Tu vas certainement me demander qui a fait ça. Je ne saurais, pour l’instant, si ce n’est jamais, te le dire.

D’abord, parce que nous ne sommes pas dans un pays normal. A la faveur de la crise, chacun a construit son île où il vit en Robinson Crusoé, empêchant qu’on vienne le déranger dans son empire. Ensuite, parce que le problème paraît complexe. En effet, l’on dit qu’il s’agit d’un bateau russe, battant pavillon panaméen affrété par une société neerlandaise. Son nom (Probo Koala) rappelle ces langages codés propres aux milieux mafieux. C’est lui qui est à l’origine du scandale.

Quant aux responsabilités à l’intérieur du pays, les accusations mutuelles vont bon train.

Evidemment, les regards se sont vite tournés vers le ministre des Transports qui aurait signé l’agrément autorisant cette décharge de déchets toxiques. La société "Tommy" qui a procédé à cette sale besogne, a-t-elle agi seule ? Quelle a été la contrepartie financière de ce boulot ? Quand on sait que dans une économie de guerre, tous les moyens sont bons, il faudrait aux autorités ivoiriennes, quand bien même elles auront la volonté de faire la lumière sur ce scandale, des lampes-tempête pour épingler les coupables. Comme tu le vois, cher neveu, ce sont des problèmes aquatiques et il faudrait être un scaphandrier pour découvrir ceux qui ont posé cet acte. Ils ne sont certainement que de simples exécutants, les commanditaires se léchant déjà les babines en comptant les liasses qu’ils vont empocher.

Très cher neveu, l’Afrique transformée en dépotoir des déchets toxiques des pays industrialisés ne date pas d’aujourd’hui. Trop de responsables africains consentants, au mépris de la santé des populations, prennent en secret des engagements avec des multinationales apatrides, sans foi ni loi, avec comme principal souci, de toucher des commissions.

Et ce sont essentiellement les pauvres citoyens qui trinquent. Dans cette Côte d’Ivoire où il n’existe pratiquement pas d’organisations de la société civile fiables, la lumière sur cette affaire de même que sur celle des autres scandales, sera éclipsée par l’opacité qui a toujours entouré d’autres situations suspectes.

En attendant, la Côte d’Ivoire reste une terre de prédilection de tous les prophètes dont on peut cependant se demander s’ils ne sont pas de malheur. Après l’échec de la énième rencontre de Yamoussoukro (décidément les protagonistes ne voient pas le fantôme du vieux Houphouët les conjuran d’exorciser leurs démons), voilà que le beau-fils de l’autre, celui qui avait fait des propositions qui ont jeté de l’huile sur le feu, en rajoute. C’est vrai qu’en sa qualité de président de l’UA, il avait le droit et le devoir de mettre la main à la pâte. Mais, si c’est pour répéter ce qui ne fait pas l’unanimité, mieux valait se taire. Ne valait-il pas mieux attendre la réunion prévue au Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire pour voir si ça doit passer ou ça doit casser ?

Cher neveu. Ce qui me révolte dans tout ça, c’est le fait pour certains de nos chefs d’Etat de se croire obligés d’aller prendre des instructions à l’Elysée avant de se prononcer sur des problèmes africains. Plus de quarante ans après les indépendances, nos dirigeants ne semblent pas avoir grandi ; ils continuent à revendiquer, comme des prématurés (politiques), le biberon de l’ancienne puissance tutrice. Le résultat, en Côte d’Ivoire, est qu’à l’intoxication politique, il faut désormais ajouter l’asphyxie chimique. Au revoir.

Ton oncle

Le Pays