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Règlements de conflits de travail : "L’Inspection entre le marteau et l’enclume"

Publié le jeudi 15 juin 2006 à 07h03min

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Mme Colette Lefebvre

Aux termes des dispositions de l’article 360 du code du travail, l’Inspection du travail est chargée de toutes les questions intéressant les conditions des travailleurs et les rapports professionnels. Dans son fonctionnement quotidien, deux activités sont plus ou moins connues : la conciliation et le contrôle d’entreprises.

Nous avons rencontré la directrice régionale du Travail et de la Sécurité sociale du Centre (Ouagadougou), Mme Colette Lefebvre, pour en savoir davantage sur les activités en question. Nous vous faisons découvrir dans cette édition la mission de conciliation puis, dans la prochaine, celle du contrôle d’entreprises ou d’établissements.

"Le Pays" : Quelles sont les missions assignées à l’Inspection du travail, de façon générale ?

Mme Colette Lefebvre : Les principales missions de l’Inspection du travail sont de trois ordres. La première mission est le contrôle ou, si vous voulez, la mission de visite dans les entreprises ; la deuxième mission est la conciliation qui consiste au règlement des conflits individuels et collectifs. La troisième mission est celle des conseils et d’information que nous donnons aux partenaires.

Nous allons nous appesantir sur la mission de conciliation qui occupe la plupart de votre temps. En quoi consiste-t-elle ?

La mission de conciliation, comme je viens de le dire, nous oblige à prendre en compte les différents confits, les conflits individuels et les conflits collectifs.

Cette conciliation consiste à convoquer les parties en conflit et d’essayer de voir si nous pouvons trouver une entente entre elles, et procéder ainsi au règlement du litige.

Comment se fait la saisine de l’Inspection du travail en cas de litige ?

L’Inspection du travail peut être saisie directement, tout comme elle peut être saisie par écrit. Les parties concernées peuvent faire le déplacement au niveau de l’inspection du travail pour nous saisir directement à la salle de renseignements, ou alors elles peuvent nous saisir avec une plainte écrite.

Qui peut vous saisir pour le règlement d’un litige ?

Toute partie intéressée peut nous saisir.

Peut-on vous saisir à tout moment ?

A tout moment, c’est un peu trop dire, parce que, pour le moment, par semaine, nous donnons des informations et des conseils les lundis et jeudis. Comme je l’ai dit tantôt, si c’est pour nous saisir directement, ce sont les lundis et les jeudis. Dans le cas contraire, si c’est par écrit, on peut nous saisir à tout moment.

Comment fonctionne la machine de conciliation une fois que l’Inspection du travail est saisie d’un conflit ?

Une fois que nous sommes saisie, on convoque les parties pour les entendre. Cette convocation des parties nécessite d’abord que l’inspecteur du travail lui-même prenne connaissance du dossier et que ce dossier soit préparé pour voir quelles sont les implications et quels sont les textes en matière de droit du travail qui feront l’objet de discussion. Après, l’inspecteur ou le contrôleur du travail procède à la convocation des parties pour les entendre. Tout dépend de la procédure ou de l’ampleur du dossier. On peut soit procéder de manière concomitante, entendre les deux parties en même temps, soit les entendre l’une après l’autre, suivant les informations dont on a besoin.

Dans quel cas, par exemple, vous êtes emmenée à entendre les parties séparément ?

Lorsque, généralement, le dossier est assez complexe, et que nous avons besoin de compléments d’information pour mieux le comprendre, on peut procéder de manière séparée. Ça peut nécessiter que peut-être l’employeur soit entendu avant le travailleur, ou le travailleur avant l’employeur.

Il arrive que l’une des parties à un litige ne défère pas à vos convocations. Comment faites-vous dans ce cas ?

Il faut dire effectivement que c’est très courant qu’une des parties ne comparaisse pas. Dans la majorité des cas, c’est l’employeur qui refuse parfois de répondre à nos convocations. Mais je crois que nous avons trouvé la solution avec le code du travail de 2004 qui permet, lorsqu’une des parties ne comparaît pas, que l’inspecteur du travail puisse dresser un procès-verbal de non-conciliation par défaut. Je crois, mais c’est très rare, que l’autre aspect de la chose, c’est la possibilité pour nous de recourir à l’assistance des forces de l’ordre, notamment la police ou la gendarmerie, pour faire venir la partie en question. Mais, comme je l’ai précisé, nous sommes des conciliateurs et nous tentons, dans la mesure du possible, de faire venir les parties d’une manière assez amiable.

