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Dossier Norbert Zongo : Trois raisons pour la ré-ouverture

Publié le lundi 28 août 2006 à 08h07min

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Le dossier Norbert Zongo ne saurait être classé sans suite alors que des raisons existent pour sa réouverture, estime le Mouvement de la paix. Pour son président, Dr Bangba Pierre Bidima, 3 raisons essentielles doivent amener le juge d’instruction à se saisir à nouveau du dossier.

Dimanche 13 décembre 1998, Norbert Zongo, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant, ainsi que ses 3 autres compagnons sont retrouvés morts calcinés dans sa Toyota de type Land Cruiser 4x4 sur la route de Sapouy, à environ 100 Km de Ouagadougou. Il enquêtait sur la mort de David Ouédraogo, chauffeur de M. François Compaoré, frère cadet du président Blaise Compaoré.

Cinq jours avant sa mort, soit le 8 décembre 1998, il écrivait dans L’Indépendant ceci :

« Supposons aujourd’hui que L’Indépendant arrête définitivement de paraître pour une raison ou pour une autre (la mort de son directeur, son emprisonnement, l’interdiction définitive de paraître, etc.), nous demeurons convaincu que le problème David restera posé, et que tôt ou tard, il faudra le résoudre, tôt ou tard. »

La jeunesse dans la rue

Au journal télévisé de 20h du lundi 14 décembre 1998, la présentatrice (dont nous taisons le nom) dit qu’il s’agit d’un accident de circulation, sans même attendre les résultats des enquêteurs. Elle a dû recevoir des instructions dans ce sens, au regard de la suite des événements.

Fâchée, choquée et perdue, la jeunesse scolaire et estudiantine, qui vouait une admiration considérable à Norbert Zongo, dans un mouvement spontané, descend dans la rue le mardi 15 décembre, saccage le siège du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP)- parti au pouvoir - et broie ses cars en signe de protestation. Les manifestants scandaient des slogans hostiles au régime, au CDP, et à François Compaoré , l’homme par qui la tragédie est arrivée ; Ils exigeaient la création immédiate d’une Commission d’enquête indépendante (CEl). Le 16 décembre 1998, les restes calcinés de Norbert Zongo et de ses trois (3) compagnons, tous des civils, sont conduits à leur dernière demeure au cimetière de Goughin, par une foule nombreuse, estimée à 400 000 manifestants, selon les organisateurs, et 250 000, selon les sources indépendantes.

Une enquête indépendante, première exigence du Collectif

Ce même 16 décembre, aux environs de 19 h, après l’enterrement, le collectif contre l’impunité et pour la vérité et la justice sur le quadruple crime de Sapouy voit le jour au domicile de l’illustre disparu, avec pour composante le groupe du 14 février (regroupement des partis d’opposition G 14), de la Confédération générale du travail (centrale syndicale CGT) , le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), des associations pour la liberté de la presse et des journalistes et, bien sûr de l’association des étudiants burkinabè,. Plus tard, la composition du collectif sera élargie à d’autres organisations de la société civile, syndicats et partis politiques.

Le collectif exige, dès sa création, une commission d’enquête indépendante, organise des manifestations de protestation, des grèves générales, des marches...

Le pouvoir, coincé et surpris par l’ampleur de la mobilisation populaire, crée, dans la

foulée, le 18 décembre 1998 une CEl, mais prend le soin de la bourrer de ses hommes pour, ainsi, s’assurer de son contrôle. Le collectif contre l’impunité rejette cette CEl, intensifie la pression sur le régime et exige une autre CEl plus indépendante. Face à cette détermination sans faille des militants du collectif qui manifestent à travers tout le pays désormais, le pouvoir recule et révise la CEl du 18 décembre par la création d’une autre CEl par décret le 7 janvier 1999, jugée acceptable par toutes les parties. La CEl se met au travail mais, très vite, elle rencontre des obstacles sur son chemin. Morceaux choisis : « En effet, alors que le drame s’est produit le 13 décembre 1998, les enquêteurs de la commission n’ont pratiquement commencé que le 1er février 1999, avec la première audition. Ce retard a réduit les chances de conservation des indices et de récolte des informations (cf. rapport CEl P.4)

Le lieu du drame rapidement réfectionné

Lorsque la « commission s’est rendue sur les lieux le 5 février 1999, elle a constaté que l’ensemble du tronçon a fait l’objet de travaux de réfection » (cf. rapport CEl) Qui a ordonné ces travaux et pourquoi ? Est-ce que c’est en faveur de la manifestation de la

vérité ?

