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Alain Héma, comédien burkinabè : "On n’est pas bien payé"

Publié le jeudi 14 septembre 2006 à 07h33min

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Enseignant de français dans les années 90 et reconverti en homme de théâtre, Alain Héma fait aujourd’hui partie de l’élite des comédiens de la scène burkinabè. Celui qu’on nomme "le rasta chauve de Kadi Jolie"- série humoristique burkinabè- lève un pan de sa vie dans cet entretien accordé à "Evasion".

Il parle ici de ses premiers pas dans le domaine du théâtre, des difficultés rencontrées par les comédiens et acteurs burkinabè, et des difficultés auxquelles est confrontée la culture du pays des hommes intègres.

Evasion : Comment est né votre amour pour le théâtre ?

Alain Héma : C’est assez difficile à dire. Je n’ai pas choisi de faire ce métier à une période précise. Mais la première fois que j’ai joué dans une pièce, c’était à l’ école primaire. j’ avais 11 ans et l’enseignant avait monté une pièce pour la fin d’ année. Après cela, au collège, j’ai continué à faire du théâtre. Il en a été de même en fac. Plus tard, je suis devenu enseignant à Bobo puis à Dédougou, mon dernier poste. Pendant cette période, j’ai monté des spectacles avec mes élèves. C’est après cette expérience que j’ai décidé de devenir professionnel.

Vu que ici tous les professionnels tel que Sotigui Kouyaté vivaient en France, j’ai décidé d’y partir également. Je devais y aller en novembre 1990. Mais c’est à ce moment que j’ai vu une affiche sur le spectacle de Amadou Bourou à côté de l’archevêché de Ouagadougou .

Je l’ ai rencontré et je lui ai dit que j’avais décidé d’aller me former en France pour devenir un professionnel du théâtre. Il m’ a dit qu’il a un projet, l’Association Feeren, qui vise à mettre en place une compagnie professionnelle au Burkina. Il m’ a convaincu de rester. C’est ainsi que le 23 octobre 1990, avec Amadou Bourou et Odile Sankara, nous avons lancé la compagnie Feeren.

J’ai fait ensuite partie de la première promotion des élèves de l’école de théâtre qu’ abritait en son temps le centre culturel français de Ouagadougou, l’Union des ensembles dramatiques de Ouagadougou. A l’ époque, la France avait soutenu le projet afin que cette première promotion puisse sortir au bout de trois ans. Quelques années après, l’école est passé entre les mains de nationaux. Je suis sorti de cette promotion avec bien d’autres gens tel que Ilbévert Méda et Charles Ouattara.

Après l’expérience avec la compagnie Feeren, j’ai décidé de créer ma propre compagnie. C’est ainsi que la compagnie théâtre Eclair a été créée et j’ai monté des projets en individuel.

En tant qu ’artiste, je suis allé aussi à l’étranger. Et c’est ainsi que la célèbre compagnie Royal de luxe, bien connue dans le monde, après une audition, m’a retenu et je suis allé en Asie. J’ai séjourné au Vietnam et en Corée du sud. J’ai fait pratiquement un an avec Royal de luxe. Nous avons sillonné ensemble le monde.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce domaine ?

Je ne sais vraiment pas. Je m’y suis intéressé à l’ école parce- qu’il y avait des textes à lire devant un public.
Je ne saurai dire pourquoi j’ai choisi ce domaine.

Quelle matière enseigniez-vous ?

J’étais professeur de français à Dédougou.

Un professeur de français qui abandonne l’enseignement pour le théâtre. A quoi est lié ce choix ? Est-ce une question de sous ou d’amour ?

Je faisais l’activité théâtrale en tant que professeur. Mais du point de vue du gain, je partais pour une aventure très dangereuse. C’était quand même beaucoup plus clair d’être salarié que de vouloir évoluer dans un domaine où on ne vit que sur les projets et où on n’est pas sûre d’avoir quelque chose. Mais il y avait une force qui m’attirait dans le théâtre.

