Pierre Michaillard : "La personnalisation, l’accaparement par quelques-uns ont souvent fait dévier les projets "
Du 29 mai au 4 juin, le président Blaise Compaoré était en visite de travail et d’amité en France ; visite consacrée essentiellement aux acteurs de la coopération décentralisée.
Parmi les organisateurs de l’étape de Belfort (jumélé aux départements de Tanghin Dasouri et de Komki Ipalla), il y avait M. Pierre Michaillard qui en a été la cheville ouvrière. Son bilan.
Qui est Pierre Michaillard ?
Je suis né dans le Territoire de Belfort, y ai fait les études jusqu’au bac, puis j’ai fait mon Doctorat Vétérinaire à Lyon et suis revenu exercer mon métier à Belfort pendant une trentaine d’années. Je connais tout le monde dans ce petit département.
J’ai découvert l’Afrique au début des années 70 au moment de la création de l’Ecole Vétérinaire Inter-Etats de Dakar. J’ai connu le Sahel au moment de la deuxième grande sécheresse des années 80 et ai adhéré à Vétérinaires Sans Frontières, ONG que j’ai présidée dans les années 90.
VSF m’a appris que nous ne pouvions pas séparer l’animal de la terre et des hommes. Je me suis spécialisé petit à petit dans le développement local, en milieu rural. Le comité de jumelage de Belfort, le Conseil général m’ont permis de poursuivre ma connaissance du développement local et de découvrir dès 92 les mécanismes et l’intérêt de la coopération décentralisée.
J’ai été repéré par mon ami Yero BOLY au cours du déroulement du projet de développement local de Tanghin-Dassouri et Komki-Ipala et suis devenu Conseiller Technique au MATD de 99 à 2004. Ce parcours professionnel atypique d’un simple membre de la société civile est né du besoin que j’ai ressenti d’apprendre l’Afrique pour comprendre le monde et s’explique aussi par l’attachement indéfectible que je ressens pour la population burkinabè.
J’ai dépassé la soixantaine, je suis marié, père de quatre enfants et d’un burkinabè parrainé, grand-père de trois petits enfants et d’un quatrième à naître cette année. Si Dieu me donne longue vie, comme me le souhaitent tous les jours les habitants de Bazoulé, je vais continuer à travailler pour le Burkina.
Dans le cadre du jumelage Belfort-Tanghin Dassouri, le président Compaoré était de passage dans le Territoire les 29 et 30 mai. Comment avez-vousaccueilli ce déplacement ?
Le Président Blaise Compaoré avait été invité depuis assez longtemps par le Conseil Général du Doubs puis par celui de Belfort à venir découvrir la Franche-Comté. Il avait promis de venir et il a tenu parole. C’est un grand honneur qu’il a fait à notre petit département, à la Ville de Belfort et à la Franche-Comté. Personnellement, j’ai participé intensément à la préparation et au déroulement de son accueil pour la partie Belfort, Champagney et Roulans et j’ai été très heureux de voir que nous avions fait les bons choix pour les visites et les réunions. Les élus locaux, les techniciens du Conseil général et de la Ville de Belfort, la Préfecture ont donné le maximum.
Comme vous avez pu le constater, la population de notre département est sensibilisée aux problèmes du Burkina depuis de longues années et s’est tout naturellement mobilisée pour accueillir la délégation burkinabè, alors que la France vit un rapport pour le moins compliqué et dégradé avec l’Afrique. Les réponses du Président aux questions sur l’immigration et sur le commerce du coton et de Madame Compaoré sur l’excision sont très utiles aux débats actuels.
Quel bilan faites-vous de cette visite ?
Le bilan, c’est d’abord un renforcement des liens d’amitié entre nos peuples grâce aux encouragements et à la reconnaissance du chef de l’Etat burkinabè. C’est très important de réaffirmer l’intérêt de cette forme de diplomatie directe de société à société.
Concrètement, le projet de la « Maison de la Coopération décentralisée » initié par le Conseil général du Territoire de Belfort, rejoint actuellement par une quinzaine de collectivités locales burkinabè et françaises sort bien positionné dans le paysage burkinabè des rencontres qui ont eu lieu à Belfort. Il en va de même pour la reprise d’un projet de développement territorial pour les six communes de la périphérie de Ouagadougou, communes rurales de la Province du Kadiogo qui reçoit le soutien de Monsieur le Maire Simon Compaoré et du Gouverneur de la Région Centre, Boureima Bougouma.
Une piste a été ouverte pour une convention de coopération entre l’Université de technologie de Belfort Montbéliard (UTBM) et l’Université Polytechnique de Bobo. Le département du Doubs et les responsables de la race de vaches laitières Montbéliarde ont confirmé leur soutien à la filière lait dans la Région Centre. Tout cela donne un bon bilan en sortie de 36 heures intenses de rencontres !
Le jumelage Belfort-Tanghin-Dassouri à 25 ans. Comment a-t-il évolué et où en est-il aujourd’hui ?
Démarré en 83, au moment de la deuxième grande sécheresse, dans un contexte d’urgence et à l’appel d’un père blanc qui vivait à Tanghin-Dassouri, le jumelage de Belfort avec Tanghin-Dassouri, puis avec Komki-Ipala suite à un découpage du département, a suivi une voie bien connue des acteurs de ce genre d’actions. Caritatif, humanitaire, il a tenté d’évoluer, de passer de l’urgence au développement avec des moyens humains et financiers qui rendaient difficiles une certaine professionnalisation et à une époque où tous les modes de communication n’étaient pas ce qu’ils sont devenus. Vous savez aussi trop bien au Burkina que la personnalisation, l’accaparement par quelques uns ont souvent fait dévier les projets et parfois échouer.