La force publique répond-elle toujours favorablement lorsque vous lui faites appel ?

Je vais répondre par rapport à mon expérience. Je crois que j’ai déjà eu des dossiers du genre à traiter où effectivement j’ai fait recours à la police, qui a fait venir l’employeur concerné et, au besoin, elle a demandé si elle devait rester pendant la séance de conciliation. Si ce n’est pas le cas, une fois que la partie nous a été amenée par la police, nous procédons à la conciliation selon la procédure normale.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez le plus souvent pendant la phase de conciliation ?

Les difficultés sont nombreuses, diverses. Tout dépend de la disponibilité des parties, de la complexité ou non du dossier à traiter. Effectivement, lorsque les parties sont conciliantes, généralement il n’y a pas de problème. Les difficultés principales que nous rencontrons, c’est lorsque l’employeur, le plus souvent, se fait assister par un avocat.

Nous avons l’habitude de voir que dans la majorité des cas que nous traitons, des avocats demandent que les dossiers soient purement et simplement transférés au Tribunal du travail, sans qu’il n’y ait eu une séance de conciliation ; ce qui nous étonne parfois d’ailleurs. L’autre difficulté qu’on peut retenir, c’est lorsque les parties ne sont pas sincères ; la partie plaignante, le plus souvent, essaie de tirer la couverture de son côté.

Et lorsque vous faites la confrontation des deux parties, vous vous rendez compte qu’en réalité, tout ce qu’elle vous a dit n’est pas vrai. Donc, il faut savoir faire la part des choses, et c’est là aussi qu’une autre difficulté apparaît : comment donner raison à l’une ou l’autre partie. L’inspecteur du travail doit faire appel ici à ses compétences.

La présence des avocats à l’étape de l’Inspection du travail a-t-elle une base légale ?

Bien sûr. En droit du travail, il est permis à toute personne de se faire assister. Autant le travailleur peut se faire assister par le syndicat, autant l’employeur peut se faire assister par son conseil. Mais je dis bien assister, pas prendre la place de l’une ou de l’autre partie. C’est dans ce sens que je disais tout à l’heure que c’est dommage que certains conseils demandent systématiquement l’envoi du dossier au tribunal du travail.

Entre des parties (employeur et travailleur) à un litige, laquelle est la plus encline à faire obstacle à la tentative de conciliation ?

Tout dépend des intérêts en jeu. Parfois c’est l’employeur, si celui-ci pense que l’inspecteur du travail est du côté du travailleur. Souvent aussi ça peut être le travailleur qui pense que l’inspecteur est du côté de l’employeur.

Combien de temps en moyenne peut prendre une conciliation en vue du règlement d’un conflit ?

Comme je l’ai rappelé un peu plus haut, tout dépend de l’ampleur ou de la complexité du dossier. Il y a des conciliations qu’on peut réussir le même jour, peut-être en une heure ou moins, si les parties sont disponibles et conciliantes. Mais il y a aussi des séances de conciliation qui durent et peuvent aller de plusieurs semaines à plusieurs mois. Tout dépend de la disponibilité et de la complexité des dossiers à gérer.

A propos des dossiers qui durent, certaines personnes pensent que les lenteurs sont dues à des interventions extérieures dans leur traitement. Comment réagissez-vous ?

Là il y a deux aspects. Vous parlez de lenteurs et vous parlez aussi d’interventions. On va aborder ces problèmes l’un après l’autre. Pour ce qui concerne la lenteur, c’est vrai que tout dépend du dossier que nous avons à gérer. Lorsque le dossier est assez simple, normalement ça ne prend pas du temps. On résout le problème assez facilement et les intéressés ont leurs procès-verbaux signés, et on n’en parle plus. Si le dossier est complexe et demande que des informations complémentaires soient réunies, que des témoins, par exemple, soient entendus, là effectivement ça peut prendre du temps. Tout dépend aussi de l’appréciation que nous devons faire du dossier et le traiter dans les meilleurs délais. Donc, tout dépend du contenu du dossier.

