LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Bouda Sana : « L’aquaculture est à la fois une question d’économie, de sécurité alimentaire et même de souveraineté »

Publié le samedi 2 septembre 2006 à 08h45min

PARTAGER :                          

Bouda Sana

Le Burkina Faso est un pays de l’hinterland, loin de la mer et moins arrosé. Cultiver du poisson peut sembler être une utopie. Cependant, la pisciculture peut être pratiquée et elle apportera environ 3 à 5 milliards de FCFA à l’économie burkinabè.

Formé en Taïwan dans le domaine de la pêche et de l’agriculture, le responsable du Projet d’élevage piscicole de Bagré, Sana Bouda situe dans cet entretien, l’importance de ce projet pour le Burkina Faso, les ambitions et les résultats déjà atteints.

Sidwaya (S) : Qu’est-ce que le Projet d’élevage piscicole ?

Sana Bouda (SB). : Le Projet d’élevage piscicole est un projet ambitieux qui doit servir de socle pour initier et promouvoir l’aquaculture au Burkina Faso. Le projet est financé et soutenu par la coopération Taïwan-Burkina Faso. Il a débuté il y a juste deux ans. Nous sommes à la première phase qui se termine d’ici à juillet 2007.

S. : Quelle nuance entre pêche et aquaculture ?

S.B. : L’aquaculture est la contrepartie aquatique de l’agriculture. C’est donc la culture ou l’élevage d’êtres vivants dans l’eau. L’aquaculture ne « rejoint’ la pêche que dans les principes généraux de gestion des ressources naturelles renouvelables et en ce que dans les deux cas, on a affaire au milieu aquatique et à des produits de mêmes espèces souvent. L’aquaculture est plus proche de l’agriculture ou de l’élevage que de la pêche aussi bien dans l’ingéniosité que dans les techniques de production, entre autres. Autrement dit, l’aquaculture est à la pêche ce que l’élevage est à la chasse ou l’agriculture est à la cueillette. C’est vrai que pour des besoins de suivi, de statistiques et pour certaines autres synergies d’aménagement, on a souvent plutôt lié pêche et aquaculture.

S. : Quelles sont les différentes composantes du projet ?

S.B : Il y a quatre composantes qui sont en même temps les sous-objectifs du projet. L’initiation et la promotion de l’aquaculture étant l’objectif global.

La première composante est le centre de promotion. A ce niveau, nous comptons former des techniciens et des ouvriers aquacoles qui pourront non seulement servir au ministère de vulgarisateurs de l’aquaculture mais aussi aux opérateurs qui voudront s’investir dans cette activité.

La deuxième composante est le volet laboratoire à travers lequel nous voulons développer des techniques d’élevage de poissons adaptées au Burkina Faso. Taïwan, premier pays en matière de haute technologie de l’aquaculture, nous assiste dans ce projet.

Nous travaillons à définir les techniques d’élevage qui seyent au contexte du Burkina Faso en vue de leur vulgarisation. Nous voulons également assurer la semence pour soutenir les premiers aquaculteurs. Le laboratoire nous permet en outre de définir des formules alimentaires pour les poissons.

La troisième composante, la fabrique d’aliments est déjà opérationnelle. Notre usine a une capacité d’une tonne par heure. Cette production intéresse l’élevage des volailles ainsi que celui du bétail. Mieux, l’usine est dotée d’une haute technologie qui permet de produire des aliments de poisson qui intègrent la flottabilité et la stabilité qui permettent leur accessibilité aux poissons. L’usine permet donc d’atteindre les qualités physiques. Elle a un équipement spécial qu’on appelle extuder qui permet d’extraire des éléments nocifs des protéines végétales prisés des poissons.

Grâce à cet équipement, nous pourrons assurer des aliments pour poissons pour soutenir l’aquaculture au Burkina Faso en ce sens que notre propre consommation représente environ le dixième de notre production.

La quatrième composante est la production de poissons marchands. Nos bassins sont faits à cet effet. Nous projetons de produire dix tonnes par mois donc 120 tonnes de poissons annuellement. Cette production de poissons ainsi que la fabrique d’aliments, nous allons les rétrocéder à des opérateurs privés, car le rôle de l’Etat est de créer les conditions propices à l’exercice de l’activité. La production de 120 tonnes montre la rentabilité et la faisabilité de l’aquaculture dans notre pays. Et si nos opérateurs économiques ne s’y intéressent pas, ils seront devancés par ceux de l’étranger.