« A ces difficultés est venue s’ajouter la relève du personnel d’appui, décidée sans avis préalable de la CEl par les ministères de tutelles le 13 mars 1999 pour les éléments de la gendarmerie nationale, et le 16 mars pour ceux de la police nationale relève qui a freiné l’élan de la commission tout en lui portant préjudice en raison de l’appui certain que ces éléments apportaient à la commission. » (cf. P4. Comme on le voit dans ce petit rappel des faits, la création de la CEl n’a pas été facile, son fonctionnement non plus, contrairement à une certaine opinion révisionniste de l’histoire et des faits, quoique minoritaire, qui prévaut dans le milieu de la presse d’Etat. Qui avait intérêt à freiner l’élan de la commission par la relève du personnel sécuritaire d’appui ? "Faut pas nous prendre pour bêtes" comme dit l’artiste ivoirien.

Malgré tout, au bout de 4 mois de travail, la CEl achève sa mission après avoir ordonné deux (2) expertises internationales : « l’une en balistique et incendie, l’autre

en médecine légale », et conclut à un quadruple assassinat du journaliste et ses compagnons. La CEl n’a pas trouvé de coupables formels mais a identifié six sérieux suspects, tous de la garde présidentielle, avec à leur tête le tristement célèbre Marcel Kafando, qui sera plus tard traduit en justice pour des crimes de torture et d’assassinat de David Ouédraogo. Jugé et condamné à 20 ans de réclusion criminelle dans l’affaire David Ouédraogo, Marcel Kafando, également inculpé dans l’affaire Norbert Zongo vient de bénéficier d’un non-lieu après que l’unique témoin à charge du nom de Racine Yaméogo, ancien militaire, s’est rétracté.

Le juge d’instruction a suivi les réquisitoires du procureur du Faso (alors qu’il n’était pas obligé de le faire). La Cour d’appel de Ouagadougou, saisie par la partie civile, a également suivi les réquisitoires du procureur général ( PG) et confirmé le non-lieu le 16 août 2006. Selon le PG, le dossier Norbert Zongo n’est pas enterré ; il peut être réouvert à tout moment dès qu’il y aura des éléments nouveaux.

Les raisons de la réouverture du dossier

Le Mouvement de la paix, qui a toujours estimé que l’impunité et le déni de justie constituaient une menace sérieuse à la paix, vient par la présente déclaration exiger réouverture immédiate du dossier Norbert Zongo, pour les raisons suivantes :

Première raison : le juge d’instruction a décidé de faire bénéficier à Marcel Kafando la clause du « doute » qui profite à l’accusé. Soit, mais la CEl a conclu que le quadruple assassinat de Norbert Zongo et ses compagnons avait été l’œuvre d’au moins 3 personnes, au regard des conclusions des expertises internationales indépendantes effectuées : « Norbert Zongo et ses compagnons ont été assassinés par plusieurs personnes (au moins trois).>> (rapport CEl.P, 23).

Pourquoi, alors, un non-lieu pour ces assassins X ? Leur(s) témoin(s) se sont, aussi rétractés ? Qui sont-ils ? ou, alors, le juge d’instruction, en son âme et conscience, a estimé que le quadruple assassinat a été réalisé par une seule personne, contrairement au point de vue des experts internationaux, et, comme le "doute" profite à cette seule personne, le juge prononce le non-lieu à son profit ? Mais, alors, pourquoi n’avoir pas fait une contre-expertise pour infirmer les conclusions des premiers experts avant de prononcer le non-lieu ? Le juge d’instruction peut remettre en cause le travail des experts, mais à condition qu’une contre-expertise soit réalisée et infirme les premières conclusions. Le juge d’instruction n’ayant pas prouvé que le quadruple assassinat de Sapouy a été l’œuvre d’une et une seule personne, n’ayant pas ordonné la contre-expertise pour disculper les autres personnes (X) incriminées par la CEl, est allé trop vite en besogne en ordonnant le non-lieu. C’est

pourquoi le parquet devra rouvrir le dossier et poursuivre X.