Comment définissez-vous le théâtre ?

La définition académique , c’est celle que tout le monde connaît. C’est un comédien sur un espace avec un public. Un personnage qui a envie de raconter quelque chose à quelqu’un. Son espace est défini. Aujourd’hui, on l’utilise pour sensibiliser, pour combattre,...Tous les thèmes sont les bienvenus.

Alain Héma est-il prêt à jouer tous les rôles ?

Oui. En tant que comédien, on est prêt à jouer tous les rôles. Si on se définit comme tel, nous sommes obligés de travailler à retrouver les personnages tel qu’il se trouve. Si on dit de jouer un petit enfant gâté, il faut trouver au sein de soi ce petit enfant et son côté gâté.

Le théâtre nourrit-il son homme au Burkina ?

Absolument. Je ne vis que de cela. Depuis 1993 jusqu’aujourd’hui, je n’ai pas mené une autre activité rémunératrice.

Au niveau culturel, j’ai fait de la télé. J’ai été comédien dans la série "Kadi Jolie". J’ai fait quelques apparitions dans de long-metrage, comme "Siraba" de Issa Traoré de Brahima, comme "Sya, le rêve du python" de Dani Kouyaté.

Je vis essentiellement du métier de comédien. J’ai été conteur, mais c’est dans le même cadre, en France et au Canada.

On dit que le théâtre n’est pas vraiment prisé par les populations au Burkina.

Ah bon ? Cela me surprend. Quand je pense à des compagnies comme "L’Atelier Théâtre burkinabè ou "le théâtre de la fraternité" qui sillonnent les 45 provinces du pays pour faire du théâtre forum...

C’est un genre de théâtre commandé par des institutions et ONG. Des hommes comme Hippolyte Ouangrawa courent partout dans les provinces pour les pièces de sensibilisation. Il y a des festivals internationaux de théâtre comme le FITD et le FITMO au Burkina . Je pense qu’il y a des mouvements pendant ces périodes. Il y a de l’engouement. Les salles ne sont pas vides même si financièrement, ça ne suit pas. Des structures comme le Carrefour international de théâtre de Ouagadougou (CITO) créent les publics avec les programmations de pièces de longues durées. Le théâtre, c’est aussi de l’esthétique.

Peut-on dire que le théâtre c’est juste pour faire rire, sensibiliser ?

Le définir dans un carcan de faire rire ou de sensibiliser, je trouve que ce n’est pas normal. On n’est pas obligé de passer par le théâtre pour sensibiliser. Le théâtre, c’est un spectacle avec une histoire, des corps en mouvement, avec de la lumière des costumes, ...

Si c’est pour sensibiliser , on peut se passer des costumes, du décor. Le théâtre ne se confinent pas au rôle de sensibilisation.

La pauvreté de la culture est liée à une question d’organisation. Quelque soit la personne, un financier, un économiste, etc. tout le monde reconnaît l’importance de la culture. L’industrie musicale draine des milliards. Je pense que nos politiques doivent imaginer une forme de telle sorte que cette culture soit portée par l’économie.

Je crois que la première chose à faire, c’est de débarrasser la culture de son caractère folklorique afin qu’elle soit une véritable construction. Quand les artistes manquent de formation, ils sont dans le tâtonnement. Si la musique ou la pièce proposée fonctionne à merveille parce qu’elle est présentée par des professionnels, c’est une industrie qui va drainer des milliards.

On voit aujourd’hui beaucoup d’artistes qui sont milliardaires.

Alpha Blondy en est un. Il y a aussi le cas de Youssou N’ Dour. Ils ne sont pourtant pas plus intelligents que nos musiciens. Il y a quelque chose qui manque dans la chaîne. Il faut la trouver à tout prix .