S. : Vous êtes à quelle phase d’exécution du projet ?

S.B. : La production de 10 tonnes de poissons par mois est un phase-pilote. Les premiers poissons sortiront peut-être en décembre prochain. Mais c’est progressivement que nous atteindrons les 10 tonnes par mois.

S. : L’écoulement des poissons cultivés ne posera-t-il pas des problèmes ?

S.B. : Pour le développement du secteur aquacole, le premier facteur, c’est le marché. S’il n’a pas de marché, ce n’est pas la peine de s’y jeter. Le volet commercialisation est tellement important que les initiateurs du projet ont initié un autre projet qui va s’occuper du marketing, de l’écoulement et de la commercialisation. Il faut influencer les habitudes alimentaires des gens, les amener à s’intéresser à nos produits surtout avec les poissons de mer qui ont envahi notre marché. Nous souhaitons que d’ici 3 à 5 ans, les opérateurs et les ménages puissent se mettre dans la production de sorte à faire une production aquacole importante dont la distribution sera assurée par le projet de marketing.

S. : Le poisson élevé au Burkina va-t-il intéresser les consommateurs ?

S.B. : C’est au niveau de la qualité que tout va se jouer. Le poisson d’eau douce n’a rien à comparer avec le poisson de mer. Le consommateur qui peut avoir le poisson d’eau douce ne cherchera pas des poissons de mer. Nos poissons seront plus qualitatifs que les autres poissons d’eau douce issus de la pêche.

Aussi, nous pourrons vendre les poissons vivants pour ceux qui le voudront. Nos aliments agissent positivement sur la qualité de nos poissons. Les gens pourraient faire le constat quand nous allons commencer la vente.

S. : L’ensemble de tous ces soins ne rendra-il pas nos poissons inaccessibles au consommateur moyen ?

S.B. : Non, je ne le pense pas. C’est une question d’économie d’échelle. Par malheur, si les opérateurs privés et les ménages ne s’impliquent pas, la seule production de 120 tonnes par an du projet sera beaucoup recherchée. Le coût sera élevé du fait de la rareté. Ainsi, le consommateur peut acheter le poisson cher parce que nous ne maîtriserons pas la chaîne de distribution et de revente.

S. : Vos poissons ne seront-ils pas des OGM ?

S.B. : OGM ! Non, rassurez-vous. Mais personnellement, je pense que la biotechnologie n’est pas en elle un mal. L’Internet par exemple, a d’abord été utilisé par l’armée avant d’être vulgarisé. Est-ce pour autant que les ordinateurs, les téléphones ont été rejetés en bloc parce qu’ils ont été d’abord utilisés à des fins criminelles. C’est la même chose pour la biotechnologie que l’on utilise pour améliorer les rendements. Le Pr Peter Drucrer a déjà avisé de l’importance à accorder à la biotechnologie et à l’aquaculture pour parer à la crise alimentaire que l’humanité traversera si rien n’est fait. Selon lui « l’aquaculture est avec la biotechnologie, deux domaines sur lesquels l’humanité devra davantage s’appuier pour faire face aux défis alimentaires futurs.

S. : De façon pratique, comment étendre la pisciculture au territoire national ?

S.B. : Nous sensibilisons les gens afin qu’ils s’intéressent à l’aquaculture. Ce sont les opérateurs économiques qui ont la capacité de mener cette activité et il est important qu’ils commencent dès à présent. Les ménages aussi peuvent pratiquer l’élevage du poisson à petite échelle. Nous avons un centre de formation d’où sortiront des techniciens qui vont les épauler. Notre laboratoire pourra leur fournir les semences nécessaires pour entreprendre cette activité.

Il y a des techniques propres à l’élevage du poisson uniquement. Comme il y en a pour ceux qui veulent faire de l’aquaculture intégrée . C’est-à-dire l’associer à d’autres activités comme la riziculture. A ce niveau, ont peut nourrir les poissons avec les fientes de poules.

