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Conflit au Darfour : « La souveraineté du Soudan a un seuil » dixit Youssouf Ouédraogo

Publié le mercredi 13 septembre 2006 à 07h53min

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Du 8 au 10 septembre dernier, le président Blaise Compaoré a séjourné à Syrte, ville natale du numéro un libyen, Mouammar Kadhafi, dans le cadre de la célébration du 7e anniversaire de la déclaration de la naissance de l’Union africaine.

Dans l’entretien ci-après, le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Youssouf Ouédraogo, qui était de la délégation, apprécie le chemin parcouru par l’organisation continentale. Il y donne aussi son point de vue sur la situation qui prévaut au Darfour.

Monsieur le Ministre, nous savons que le Burkina a joué une part active dans la rencontre de Syrte qui a permis de jeter les bases de la création de l’Union africaine (UA). 7 ans après cet avènement, quel regard faites-vous du chemin parcouru par cette organisation ?

Youssouf Ouédraogo

• Le président Compaoré a été au début du processus, dès le sommet d’Alger où l’initiative a été prise de faire le bilan de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). Au terme de cette évaluation, on s’est rendu compte que l’OUA avait fait un grand travail de décolonisation, d’émancipation des peuples africains, l’acquisition des indépendances, le démantèlement de l’apartheid...

Ces acquis sont indéniables certes, mais il était nécessaire d’aller vers une autre forme d’organisation continentale pour permettre à l’Afrique non seulement de s’unifier davantage, politiquement, mais aussi, de constituer une masse critique du point de vue économique pour avoir le niveau de compétitivité nécessaire qui puisse lui permettre d’échanger avec les autres régions du monde. Car, de plus en plus, que ce soit en matière d’économie, de politique, de géopolitique ou de géostratégie, les débats comme les compétitions et les combats vont se mener entre régions.

Il était fondamental que l’Afrique avance. D’où la proposition du guide de la Grande Jamahirya libyenne, Mouammar Kadhafi, d’accueillir un sommet extraordinaire, à Syrte le 9.9.99, qui appelait les chefs d’Etat à faire une déclaration politique indiquant leur désir de créer l’Union africaine. L’objectif étant de donner un nouveau départ pour le continent vers son unification nouvelle et également de mettre en place toutes les structures qui lui permettent de faire le travail indiqué plus haut. Les textes ont été adoptés en juillet 2000 ; en 2001, on a créé à Lusaka l’initiative africaine pour le développement qui est devenue après le NEPAD ; et à Durban en 2002, on a procédé au lancement officiel de cette Union africaine qui, faut-il le reconnaître, a fait beaucoup de progrès.

Cette célébration, le 9 septembre 2006, par la Libye était normale. Car, c’est son leader qui a proposé l’idée à Alger, en juillet 1999, avant d’accueillir le 19 septembre de la même année le sommet extraordinaire qui a abouti à la déclaration de la naissance de l’UA. L’essentiel, c’est que des progrès ont été non seulement accomplis, mais aussi, que de plus en plus les chefs d’Etat travaillent vers une plus grande union, notamment les Etats-Unis d’Afrique. Il est vrai que ce concept n’est pas encore bien cerné, mais l’idée est déjà politiquement lancée, et tout le monde y réfléchit. Ainsi, les chefs d’Etat vont très prochainement parvenir à une formule qui permette d’aller de l’avant.

On a créé des institutions comme le Parlement panafricain, et on s’est accordé que dans cinq ans ce serait un comité interparlementaire composé des représentants des Parlements des Etats membres et que plus tard il faudrait faire une élection directe. On a, en outre, créé un Fonds monétaire africain, une banque africaine...Petit à petit, ces institutions vont se mettre en place. Dans tous les cas, cela ne peut pas se faire de manière spontanée, mais plutôt dans la durée.

Qu’en est-il des conflits qui continuent de déchirer le continent ?

• Sur le terrain de la lutte contre les conflits, des progrès énormes ont été faits avec la création du Conseil de paix et de sécurité, qui a pu juguler beaucoup de crises. Il en reste certes encore bien d’autres, comme celle du Darfour, qui était à l’ordre du jour de cette célébration du 9.9.99. Le président du Soudan s’est longuement exprimé à la fois sur ce problème qui le préoccupe, sur la vision qu’il a de la situation et sur les solutions qu’il propose.