Nous avons eu de nombreuses rencontres, notamment les états généraux de l’artiste, à Ouaga, Kaya, Bobo , à Ouahigouya, etc. Mais rien ne va . Je crois que nous devons nous mobiliser pour trouver une solution à ce problème. Pourquoi n’ avons - nous pas de star dans notre pays ? Il y a quelque chose qui manque.

Ceux qui vous côtoient disent que vous n’êtes pas suffisamment ouvert.

C’est vrai ... peut-être que je suis un peu réservé, moins extravagant.

Je ne suis pas "très ambianceur". Je discute simplement, mais je ne suis pas plus compliqué que les autres artistes. C’est vrai que des gens comme Ildévert Méda, mon complice de tout le monde, sont accrocheurs. Ils se mêlent très vite aux gens, ils leur racontent des blagues. Moi ,je suis beaucoup plus à l’écoute.
Mais je ne suis pas plus compliqué. Par contre, si on veut m’écouter, je parle.

Parlons de ton look. Alain Héma est né à Bobo Dioulasso . Il a le look rasta, comme beaucoup de jeunes de cette région. Est-ce parce qu’il a choisi d’adopter le mode de vie rasta ou juste était- ce pour avoir un laisser- passer pour l’Europe ?

Il n’y a pas de lien. Je tenais à aller en France pour travailler dans un domaine bien précis. Quand j’y ai accédé dans mon pays, j’ai renoncé à y aller. J’ai eu plus d’un millier d’ opportunités pour résider en France, mais ce qui m’intéresse, c’est le développement de mon art dans mon pays.

Quant à la coiffure, je ne suis pas fondamentalement rasta dans la philosophie. J’ai joué un spectacle avec la compagnie Fereen, un spectacle nommé "Marafootage". Nous allions au Bénin puis au Cameroun et le metteur en scène Amadou Bourou, avait voulu que je joue le rôle d’un sorcier ou d’un marabout qui intervient dans un match de football. C’était la relation entre le football et le mystique .

J’étais celui qui jouait ce mysticisme. Il me fallait donc me natter. J’ai fait une coiffure rasta . A mon retour de cette tournée, Christian- paix à son âme- le regretté fils de Amadou Bourou, a admiré ma coiffure . C’est aussi lui qui m’a offert mon premier chapeau . Le look est venu par une création, puis par l’appréciation d’un enfant que j’aimais beaucoup.
Ce n’est pas lié à la culture rasta.

Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre domaine ?

Il y a pleine de problèmes. Il est beaucoup plus difficile de s’en sortir quand on essaie de faire de la création théâtrale que quand on le fait pour la sensibilisation. Lorsqu’on a la commande d’une ONG ou d’une organisation internationale qui donne les moyens de créer le spectacle et de tourner dans les 45 provinces ,tout va bien. Quand vous ne faites pas dans l’alimentaire ,il y a de véritables problèmes pour mobiliser les fonds ou avoir les lieux de répétition . Mais je ne vois pas de difficultés sur scène.

Il existe actuellement au Burkina un syndicat des comédiens. Quelles sont selon vous ce qui a motivé sa création ?

Aujourd’hui, nous n’avons pas de barème pour ce qui concerne les rémunérations. Il fallait fixer un minimum et dire qu’une personne qui est en prestation de 4 semaines, 6 semaines ou plus ne peut pas être payé un deçà de tels montants. Il faut que nous ayons cela ou à défaut , des taux horaires. A cela pourraient s’ajouter les cotisations pour la retraite, l’assurance, la sécurité sociale, etc. Nous n’avons rien de tout cela. Le créateur arrive, il choisit les comédiens et impose son mode de rémunération. Tu prends les sous dans une enveloppe et c’est tout. Le difficulté vient de là.