Arrive-t-il que la hiérarchie intervienne dans un dossier ?

Là nous abordons le deuxième aspect dont vous avez fait cas tantôt. Il faut reconnaître, que ce soit au niveau de la hiérarchie ou au niveau de certaines personnes, connaissances ou simplement de certains partenaires, il peut arriver effectivement que nous soyons approchée par les parties elles-mêmes pour voir régler le conflit qui les oppose. Certaines personnes peuvent ainsi nous dire qu’il y a un conflit pour lequel elles nous demandent si nous pouvons le régler à l’amiable. On peut qualifier cela aussi d’intervention. Mais, dire qu’il y a une intervention des autorités pour donner des instructions particulières pour le traitement d’un dossier, je ne pense pas que ce soit le cas.

Voulez-vous dire que des interventions de ce genre ne sont pas possibles ?

Je ne dis pas que ce n’est pas possible. Il peut arriver que, pour un conflit peut-être assez sensible, du genre conflit collectif, nous recevions effectivement des instructions de la part de nos autorités, mais je ne pense pas que c’est pour dicter en tant que tel la conduite à tenir pour régler le litige.

On entend quelquefois les employeurs dire que l’Inspection du travail est toujours du côté des travailleurs. Que répondez-vous ?

C’est tout comme diraient les travailleurs que les inspecteurs du travail sont toujours du côté des employeurs, et parfois ils les traitent de pourris, de corrompus... Je disais que nous sommes entre le marteau et l’enclume, et ce n’est pas toujours évident de faire paraître cette impartialité. Si bien que, dans tous les cas, je me résume en disant que nous sommes des applicateurs de la loi. Lorsque la loi que vous appliquez est favorable à l’une ou à l’autre partie, celle qui n’a pas eu gain de cause dira toujours que vous êtes du côté de l’autre.

Il y en a qui disent que les inspecteurs et contrôleurs du travail sont corrompus. S’agit-il d’accusations fortuites ?

Là également je ne peux que reconnaître avec vous que c’est vrai, il y a beaucoup de gens qui accusent les inspecteurs du travail d’être corrompus. Mais, comme il faut le constater, la corruption aujourd’hui est partout. Je ne peux pas dire qu’il n’ y a pas d’inspecteurs du travail corrompus, je ne peux pas non plus dire que tous les inspecteurs du travail sont indemnes. De ce point de vue, il peut effectivement arriver que des inspecteurs du travail soient corrompus, mais je n’en ai pas connaissance.

Le code du travail de 2004 impose que les procès-verbaux de conciliation et exécutoires soient acheminés au tribunal du travail en vue de l’apposition de la formule exécutoire. Cette nouvelle disposition a-t-elle changé quelque chose dans votre manière habituelle de traiter les dossiers, ou tout simplement de travailler ?

Je ne dirai pas qu’il y a eu grand changement au niveau du traitement des dossiers. Seulement, il faut reconnaître, et cela à juste titre, que pour tous les actes de ce genre, le revêtement de la formule exécutoire est nécessaire pour que ces actes aient force de loi.

Ce que nous avons constaté, c’est que cela retarde un peu l’exécution de ces procès-verbaux puisque comparativement au code de 1992, dès lors que le procès-verbal est signé, il était immédiatement exécuté. Maintenant, il faut prendre un peu de temps pour l’apposition de la formule exécutoire avant que l’acte ne soit exécuté.

Quelle appréciation faites-vous de cette disposition du code du travail ?

Comme je l’ai relevé, je crois que cette disposition ne fait que se conformer au code de procédure civile qui prévoit en la matière que tout acte qui doit être exécuté soit revêtu de la formule exécutoire.

Quel autre aspect particulier sur la conciliation avez-vous à soulignez ?

Je crois que vous-même vous l’avez relevé au début, les inspecteurs du travail sont effectivement occupés dans la majorité de leur temps à faire de la conciliation. Cela est dû au fait que, bien sûr, nous ne sommes pas sur le terrain. Si nous n’y sommes pas, c’est parce que tout simplement il y a peut-être d’autres mesures à prendre pour nous faciliter cette existence sur le terrain.

Propos recueillis par Crépin SOMDA (Collaborateur)

Le Pays

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