S. : Comment et où concrètement on peut élever les poissons ?

S.B. : Il faut juste avoir un stock d’eau de 50 à 150 cm de profondeur. Les gens mettent généralement cette inquiétude non justifiée de savoir où trouver l’eau nécessaire. L’aquaculture ne consomme pas d’eau. Elle l’utilise. On peut aménager un bassin contenant de l’eau pour élever les poissons. Les poissons à travers leur urines et leurs déchets enrichissent l’eau en la fertilisant pour des usages agricoles. L’expérience a montré que les agriculteurs qui associent l’aquaculture utilisent moins de fertilisants et moins d’herbicides parce que les poissons consomment les jeunes pousses d’herbes. Concrètement, on peut élever le poisson dans les rizières, les étangs, les mares naturelles, les boulis... La densité de 3 poissons au mètre carré ou plus nécessite que l’on prenne des mesures d’aération pour parer au problème d’oxygénation.

S. : Combien de temps peut durer l’élevage d’un poisson ?

S.B. : Cela dépend de l’espèce de poisson, de la nourriture utilisée et aussi de la taille qu’on recherche. Le tilapia par exemple, est vendu à 25g. Dans de bonnes conditions, il grossira de deux grammes par jour. La durée de l’élevage est donc fonction du poids et de la taille qu’on veut du poisson.

S. : Combien de temps le projet se donne-t-il pour intéresser les opérateurs privés ?

S.B. : Il y a eu des projets dans le domaine de la pisciculture. Mais celui-là nous sommes déterminés à le réussir, sa particularité réside au niveau de l’engagement politique dont il bénéficie. De plus, nos partenaires taïwanais sont techniquement bons et de très gros travailleurs.

La première phase du projet prend fin en juillet 2007. Les phases suivantes correspondront à la rétrocession des composantes au privé pour peu que ceux-ci le veuillent. Pour nous, le plus tôt est le mieux.

S. : Est-ce que le centre de formation est fonctionnel ?

S.B. : Nous pensons recevoir les premiers stagiaires autour du mois de janvier-février 2007. Les techniciens seront formés en neuf mois. Les ouvriers aquacoles en trois mois.

S. : Quelle est l’importance de l’aquaculture au Burkina Faso.

S.B. : L’aquaculture participe à l’approvisionnement du pays en poissons d’eau douce de meilleure qualité et à un coût abordable. Nos barrages (Kompienga,, Nagbangré, Mogtédo...) ne fournissent plus assez de poissons comme c’était le cas jadis,, seulement 8 500 tonnes contre 100 000 tonnes de poissons de mer (importés). Cette consommation annuelle de 18 500 tonnes donne autour de 1,5 kg le poisson par personne et par an. Alors que le taux africain et le taux mondial sont respectivement de 7,8 et 16,3 kg de poissons par personne et par an. Le seul moyen pour avoir du poisson en quantité et en qualité est l’aquaculture. C’est à la fois une question d’économie, de sécurité alimentaire et même de souveraineté. Nous devons à tout prix adapter l’aquaculture parce qu’on en aura besoin.

S. : Quelles sont les difficultés rencontrées ?

S.B. : Nous ne sont sommes pas encore éprouvés. Ainsi, nous n’allons pas imaginer des difficultés. Pour le moment, tout va bien.

S. : Quelles sont vos attentes ?

S.B. : C’est essentiellement, l’accompagnement des médias. Voyez-vous, on est à un stade où il faut cultiver l’aquaculture dans les esprits des gens pour espérer développer le secteur aquacole au Burkina Faso. C’est ce que nous visons à travers les démonstrations de faisabilité et de rentabilité de la spéculation. Pour cela, nous avons beaucoup besoin des médias dans la sensibilité de la population.

S. : Quelle sera votre vocation après la première phase du projet ?

S.B. : Après la première phase, nous œuvrerons à répondre aux sollicitations de nos différents partenaires. Il faut comprendre que le projet s’inscrit dans le processus de la politique gouvernementale de développement de l’aquaculture. Juillet 2007 marquera la fin d’une étape mais pas celle du processus.

Nous avons notre centre de formation professionnelle aux métiers de l’aquaculture qui a tous les atouts pour animer un centre de formation compétitif dans la sous -région. A la même envergure, le laboratoire assurera la production des semences. Je crois qu’après juillet 2007, la structure toute entière pourra devenir un centre national d’appui au développement de l’aquaculture pour consolider les acquis.

Boureima SANGA (bsanga2003@yahoo.fr)
Abdoulaye SERE(stagiaire)

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)