J’ étais hors du pays quand ce syndicat a été créé. Et depuis sa création, en tant que comédien burkinabè, je n’ai pas été contacté pour une Assemblée générale ou une réunion . Jusque- là, je sais que cette structure existe mais je n’ai pas été contacté par le syndicat pour une quelconque assemblée générale, pour une réunion, etc. Jusque- là, je sais que cette structure existe, mais je n’ai jamais été touché de près...

Mais d’habitude, ce sont les personnes concernées qui adhèrent...

C’est vrai, on doit adhérer puisque c’est un syndicat.

Alain Héma n’est donc pas membre ?

Encore faut-il qu’on me dise où se trouve la structure. Il faut bien la trouver. Vous direz peut-être que je ne l’ai pas cherchée, mais je crois qu’une organisation a besoin de membres. On ne s’assoit pas en tant que bureau pour attendre les membres. Il faut bouger pour les sensibiliser. Moi, en tant que comédien, si je ne sens pas que c’est une structure qui pourrait me défendre éventuellement, je ne courrai pas. Mais cela ne veut pas dire que cette structure ne peut pas défendre mes intérêts. Ce syndicat a été créé quand j’étais à l’étranger. A mon retour, on m’a dit qu’il y a un syndicat qui est né. De cette date à aujourd’hui, je n’ai jamais entendu parler d’une quelconque activité de ce syndicat.

Parlons des activités que vous menez parallèlement à votre métier de comédien. Vous êtes également le promoteur de cette grand-messe des enfants dénommée "Paroles croisées".

La 2e édition de "Paroles croisées" a eu lieu en juillet 2006. Paroles croisées, dans son articulation, c’est une thématique qui est arrêtée et que dans les différents pays- jusque- là le projet regroupe la Belgique et le Burkina- les enfants travaillent sur un même contenu. Cette année nous avons eu au total 16 écoles dont 4 de provinces, deux de Koudougou, une de Ziniaré et une autre de Kombissiri. Il y avait environ 600 gamins autour du projet.

L’idée, c’est que des professionnels vont dans des écoles pour travailler sur le thème, soit en théâtre, soit en danse, et tous les enfants participant au projet forment une grande chorale pour chanter. Cette année, compte tenu de mon absence du pays et des vacances, les enfants étaient dispersés. Maintenant, "Paroles croisées" devient un mouvement international qui a trois niveaux. Il y a le mouvement des femmes : les femmes belges étaient au Burkina.

Il y a eu un atelier de femmes burkinabé, le Théâtre Eclair. Il y a un atelier de jeunes qui vient de rentrer, il y a deux semaines de la Belgique. Ils sont en relation avec des jeunes de Liège et de Namur. Et il y a les structures des écoles primaires. Ce mouvement va concerner les femmes belges, guadeloupéennes, brésiliennes autour d’une thématique de leurs préoccupations. Pour ce qui concerne Classe d’art, il y a une école du Bénin et une du Niger qui sont intéressées par le projet. Mais vous savez, j’ai eu d’énorme problèmes de sous cette année pour arriver à la fin de l’opération. Et c’était difficile pour moi d’accueillir tout ce beau monde.

Que voulez-vous dire par là ? Vous n’avez pas eu de sponsors ?

Je n’ai rien eu, absolument rien. Il n’y a que l’UNICEF qui a pris en charge le séjour des enfants venant de l’extérieur. Tout le reste a été entièrement supporté par moi.

Le bilan n’est donc pas positif ?

Mais c’est positif. Quand je trouve tous ces gamins joyeux en train de rire, de chanter, de s’amuser, je suis heureux. Quand j’ai vu les enfants de Ziniaré ou de Kombissiri avec des mines à faire pleurer parce qu’ils n’avaient pas les moyens de venir, je n’étais pas du tout content. Mais quelques jours plus tard, du fait de les voir gambader pendant les activités, j’étais vraiment heureux. Je crois que le plus grand plaisir que je tire de cette activité, c’est de voir ces enfants contents.

Propos recueillis par Alain DABILOUGOU

Evasion

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