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« Système D » à Ouagadougou : Les jeunes luttent pour survivre

Publié le samedi 26 août 2006 à 09h40min

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Déterminés à faire faux bond à la déperdition, à la délinquance et autres maux sociaux afin de braver la pauvreté et la précarité de l’emploi, des jeunes s’emploient quotidiennement sur les rails (avenue du Conseil de l’Entente) à cheval entre les quartiers Gounghin et Hamdallaye, respectivement des secteurs n°9 et n°10 de Ouagadougou.

Il est 10 h 45 en cette matinée du vendredi 18 août 2006 lorsque nous arrivons à l’intersection ferroviaire de l’Avenue du Conseil de l’Entente dans les quartiers Gounghin et Hamdallaye. Des jeunes garçons, environ une dizaine, alertes, se ruent sur des usagers, désireux de franchir leurs engins d’un côté vers l’autre des rails. Ces jeunes, de 6 h à 18 h allouent quotidiennement moyennant de l’argent, leurs services physiques aux passants voulant traverser les rails longeant le côté nord du stade du 4-Août et coupant l’avenue du Conseil de l’Entente en deux grandes routes.

L’une (secteur n°9) située au côté sud des rails sépare dans sa petite portion bitumée la centrale électrique et le centre de formation professionnelle SONABEL de Gounghin. Le reste de la grande portion goudronnée entièrement, débouche sur l’avenue Kadiogo, la nationale 1 Ouaga - Bobo. Au Nord des rails se trouve l’autre route (secteur 10) de l’avenue du Conseil de l’Entente totalement bitumée rejoignant l’avenue Yatenga, la nationale 3 Ouaga - Yako.

Sur ces rails et en retour pour service rendu, les facilitateurs de la traversée des engins reçoivent toutes sortes d’égards de la part des usagers notamment des cadeaux, de simples témoignages de gratitude et surtout de l’argent. La pratique qui consiste à enjamber ou survoler l’engin d’un passant des rails n’a pas toujours existé. Elle naît fortuitement en 1998 lorsqu’une motocycliste en Yamaha, surprise par l’existence des rails et incapable de les franchir seule, fut secourue par des adolescents de passage.

La bonne dame profondément reconnaissante les récompensa par un billet de 500 F CFA (inusité de nos jours) de l’époque. Cette passante venait de pourvoir sans le vouloir et sans le savoir un emploi aux adolescents (futurs jeunes) qui à la quête d’argent vont « assiéger » au jour le jour les rails. Ces adolescents au nombre de huit en 1998 atteignent 18 en 2004 et sont entre 25 et 40 de nos jours, se relayant par dizaine environ sur les rails. Apolino Neas la trentaine révolue (35 ans) est un mécanicien togolais qui a intégré le groupe en 2004. « On a des qualifications.

Si l’Etat ne peut pas nous aider à trouver du boulot, il faut en créer. C’est pourquoi je bosse dans les rails avec mes frères Burkinabè depuis 2 ans. Notre travail nous évite de céder aux tentations malhonnêtes et deshonorantes et nous sommes fiers de l’argent que nous recevons après service rendu à un passant.

Nous envisageons dans les semaines et mois à venir, porter un uniforme pour se faire mieux respecter et se distinguer des délinquants qui se déguisent en bon samaritain et dépouillent les usagers de leurs biens », a confié le Togolais. « Avec mes petites connaissances en mécanique, a-t-il ajouté, j’aide de temps à autre un ami burkinabè à faire la révision de cyclomoteurs grosse cylindrée ».

Norbert Bazié élève, âgé de 18 ans affirme : « J’ai le BEPC, je vais en 1ère l’année prochaine et je passe mes vacances ici où je peux m’acheter quelques articles et effets d’habillement à tout moment et à la rentrée. Le manque de moyens pour continuer les études, l’échec aux différents concours fait que beaucoup de gens qui ont le BEPC ou le certificat s’adonnent à cette activité pour survivre ». Il n’y a pas que des élèves qui se rencontrent dans la traversée des rails. Ousmane Traoré, joueur en catégorie junior à l’USFA témoigne : « Je passe la moitié de ma journée sur les rails et avec ce que je gagne, je peux m’acheter un maillot, des madres... »

Toute la problématique de ce « travail » tourne épineusement, autour du manque d’emploi, de formation des jeunes et aussi de la pauvreté. « Pour éviter la délinquance, le vol, le banditisme, c’est un bon système. En tout cas, c’est mieux que d’errer dans les rues pour arracher les sacs des femmes et anarquer les gens », a souligné Mme Louise Ouédraogo, une passante.

