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Luc Marius Ibriga : « Le droit international a marqué un recul depuis le 11 septembre »

Publié le lundi 11 septembre 2006 à 07h49min

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Luc Marius Ibriga

Quel bilan faire de la guerre engagée contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001 ? Regard sur ce sujet d’un analyste avisé, en la personne M. Luc Marius Ibriga, enseignant à l’Unité de formation et de recherche des sciences juridiques et politiques de l’Université de Ouagadougou.

Sidwaya. : 11 septembre 2001-11 septembre 2006 : quel bilan faites-vous de ce triste évènement ?

Luc Marius Ibriga : L.M.I. : Le 11 septembre 2001 a constitué un tournant décisif dans les relations internationales dans la mesure où véritablement, nous sommes passés de la situation d’une domination partagée à celle d’une domination américaine. Cet évènement a été le déclic pour imposer la puissance américaine qui, du fait de cette situation a complètement foulé au pied les règles du droit international notamment le droit international humanitaire concernant la lutte contre le terrorisme. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère où les relations internationales ont été totalement focalisées sur la lutte contre le terrorisme mettant au second plan les questions de développement et des droits humains.

S. : Quelles ont été les conséquences de ces attentats sur le cours de la marche du monde ?

L.M.I. : Le 11 septembre a donné l’occasion aux différentes puissances occidentales de mettre sur pied une sorte de règle importante dans les relations internationales à savoir que « la fin justifie les moyens ». Cette date a marqué un recul du droit, notamment du droit international dans sa capacité à organiser la vie des Etats. Au nom de la lutte contre le terrorisme, on en est arrivé à des attitudes et à des comportements qui vont à l’encontre du droit élémentaire des peuples. Je donnerai un certain nombre d’exemples dont la guerre en Irak, la situation au Moyen-Orient (...) qui montrant que le terrorisme est devenu un prétexte pour les différentes puissances d’asseoir leur hégémonie sur le monde.

Pendant que l’on est en train de demander aux pays africains de respecter les règles démocratiques et les droits de l’Homme, ceux-là qui nous donnent les leçons sont peu regardants sur le respect de ces mêmes règles qui sont des règles cardinales de leur système politique. Aujourd’hui, la lutte contre le terrorisme justifie toutes les attitudes et les récentes révélations du président américain sont là pour montrer que normalement l’ »abeas corpus » qui devrait être le principe de base dans toutes les différentes sociétés est complètement foulé aux pieds. Il n’y a plus de présomption d’innocence.

Il y a en fait une inversion de la charge de la preuve. On est coupable et il vous appartient de démontrer votre innocence. Et sur ce plan, l’Afrique est de plus en plus marginalisée dans la mesure où le soutien qui est accordé aux pays africains se focalise sur la lutte contre le terrorisme. Lorsqu’on regarde dans l’agenda de l’Union européenne, la révision de l’accord de Cotonou a inséré un volet concernant la lutte contre le terrorisme qui, véritablement, n’est pas une priorité pour des Etats africains. Il y a une inversion de la tendance dans le monde, ramenant les questions de sécurité à un premier plan au détriment des questions de développement.

S. : Au regard de l’évolution de la situation dans le monde, peut-on affirmer 5 ans après les attentats du 11 septembre que la lutte contre le terrorisme connaît un succès ?

L.M.I. : L’encadrement juridique du terrorisme a connu des avancées. C’est-à-dire que le problème qui se posait antérieurement était de savoir quelle était la définition du terrorisme. Aujourd’hui, il semble y avoir un consensus sur la définition du terrorisme, notamment dans son sens qui est une action violente tendant à créer la peur, la psychose et à mettre une politique donnée pour cela. De ce point de vue, il y a une avancée. Mais le problème de la lutte contre le terrorisme veut qu’il y ait une supranationalisation des systèmes dans cette lutte. Aujourd’hui, la souveraineté des Etats fait qu’il y a un morcellement de la lutte. La preuve c’est que 5 ans après le 11 septembre, on n’a pas encore arrêté les véritables cerveaux de ces attentats.

Ce qui a été veut dire que ce système mis en place généré par les Etats-Unis eux-mêmes. Il ne faut pas l’oublier, tous ces moudjahidines, ces talibans, ces personnes qui sont aujourd’hui qualifiés de terrorises, d’islamistes et autres sont les mêmes que les Etats-Unis armaient pour combattre l’Union soviétique lors de l’invasion de l’Afghanistan. Le lutte contre le terrorisme est l’illustration de la mise en cause d’une politique dont les conséquences sont issues de la guerre froide au cours de laquelle on pensait qu’on pouvait s’acoquiner avec n’importe quelles forces prouvu qu’on puisse mettre à genou l’Union soviétique. Cela a été fait et maintenant, il y a le retour du bâton. Sur le plan financier, on n’a pas encore tari les sources du terrorisme. Partout dans le monde, et même dans notre sous-région, des règles ont été adoptées pour le contrôle de la circulation de l’argent. Mais on constate aujourd’hui que les terroristes sont toujours financés. La méthode forte utilisée a donné des résultats plus que mitigés.

S. : Quelle en est la conséquence pour les pays Africains ?

L.M.I. : Les politiques développés en Afrique pour le progrès du continent ont été réduites et les moyens sont aujourd’hui investis pour traquer les terroristes. Vous êtes plus écouté si vous décidez de mettre en place une brigade anti-terroriste que si vous voulez avoir de l’argent pour mettre en place des politiques de développement. Au Mali, les Etats-Unies ont monté des structures dans le désert non pas parce qu’on voulait appuyer l’armée malienne mais parce qu’il fallait traquer les Salafistes qui viennent de l’Algérie. Aussi, la lutte contre le terrorisme a réduit la liberté de circulation. Certes on est dans la mondialisation mais, on considère les Etats africains comme des pays peu sûrs et peut-être des lieux de départ de groupes terroristes. Cela entraîne des mesures de sécurité très coûteuses pour nos budgets. On investit dans des domaines qui ne nous sont donc pas prioritaires.

Entretien par Antoine W. DABILGOU

Sidwaya

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