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Jean-Baptiste Kiéthega, archéologue : « Je ne défends pas les fétiches... »

Publié le jeudi 6 juillet 2006 à 08h08min

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Jean-Baptiste Kiéthega

Le vol d’objets de culte prive les communautés africaines de la célébration de rites et les sociétés perdent chaque jour une partie de leur histoire en Afrique en général. Au Burkina Faso en particulier, les moyens de lutte contre le pillage des biens culturels ne sont pas à lla hauteur du trafic.

Jean-Baptiste Kiéthega, seul professeur titulaire en archéologie de la sous-région parle de l’affaire Mamio, cinq ans après son retour, de la disparition du masque Yêbga (caïman) de Doudoulma, le musée du Quai Branli en France et de la tombée en désuétude des textes qui régissent le domaine du patrimoine culturel.

S. : Cinq ans après le retour de Mamio sait-on maintenant qui l’avait volé ?

J.B.K. : Mamio, la déesse de la fécondité a disparu à Ouré en 1991 dans le département de Pobè-Mengao, dans la province du Soum. Un fils de la région l’a probablement vendu à Bamako au Mali. Ferdinand Schädler, un collectionneur allemand l’a ensuite acheté. Ce dernier prêtait Mamio à partir de l’Allemagne pour des expositions dans d’autres pays.

Lorenz Hamberger, un conservateur suisse l’a reconnu et signalé. C’est grâce à mes communications, à Interpool, à la presse et à la diplomatie que Mamio a été retrouvée en 1997 et restituée en 2001. La statuette est actuellement sous la garde du roi du Lorum.

S. : Mamio a-t-elle encore ses pouvoirs mystiques ?

J.B.K. : Avant sa disparition, les enquêtes et les témoignages démontrent que Mamio a permis la naissance de plusieurs enfants. Une Autrichienne a eu un enfant du nom d’Emmanuel après qu’elle eut porté Mamio au dos. Nous ne sommes pas dans le domaine de la science mais dans celui de la foi. Depuis le retour de Mamio, je ne m’y intéresse plus. Sa garde revient à ses propriétaires légitimes. La cupidité des faussaires ne doit pas prendre le dessus sinon elle risque de disparaître de nouveau.

S. : Vous êtes vous senti abandonné à un moment donné dans votre détermination à retrouver Mamio ?

J.B.K. : Le réalisateur Joanni Nissi Traoré a réalisé un film-documentaire « Mamio, l’exil des dieux ». Dans un extrait, le directeur du patrimoine culturel dit que son service n’est pas resté inactif parce qu’il a adressé deux correspondances à deux ambassades. Je ne crois pas que cela soit suffisant.

Après qu’est-ce qu’il a fait ? Lorsque j’ai décidé de retrouver Mamio, certains m’ont traité de tous les noms. Je n’ai pas répondu aux allégations. Aujourd’hui la vérité est là. Ceux qui m’ont traité de prétentieux sont face à leur conscience.

S. : Mamio vous a-t-il ouvert des portes ?

J.B.K. : C’est parce que j’ai donné des communications à Ouagadougou, à Amsterdam aux Pays Bas et entrepris d’autres démarches que Mamio a été retrouvée.

En fin juin, j’ai animé un colloque sur la criminalité transfrontalière. Tous les acteurs concernés notamment les magistrats, les gendarmes les policiers et les douaniers y ont pris part. Mais je n’aime pas l’expression « ouvert des portes ». Je ne cherche pas à participer ou à être invité à des colloques. J’ai beaucoup de sollicitations concernant l’archéologie que je n’arrive pas à honorer.

S. : Quelle est la partie du Burkina Faso où le trafic des objets est le plus important ?

J.B.K. : Le trafic est important dans le Nord et le Sud-Ouest (le Noumbiel et surtout dans le Poni) où se trouvent bon nombre de statuettes. Dans la Sissili et le Ziro, c’est surtout les têtes des masques (en bois) qui intéressent les trafiquants. La proximité frontalière favorise le trafic. Les alentours des centres urbains de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Koudougou sont aussi concernés.