Pour Mlle Saki Tapsoba dit la princesse, habitante au secteur n°10, « cette activité est meilleure que le vol, ces jeunes garçons sont accueillants et courageux. J’en appelle au gouvernement de leur venir en aide afin de leur trouver du travail moins pénible et plus rentable que celui fait sur les rails. J’évite de faire le tour, les longues distances pour économiser mon carburant dont le prix augmente intempestivement. Ce genre de raccourcis par les rails est donc meilleur. Bravo aux enfants pour ce qu’ils font à notre endroit. Je leur donne un peu d’argent quand je suis de passage, pour les soutenir ».

Cependant de l’avis d’autres usagers de l’avenue du Conseil de l’Entente, il faut situer les responsabilités et les assumer avec habileté et honnêteté. « En temps normal, cette avenue devait se prolonger transversalement aux rails mais ce n’est pas le cas. Du reste, coup de chapeau aux jeunes majoritairement élèves qui par cette initiative résolvent eux-mêmes leurs problèmes d’argent et d’emploi », a remarqué Mariam Kanao, passante.

M. Hema renchérit : « Les jeunes s’emploient ici pour se procurer un peu d’argent et éviter de tomber dans la débauche, c’est bien ! Mais il faut réaliser un goudron pour baliser et relier les deux grandes routes de l’avenue du Conseil de l’Entente. La mairie de Baskuy doit veiller au mariage de ces routes très pratiquées afin de désenclaver totalement toute la zone. Comment cela a-t-il pu lui échapper ? Ensuite ces jeunes méritent d’être récupérés pour une formation ou une autre occupation sinon on en créera de futurs délinquants ».

S’agissant des acquis concrets déjà engrangés (en dehors de la satisfaction immédiate du ventre) par ces jeunes, deux d’entre eux aux noms de Noufou et Toussaint se distinguent du groupe. « Noufou a ouvert une boutique grâce à son activité menée sur les rails. Il a pu également s’acheter une parcelle dans un quartier non loti (à Rimkèta au secteur n°18 de Ouagadougou).

Quant à Toussaint qui travaille maintenant à la voirie de Ouagadougou depuis 2004, il a assuré les dépenses de son propre baptême et celui de sa mère. Aussi grâce à l’activité sur les rails, il a pu s’acheter un vélo dame et construire à Rimkèta où il réside », nous ont confié Djibril Sanfo et Arnaud leurs camarades. Ils ont quitté les bancs pour raison financière.

Elève en abandon, Djibril Sanfo explique comment il est venu à cette activité : « Je suis orphelin de père, ma mère est à la brigade verte de Ouagadougou. J’ai quitté les bancs après le certificat, j’ai refusé d’aller en 6e pour permettre à mes deux petits frères du primaire de continuer leur cycle. Ce sont mes frais de scolarité qui devaient prendre en charge aussi celle de mes frères. Aujourd’hui l’un est au CM1 et l’autre au CE1. Je suis content car je gagne un peu d’argent en soulevant les engins et je peux subvenir à mes besoins et leur acheter un bic, un cahier... C’est pourquoi j’ai laissé l’école et suis sur les rails ».

Cependant, force est de reconnaître que ces jeunes facilitateurs de passage sur les rails connaissent aussi de sérieux risques telle l’exposition journalière au soleil entraînant des maladies (maux de tête). Pire il faut veiller continuellement au grain pour ne pas se faire écraser par des locomotives qui souvent klaxonnent tardivement et quelquefois ne le font même pas. En outre, ces jeunes sont mal vus, mal appréciés, discrédités et rejetés par certaines méchantes gens qui leur prêtent toutes sortes de qualificatifs depréciatifs (drogués, voleurs, délinquants, escrocs...).

D’autres problèmes avec les passants existent :»Parfois on brise sans savoir le capot, le feu rouge, le clignotant, le frein... d’un client et on doit payer forcément à moins qu’il nous pardonne. Certains passants nous insultent lorsque leurs engins refusent de démarrer après la traversée car c’est nous qui avons tenu leurs motos. Pour éviter cela, on prend bien nos précautions », a révélé Apolino NEAS. « Nous avons déjà payé 400 F par personne à un militaire à qui on a cassé les freins quand on soulevait son engin. Depuis lors, nous faisons très attention », a noté Emile Bazié.

Par ailleurs, qu’adviendrait-il à ces jeunes si la mairie désenclavait toute la zone en joignant les routes (Sud et Nord des rails) de sorte à rendre toute l’avenue du Conseil de l’Entente praticable et accessible à tous les usagers ? Eux qui peuvent gagner chacun par jour au moins mille francs CFA. En attendant que les autorités municipales de Baskuy réfléchissent et s’exécutent, la traversée des rails continue son petit bonhomme de chemin, profitable aux jeunes battants de Ouagadougou, surtout qu’il n’existe pas de sots métiers.

Abdoul Rasmané ZONGO(Stagiaire)

Sidwaya

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