. L’étudiant Laurent Méda est, quant à lui, formel sur l’importance des librairies par terre : « Les livres vendus ici sont plus à portée de main (...). Ici, on peut se faire un prix d’ami, on s’arrange toujours. On peut se permettre d’acheter 5 à 6 livres d’un coup ».

Pour lui, « quand on vient des quartiers pauvres, on ne peut pas se permettre d’aller faire ses achats dans les librairies conventionnelles ».

Même si les prestations de la librairie par terre sont à la portée de bon nombre de personnes, force est de reconnaître que sa clientèle n’est pas seulement constituée que de « sans-moyens ». Des collectionneurs y ont recourt également. Ceux-ci sont à la recherche du livre rare pour leur collection personnelle.

D’autres également recherchent des livres décoratifs pour leur salon où leur bureau. Il y a aussi, ceux-là qui espèrent retrouver en ces lieux, des œuvres littéraires étudiées au lycée pour enrichir leur bibliothèque personnelle : « des romans tels que Maïmouna, le Crépuscule des temps anciens, Tribaliques, l’Aventure ambiguë, l’Etrange destin de Wangrin, etc. me sont restés à l’esprit. Ce sont des romans qui m’ont beaucoup marqués. Ils me rappellent mon adolescence, le temps où j’étais encore au lycée.. ». Rodrigue Nikièma, cheveux courts et bien peingés, souliers noirs fraîchement cirés, les clés de sa voiture en main est cadre dans un établissement financier de la place. Il est ainsi sur les traces de son adolescence. Mais il aura du mal à retrouver tous les romans recherchés car avec le temps, ils ont presque disparu des rayons.

Les quelques-uns qu’on trouve encore se vendent à prix d’or. De nos jours, il est plus facile d’avoir des auteurs français ou européens dans les librairies par terre que des auteurs africains. Comme les véhicules « France au revoir », des associations caritatives telles que Emmaüs internationale, l’OCADES... reçoivent de leurs partenaires européens, de grands stocks de romans en plus d’autres objets. Ces romans vendus à 200 F CFA, l’unité (« un prix social ») par ces associations, se retrouvent dans les librairies par terre ou dans la rue auprès des marchands ambulants.

De plus en plus présents dans les rues de Ouagadougou, les marchands ambulants de romans ou autres fournitures et manuels scolaires ne constituent pas une menace pour les « par terre » : « Ils prennent des articles chez nous qu’ils revendent dans la rue », explique Issaka Zida, gérant d’une librairie devant le Centre national des arts du spectacle et de l’audiovisuel (CENASA). Bon an mal an, des librairies par terre font des chiffres d’affaires de 3, 4 voire 5 millions par an. Celles-ci ne manquent pas d’initiatives pour renflouer leur caisse allant même jusqu’à proposer des photocopies de documents didactiques à leur clientèle. Mais passés la rentrée scolaire et les trois premiers mois de cours, les librairies par terre connaissent des difficultés, des périodes de vaches maigres.

Outre, le Bénin, le Sénégal, la Côte d’Ivoire..., les librairies par terre s’approvisionnent également sur place. La source d’approvisionnement locale n’est pas bien développée. Cependant, elle est parfois source de problèmes : « Ne pouvant pas connaître l’origine des documents qui nous sont proposés, il nous arrive d’acheter des livres volés », indique Sahabane Sawadogo. Ainsi, poursuit-il, « il est arrivé à plusieurs reprises que des clients reconnaissent leurs documents volés dans nos étalages. Et cela crée des malentendus ».

Face à une telle situation, un accord à l’amiable est souhaité. « Sinon, c’est la police ou la gendarmerie qui intervient ». Certains fournisseurs se font passer pour des inspecteurs de l’enseignement. « Ils nous font voir même des cachets et un certain nombre de documents attestant de leur fonction pour nous convaincre. J’ai vécu ce genre d’expérience malheureuse. En son temps, j’avais débourser plus de 200 000 F CFA pour acheter des livres volés que la police est venue reprendre ».

Pour défendre leurs droits, les libraires par terre se sont organisés en Association : Association des libraires du Burkina. Malgré la multiplication des grandes librairies, les « par terre » disent ne pas être inquiétés : « Nous collaborons avec les librairies conventionnelles. Ce sont des grossistes auprès desquels nous nous approvisionnons ». Même si entre les deux types de librairies, il n’y a pas la guerre, la cohabitation est parfois difficile. Comme le souligne Valérie Ouédraogo de la librairie DIACFA : « Les libraires par terre assaillent parfois les clients qui veulent rentrer chez nous ».

Rabankhi Abou-Bâkr ZIDA (rabankhi@yahoo.fr)

Sidwaya

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