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Affaire Norbert Zongo : attention aux ingérences fâcheuses !

Publié le mardi 22 août 2006 à 07h44min

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Face à l’actualité nationale dominée par le « non-lieu » au profit de Marcel Kafando dans l’affaire Norbert Zongo, pris par ordonnance par le juge d’instruction Wenceslas Ilboudo, le 18 juillet 2006 et sa confirmation par la Chambre d’accusation de la Cour d’appel le 16 août 2006, nombreux sont les téléspectateurs burkinabè de TV5 Monde qui, devant leur petit écran, n’ont pas manqué d’établir une comparaison avec l’affaire Norbert Zongo, après que la présentatrice du journal de la mi-journée eut terminé son édition avec l’information sur le meurtre d’une fillette de six ans aux USA, assassinée le 16 décembre 1996.

Au pays de l’Oncle Sam, comment peut-on laisser impuni un assassinat durant près de dix ans ? Et pourtant voilà son ambassade au Burkina, se parer de la robe d’objecteur de conscience. Dans le même registre, une autre affaire de journaliste assassiné en plein jour dans les rues de Londres en décembre 1998, reste encore non élucidé. Jill Dando, ce journaliste britannique ne mérite-t-il pas que justice lui soit rendue ? Que dit l’Union européenne ? Que fait RSF ? Et pour tous ces crimes et assassinats de mineures non élucidés, ces affaires Dutroux et autres du genre, dans l’antre de l’Union européenne ne cimentent-ils pas le lit de l’impunité dans ces pays ? Que dire de ces erreurs judiciaires, ces fausses dénonciations, ces faux témoignages et ces manipulations de témoins qui ont envoyé d’innocentes victimes dans les geôles froides ?

Sur le principe de la lutte contre l’impunité, l’Union européenne et les USA ont aussi des progrès à faire. C’est vrai que la diplomatie a perdu ses vertus et que l’ingérence, les pressions et les interventions sont les nouvelles valeurs qui dominent les rapports entre Etats, mais de grâce, en toute chose, il faut savoir raison garder. Pour revenir à notre point focal, le parallélisme entre la recherche des auteurs des assassinats de Jon-Benet Ramsey et Norbert Zongo est riche d’enseignements.

Prenons le premier crime, celui de la fillette de six ans, lauréate d’un concours de beauté aux Etats-Unis ! Cette charmante petite créature qui faisait la fierté de ses parents et des Américains, éblouïssait par son charme et sa beauté, les concours des « mini-miss » de par le monde. C’est cette petite créature de Dieu, innocente comme tout enfant que l’on retrouvera morte chez ses parents, au domicile familial de Boulder (Colorado), un certain 16 décembre 1998. Dans ces conditions et hormis le fait de ne pouvoir identifier les « intrus » qui ont pénétré dans la maison comme l’indiquaient ses parents, ceux-ci deviennent du coup, des « suspects sérieux ».