S. : Le domaine des objets culturels souffre-t-il d’un manque de protection ?

J.B.K. : En 1985, quatre des cinq caisses de statuettes saisies par la gendarmerie de Gaoua ont été volées dans les locaux du haut-commissariat. Rien n’est fait pour décourager les trafiquants. Un receleur ne craint rien quand la loi le condamne à payer une amende de 500 000 F CFA parce qu’il gagne des millions dans la vente illicite des objets précieux. Les gens ne portent pas plainte à la police quand ils constatent le vol de leur objet. Les textes régissant le domaine traitent de l’exportation mais.

S. : Un pays pauvre peut-il efficacement lutter contre le trafic des biens culturels ?

J.B.K. : Le trafic des biens culturels enrichit les pays du Nord et appauvrit ceux du Sud. Les expositions en Europe rapportent beaucoup d’argent, tandis qu’ici nos Etats ne gagnent rien parce qu’il n’y a pas d’organisation véritable. En septembre 2005, une vingtaine de caisses contenant deux cents objets ont été saisies à l’aéroport de Ouagadougou. Le trafiquant avait une autorisation d’exportation pour 18 objets seulement. L’Etat doit absolument organiser ce secteur. Il est rentable. Sinon, des individus se font de l’argent au détriment de la communauté.

S. : Toute personne a quand même le droit de vendre son objet s’il n’en a plus besoin ?

J.B.K. : Généralement, ce sont des biens de famille. Ceux qui vendent sont des voleurs. Plusieurs d’entre eux ont été éliminés. Même s’ils se convertissent à l’islam ou au christianisme, ils n’ont pas le droit de s’en débarrasser sous prétexte que ce sont des fétiches. On me traite de défenseur des fétiches. Je défends plutôt le bien culturel. Je suis chrétien catholique. Mais ma foi m’interdit de voler ou de vendre des biens culturels pour m’enrichir. Si une mosquée ou un temple perdait un bien culturel, je n’hésiterais pas à m’engager dans la recherche de l’objet perdu.

S. : Le musée du Quai Branli ou arts premiers à Paris en France a en son sein plus de 300 000 objets venus de divers continents. Qu’en pensez-vous ?

J.B.K. : Le directeur du musée préfère l’appellation « Quai Branli » pour éviter le débat idéologique. Les objets de ce musée proviennent essentiellement de deux autres musées parisiens qui ont été démantelés. Il s’agit du « Musée de l’homme » place Trocadérot et le Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie. Les objets sont ceux de l’époque coloniale. Ce sont donc des prises de guerres ou des cadeaux forcés pour la plupart. Il y a aussi des objets collectés par des chercheurs français.

A l’exposition « Vallées du Niger » (1993-1997), le trésor de guerre volé après la chute de Ségou, trésor composé des bijoux en or, était en vitrine à Paris en France (1993). Une fois à Bamako (1994), la vitrine était vide. Les Français ont eu peur que les Maliens s’approprient leur bien. Quand ce fut le tour du Burkina Faso (1995), j’ai voulu mettre une affiche dans la vitrine pour expliquer pourquoi la vitrine est vide. C’est le ministre de la Culture de l’époque Claude Nurukuor Somda qui m’en a empêché. En 1990, un étudiant français a été empêché de travailler sur les objets voltaïques à l’ancien « Musée de l’homme » à Paris. Moi-même, je n’ai pas pu avoir accès aux réserves où sont détenus les biens en provenance de la Haute-Volta coloniale. Voilà comment on nous prive de nos biens.

S. : Comment peut-on impliquer la jeunesse dans la gestion du patrimoine culturel ?

J.B.K. : En France, le patrimoine culturel n’est pas seulement entre les mains des spécialistes. Des vieux et des jeunes s’organisent au niveau local afin de participer à la valorisation de leur patrimoine culturel. Certains étudiants, une fois en vacances, font du volontariat sur les sites de fouilles. Chez nous tout est « fonctionnarié ». L’Etat ne peut pas payer tout le monde. Il faut s’adapter à notre contexte. Heureusement, des associations pour la protection des biens culturels se créent au Burkina Faso.

On ne peut pas se connaître uniquement à travers la tradition orale. Nous avons un devoir de protection du patrimoine culturel vis-à-vis de nos ancêtres et de la postérité. Je ne veux pas comparaître au tribunal des générations futures si jamais elles nous accusent d’avoir bradé le patrimoine culturel physique pour de l’argent.

Hamadou TOURE (hatoure@yahoo.fr)

Sidwaya

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