Malgré un bilan fort honorable dans les domaines de l’école, de la santé et de l’eau, notre jumelage était en proie à ces difficultés au début des années 90. Nous avons alors décider de mettre en place, sous l’impulsion du Conseil général, comme la loi de 92 sur la coopération décentralisée le permettait, un projet de développement local avec un opérateur, cofinancé par le Conseil général du territoire de Belfort, le Ministère français des Affaires étrangères, l’Agence Française de développement et, très important, la population des deux départements.
Il ne faut pas oublier en effet que de 1996 à 2002, il y a eu à peu près 493 millions de FCFA investis sur ces deux départements et que la population a effectivement contribué à hauteur de 76 millions, ce qui n’est pas commun. Cela permet d’espérer pour les communes rurales sur le financement local participatif quand les bénéficiaires savent où passe leur argent.
Nous avions formé à la fin de ce premier PDL près de 70 personnes à la petite maîtrise d’ouvrage et certains vont devenir conseillers municipaux. Il a bien entendu faire comprendre aux membres des jumelages au nord et au sud que leurs rôles avaient changé, mais que rien ne pouvait atteindre ceux qui s’étaient engagés dans une relation humaine confiante et amicale.
On a souvent fait référence à Louis Lacaille dont vous avez pris la relève ;
qui était-il ?
Sans lui, sans Louis, Belfort ignorerait peut-être le Burkina Faso.
Ouvrier, syndicaliste aux usines Alsthom, c’est lui qui a répondu à l’appel du père Jurami et a utilisé l’argent d’une quête faite par ses collègues à son départ en retraite pour démarrer un forage. Marqué définitivement par l’état du pays à cette époque, il n’a cessé de se dépenser pour collecter des fonds et les apporter à Tanghin-Dassouri, aidant la construction d’écoles, le percement de forages et la création de dispensaires.
Je lui ai succédé au moment de la mise en place du projet de développement local dont il craignait une certaine bureaucratisation de l’aide. Il a eu la preuve avant de nous quitter que nous avons su entretenir et élargir les rapports humains, tout en échappant à certaines pratiques.
Avec le processus de communalisation intégrale, qu’est-ce qui va changer dans
de ce jumelage ?
Le jumelage-coopération du Territoire de Belfort se caractérisait jusqu’à présent par un engagement conventionnel du Conseil général avec les deux départements de Tanghin-Dassouri et Komki-Ipala, par des jumelages de communes du territoire avec des villages (une trentaine sur les 43 villages des deux départements) et par des actions générales, sociales ou culturelles animées par le comité lui-même présidé actuellement par Denis Piotte.
Nous allons devoir, de mon point de vue, revoir le dispositif conventionnel puisque nous sommes dorénavant en relation avec deux communes rurales dont les villages sont un élément au niveau duquel le développement est porté par un comité villageois de développement (CVD) au niveau duquel siègent les deux conseillers élus du village. Une concertation va s’engager prochainement et nous allons préparer de nouvelles conventions. Sur le fond, je suis sûr que rien ne changera dans notre engagement et nous attendions depuis deux ans cette relation avec des élus.
D’une manière générale, en tant que praticien de la coopération décentralisée, comment analysez-vous la dynamique de la communalisation
intégrale au Burkina ?
Je vous ai dit avoir été conseiller technique au MATD de 99 à 2004.
Je me trouvais inclus au sein d’un projet d’appui à la décentralisation avec la responsabilité du volet développement local et coopération décentralisée. J’ai beaucoup appris à ce poste sur toutes les formes de coopération décentralisée, mais aussi je suis devenu un militant de la décentralisation et de la communalisation intégrale.
J’ai ma part de responsabilité dans ce choix juste pour les citoyens et j’entends bien le défendre à mon petit niveau contre « les bâtons dans les roues » qui se dressent face à cette réforme plus importante pour la population que ne l’a été l’indépendance.
La coopération décentralisée, comme toutes les formes de coopération, doit dorénavant tout faire pour aider ce processus qui va s’engager par une phase purement pédagogique durant le premier mandat. Il faudra du temps avant que chacun comprenne et s’approprie ce que la communalisation lui apporte comme possibilité de prise en main de son développement.
Tous ceux qui interviennent au Burkina dans le cadre général du développement local doivent respecter la mise en place de la maîtrise d’ouvrage communale à l’échelle de son territoire et tout faire pour que cela marche. Les collectivités étrangères qui interviennent au Burkina ne peuvent ignorer les communes comme ils avaient tendance parfois à ignorer l’Etat et doivent exporter prioritairement leur savoir faire de collectivités en faisant une place dans leurs projets aux investissement immatériels (formation, stages, échanges de fonctionnaires)
Le projet « Maison de la Coopération décentralisée » permettra d’affirmer la volonté des collectivités burkinabè de voir leurs partenaires évoluer dans ce sens et d’apprendre à mieux utiliser l’apport de la coopération décentralisée. La MCD a pour vocation l’appui conseil, la formation et d’être une banque de données au service du développement territorial.
Interview réalisée par Cyriaque Paré
Lefaso.net
P.-S.
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