Les médias se déchaînent et s’acharnent sur les géniteurs et principalement, la mère génitrice. Normal, quand dans ces pays de haute civilisation, les infanticides et les parricides sont légion. Pour ces médias, c’était l’évidence, la piste courte, même si les enquêteurs n’ont pas trouvé des preuves irréfutables. C’est donc une famille qui sera traumatisée. Rongée certainement par la méchanceté des journalistes à la recherche du sensationnel et de scoops, la mère succomba sans pouvoir faire la preuve de son innocence et sans connaître la vérité à 49 ans, d’un cancer. Voilà que près de dix ans après (le 17 août 2006), c’est un jeune Américain, la quarantaine passée, enseignant de son état, John Mark Karr, loin du pays de la bannière étoilée, dans un pays asiatique (Thaïlande) qui est appréhendé suite à « une requête de l’ambassade des Etats-Unis » et d’un mandat d’arrêt émis par l’Etat du Colorado pour meurtre, enlèvement et agression sexuelle. Cette arrestation a constitué un nouveau coup de théâtre dans une saga vieille de dix ans avec de nombreux rebondissements. Interrogé, le suspect N° 1, John Mark Karr confesse : « Non, je ne l’ai pas fait. C’était un accident » (1). A lui donc de dire comment l’accident s’est produit et aux juges de prouver sa culpabilité entière avec tous les éléments de preuve. Pourquoi ce qui est possible aux USA ne le serait-il pas au Burkina ? Malgré les moyens immenses, une police scientifique hyper professionnelle, il a fallu attendre près de dix ans aux enquêteurs américains pour appréhender un suspect. Or, si les enquêteurs et la justice s’étaient laissé divertir par les médias et les fausses accusations, ce serait les parents qui seraient passés depuis longtemps à la guillotine. Voilà encore un exemple qui prouve qu’il faut se méfier des évidences. Toute évidence ne conduit pas nécessairement à la vérité. A présent, penchons-nous sur l’assassinat de notre confrère Norbert Zongo. Dès l’annonce de l’innommable, le gouvernement a créé une Commission d’enquête indépendante par décret n° 98-0490/PRES/PM/MEF/DEF/MJ-GS/MATS du 18 décembre 1998, modifié par le décret n° 99-001/PRES/PM/MEF/MJ-GS/MATS du 7 janvier 1999. Ce premier acte montrait sa totale disponibilité à faire la lumière sur l’assassinat de Norbert Zongo. Mais avant même que cette Commission ne commence ses travaux, la rumeur avait pointé un doigt accusateur. Des tracts divers imputaient le crime à cinq militaires de la RSP, que la CEI (Commission d’enquête indépendante) retiendra plus tard comme ses « sérieux suspects ». Des journalistes affirmaient suivre les mouvements de la 4x4, stationnée dans un garage, qui a servi aux assassins pour leur sale besogne et ont même fait la description des armes utilisées avant la CEI. Et puis, cerise sur le gâteau, la CEI affirme qu’ »elle a pris note des rapports produits par le Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples, maître Hermann Yaméogo, la Commission d’enquête du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques et Reporters sans frontières » (in rapport de la CEI, p.6). Tous ces rapporteurs partisans ne répondaient que d’un seul maître : le président du « pays réel ». Ces structures mises en place n’étaient que des excroissances de la CEI. On a voulu multiplier les rapports à dessein. De tout cela, ce qui choque, c’est l’attention que la CEI a accordée au rapport de maître Hermann Yaméogo, opposant notoire à Blaise Compaoré. Quel crédit accorder au rapport de celui qui ne rêve que d’être khalife à la place du khalife par tous les moyens ? Putsch, la rue, la désobéissance civile, la collision avec l’ennemi extérieur... Pour cet homme, la CEI représentait un instrument idéal pour assouvir son fantasme. Il est donc curieux que la Commission ne se soit pas méfiée des rapports, des témoignages, des sources dont les visées principales étaient d’en découdre avec Blaise Compaoré. Et pour elles, l’assassinat de Norbert Zongo était une chance servie sur un plateau d’or. Le cas le plus symptomatique reste celui de maître Hermann Yaméogo. Si son rapport introduit auprès de la CEI, visait la recherche de la vérité sur l’assassinat de notre confrère, comment se fait-il que ce soit ce même « bon samaritain » que le Collectif de Koudougou dénonce aujourd’hui, comme celui qui l’a »poignardé dans le dos » (in Le Pays n° 3681, du 8 août 2006, p.19) en justifiant sa non-participation à la marche contre le « non-lieu » du 30 juillet 2006 ? N’est-il pas surprenant de retrouver ce même Hermann Yaméogo sur la tombe de Norbert Zongo avec le groupe d’initiative de l’opposition dite radicale le vendredi 21 juillet 2006, pour semble-t-il, renouveler un serment tenu et protester contre le « non-lieu » ? Mieux, voilà un opposant qui clame haut que : « Si l’on va sur le lieu des faits et l’on voit comment les choses se sont passées et au vu de la logistique et des moyens utilisés, on se rend compte que l’opposition ne dispose pas de tels moyens pour réussir une telle opération » (in rapport de la CEI, p.20). N’est-ce pas là un témoin oculaire qui parle ? De qui détient-il ces informations