Deuxième raison : M. Babou Naon, ex-militaire du régiment de sécurité présidentielle (RSP) impliqué dans une affaire controversée de tentative de coup d’Etat le 6 octobre 2003, avait fait des déclarations accablantes sur François Compaoré, en rapport avec l’assassinat de Norbert Zongo et ses compagnons, lors de son procès. Le juge d’instruction en charge du dossier Norbert Zongo l’a alors auditionné 3 fois, et, en réponse à une des questions du juge lors d’une de ces auditions, il dit : « Oui, après le crime, j’étais allé voir François Compaoré pour lui dire que si les auteurs faisaient partie de la sécurité présidentielle, ils n’avaient pas

rendu un service ni au président, ni à son entourage, ni à lui-même. Cette conversation a eu lieu à son bureau le 15 janvier 1999 », soit un mois seulement après la tragédie de Sapouy. Selon Naon, ses remarques pertinentes critiques n’ont pas été du goût de M. François Compaoré, qui« s’étonne même que des éléments de la sécurité présidentielle désapprouveut ce qui est arrivé à Norbert Zongo,

encore moins des officiers ».

Dans une interview qu’il a accordée à "L’Observateur Paalga" du 1er février 2005, M. François Compaoré répondant à la question du journaliste relative à sa rencontre avec M. Naon, déclare : « Je ne me rappelle pas avoir eu un quelconque

entretien avec lui, ni avant ni après le 13 décembre 1998. »

Au regard même de la gravité des déclarations attribuées à M. François Compaoré par M. Naon, qui, si elles étaient prouvées, constitueraient une preuve irréfutable de l’implication de M. Compaoré dans le quadruple assassinat de Sapouy, le juge d’instruction avait l’obligation professionnelle d’organiser ne serait-ce qu’une seule confrontation entre les deux hommes. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? On confronte Racine Yaméogo (témoin à charge) plusieurs fois avec l’accusé Marcel Kafando, et on « omet » de confronter M. Babou Naon et M. François Compaoré pour infirmer ou confirmer les propos graves et troublants qu’aurait tenus M. François Compaoré. Pourquoi le juge d’instruction n’a-t-il pas fait cette confrontation ? Le déni

de justice, c’est aussi le refus éclairé de rechercher la vérité alors qu’elle est à portée de main. Le juge d’instruction était-il aussi l’un de ses juges acquis au ministre Badini de la justice ?

Eu égard à tous ces manquements, le Mouvement de la paix exhorte le Parquet à rouvrir le dossier pour continuer à rechercher la vérité et la justice pour Norbert Zongo.

Une démarche préventive

La troisième raison qui nous amène à exiger la réouverture de ce dossier est relative aux différentes requêtes faites par les partenaires internationaux au développement du Burkina Faso comme l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique, à travers leur ambassade dans notre pays. Ces partenaires connaissent parfaitement notre système judiciaire. Ils contribuent significativement à sa réforme pour la rendre plus performante, plus juste afin qu’il puisse dire le droit en

toute équité. C’est pourquoi l’ambassade des Etats Unis d’Amérique s’est jointe à

l’Union européenne pour« encourager les autorités judiciaires à poursuivre

vigoureusement l’instruction du dossier Norbert Zongo, et« lance un appel au gouvernement du Burkina Faso pour qu’il facilite toute activité des autorités judiciaires pour l’instruction du dossier, et favoriser la manifestation de la vérité » (cf. déclaration de l’ambassade des USA au Burkina ). Ces requêtes des partenaires occidentaux, loin d’être une immixtion dans nos affaires judiciaires, comme le pense une certaine opinion proche du pouvoir, sont plutôt des conseils d’amis, et une démarche préventive aux conflits dans notre pays, car l’une des menaces sérieuses à la paix demeure bel et bien l’impunité des crimes et le déni de justice.

Au total, Le Mouvement de la paix, au regard des trois points évoqués ci-dessus : demande au Parquet de rouvrir le dossier Norbert Zongo

- lance un appel à ses militants (es) et sympathisants(es) pour qu’ils se mobilisent pour des actions pacifiques et citoyennes futures en faveur de cette réouverture ;

- encourage, félicite et soutient, la résistance pacifique des femmes et des filles regroupées au sein de l’association « Femmes en noir du Faso » qui luttent pour exiger la vérité et la justice pour tous les crimes impunis, dont celui, bien sûr, de Norbert Zongo ;

- invite sa frange féminine à rejoindre l’association « Femmes en noir du Faso »

dans son noble combat.

Non à l’impunité !
Non au déni de justice !
Vérité et justice pour tous les crimes impunis !

Pour le Mouvement de la paix
Le Président ,
Dr Bangba Pierre Bidima

Ouagadougou, le 27 août 2006

Le Pays

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