Le Burkina Faso préside en ce mois de septembre le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Le 18 prochain, nous allons avoir une réunion importante à New York sur le dossier du Darfour. Il appartiendra aux Africains de faire un choix. Il est vrai que la mission de l’Union africaine au Soudan, forte de 7000 hommes, a fait un important travail. Elle a toutefois des défaillances qui sont liées au fait qu’elle n’a pas tous les moyens financiers et logistiques nécessaires. Elle n’a pas non plus les infrastructures administratives et décisionnelles rapides, pour permettre de prendre les décisions et aller de l’avant.

Comme vous le savez, la logistique est importante ; il faut des avions, des hélicoptères, de l’argent, mais aussi une administration forte. Quand une mission des Nations unies se met quelque part, c’est une architecture d’ensemble. Ce n’est pas seulement les hommes. C’est aussi la capacité de décider d’aller au Conseil de sécurité pour prendre des décisions, de pouvoir les faire appliquer. Il faut faire en sorte que ce Conseil reste avec les puissances, les Etats.

Donc l’UA a décidé, au sommet de Banjul, de créer ce qu’on a appelé l’architecture continentale de paix et de sécurité, qui comprend un processus d’alerte rapide, mais aussi des brigades prépositionnnées, prêtes à aller rapidement sur le terrain ; cet organe comprend ainsi une réflexion administrative et politique capable de se comparer à ce que l’ONU fait actuellement. En attendant, on a des problèmes. Il faut mettre à la fois les moyens financiers, logistiques, mais aussi de la volonté politique pour accompagner ce processus-là.

Sur le conflit soudanais, les discours, qui ont marqué la célébration du 9.9.99, étaient contradictoires. Est-ce à dire que ce dossier constitue une pomme de discorde au sommet de l’UA ?

• Ce n’est pas une pomme de discorde. Dans ce débat politique nouveau, dans le cadre de l’Union africaine, il faut se parler franchement. Ce n’est pas parce qu’il y a un dossier difficile qu’il faut l’occulter ou parler la langue de bois. Non ! Je crois que ce qui est important dans le cadre de l’Union africaine et qui est différent de l’OUA, c’est que le discours, même des chefs d’Etat, a fondamentalement changé. Lorsqu’ils sont ensemble, ils se parlent plus franchement qu’auparavant, c’est-à-dire avec moins d’approche diplomatique.

Cela est important. Si vous regardez d’autres institutions, telle l’UE, il y a des fois où vous entendez par la radio qu’entre tel ou tel pays il y a des brouilles dans leurs relations ; mais cela ne les empêche pas le lendemain de se réunir et de se parler. De toutes les façons, s’il n’y a pas de dialogue politique, il n’y a aucun autre moyen de résoudre les problèmes. Le fait que le Soudan exprime son opposition à la présence de troupes étrangères sur son territoire n’est pas un grand problème.

C’est simplement l’expression de sa souveraineté, qui est valable jusqu’au point où les Africains sont capables d’assumer leurs responsabilités. Parce que l’ONU, et en particulier le Conseil de sécurité des Nations unies, qui a la charte de l’ONU, est la gardienne de la paix dans le monde ; elle a la capacité d’intervenir en tout lieu et en tout moment s’il y a un problème qui menace la paix mondiale.

Mais en attendant, l’ONU coopère avec les régions du monde, leur fait confiance pour qu’elles puissent se prendre en charge d’abord. C’est comme dans le cadre de l’Union africaine, qui fait confiance à la CEDEAO, à la CEDEAC ... pour résoudre les problèmes. Mais dès que ces institutions se déclarent défaillantes ou sont défaillantes, eh bien ! l’UA entre en scène. C’est la même situation entre l’ONU et l’UA. Alors, pour moi, ce n’est pas une pomme de discorde. C’est un débat normal et pour lequel il faut que les Africains sachent que dorénavant, il faut se parler franchement et dire aussi la solution qu’on pense être à même de résoudre le problème. Et si on n’a pas les moyens, on doit faire appel à d’autres régions pour nous aider.

Hamidou Ouédraogo

L’Observateur

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