avant même que la CEI n’ait rendu public son rapport ? Voilà bien une opposition qui n’a pas de moyens, mais dont un seul membre, a les moyens de produire un rapport adressé à la CEI. L’histoire rattrape aujourd’hui la CEI. La vérité sur l’assassinat de Norbert Zongo passe par la lumière sur les méthodes de travail de la CEI, de ses relations avec le Collectif, l’opposition, certains journalistes et sur les « deals » au sein du Collectif. Après quatre mois de travaux, (article 2 du décret n° 99-001/PRES/PM/MEF/DEF/MJ-GS/MATS du 7 janvier 1999), la CEI se réunissait le 6 mai 1999 pour l’adoption de son rapport. Si ce n’est pas une prouesse, c’est un record dans l’élucidation d’un crime sans flagrant délit à inscrire dans le Guinness Book. Dès lors, la CEI avait opté pour la précipitation et les accusations faciles. Et elle avoue son échec : ... »en ce qui concerne les auteurs du crime, la Commission d’Enquête Indépendante ne dispose pas des preuves formelles permettant de les désigner. Elle a cependant relevé les contradictions et des incohérences dans les auditions d’un certain nombre de personnes suspectées en relation avec leur emploi du temps du 13 décembre 1998. Cela n’en fait pas des coupables mais des sérieux suspects ». (in rapport de la CEI, p. 34). S’il a été difficile de trouver les auteurs du crime, pourquoi la CEI n’a pas actionné la disposition qui autorisait que le délai soit « renouvelé par moitié une seule fois à la demande du président de la Commission, sur décision de celle-ci » (in rapport de la CEI, p.4) au lieu de se focaliser sur des « hypothèses » ? La CEI n’a pas compris qu’elle avait une mission nationale et le destin de la Nation entre les mains de ses membres. Il s’agissait de mort d’hommes et tout coupable reconnu, devait connaître le même sort. Dans des circonstances aussi graves que cruelles, personne n’a le droit de jouer aux faux héros. La leçon des choses à retenir est la suivante : aux Etats-Unis avec le temps, la patience, les enquêteurs trouvent de vrais suspects que la justice peut confondre pour en faire de vrais coupables, alors qu’au Burkina, avec la rumeur, la pression, les marches, les intimidations, les médias, la précipitation, la CEI déniche de « sérieux suspects » que la justice a du mal à confondre pour en faire de sérieux coupables. La Commission a manqué son rendez-vous avec l’histoire en n’ayant pas su réconcilier les Burkinabè avec le sens de la responsabilité et de la vérité. Ces deux dossiers de meurtres doivent faire réfléchir l’opinion nationale et ces chancelleries qui usent de sorties médiatiques malheureuses. Si elles ne peuvent pas contribuer à la réconciliation des frères burkinabè, qu’elles respectent leur « droit de réserve » ! Comment de vieilles démocraties où la primauté du droit est fondamentale, osent-elles, à travers leurs représentations diplomatiques, porter des jugements sur une décision de justice d’un Etat souverain ? Que ces chancelleries se posent des questions, quoi de plus légitime ! Si elles veulent des informations, elles savent où les trouver. Refuser de reconnaître la disponibilité des autorités nationales et la volonté de la justice burkinabè à faire la lumière sur l’assassinat de Norbert Zongo, c’est faire preuve de mauvaise foi. Il est souhaitable que ces braves diplomates cherchent à mieux maîtriser le dossier que de le survoler avec des a priori et cherchent à maîtriser nos textes juridiques qui sont dans l’ensemble des copies de ceux applicables en Occident. Ce « non-lieu » n’enterre pas l’affaire Norbert Zongo. Si Marcel Kafando avait été jugé avec toutes les limites constatées par le juge d’instruction, avec une relaxation pure et simple après jugement, alors là, on aurait pu accuser la justice de vouloir un enterrement de première classe du dossier Norbert Zongo. Car la chose jugée est jugée. Si la CEI avait été capable d’identifier les auteurs du crime, elle n’aurait pas formulé la recommandation suivante : « qu’en raison de la barbarie avec laquelle il a été commis et la cruauté qu’il dénote, des dispositions législatives soient prises afin que le crime du 13 décembre 1998 soit considéré comme un crime imprescriptible » (in rapport de la CEI, p.35). La logique veut qu’un crime soit imprescriptible que lorsque les auteurs ne sont pas connus et jugés. C’est donc le doute qui a commandé et dicté cette recommandation. Les chancelleries devaient plutôt s’assurer de savoir si les divers droits ont été respectés. Si la partie civile, avec ses avocats, a pu s’exprimer comme le prévoient les textes, si la défense a pu défendre ses positions dans les mêmes conditions. S’il n’y a pas de manquements à toutes les dispositions juridiques, c’est que le droit a été dit dans toute sa rigueur. Le « non-lieu » n’est pas une invention de la justice burkinabè. Toute autre démarche ne peut s’apparenter qu’à des ingérences fâcheuses.

(1) Meurtre d’une fillette aux USA : Un enseignant américain arrêté à Bangkok (Site TV5-Info-Article AFP-Monde, p. 1 et 2 - 17 08 06)

Par Michel OUEDRAOGO

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