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Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

Publié le vendredi 9 juin 2006 à 07h16min

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Maurice Freund

Maurice Freund, 63 ans, pionnier du charter à tête de corsaire, apôtre du tourisme solidaire, il dirige Point-Afrique, qui met le continent noir à des prix accessibles.

Allez, un type bien pour une fois ! Maurice Freund a 63 ans et s’il n’est pas passé du col Mao au Rotary, c’est qu’il n’a jamais porté l’un, ni fantasmé sur l’autre. Il est un patron de gauche, pas un ex-gauchiste devenu patron. A l’inverse de Jacques Maillot, le très ramenard fondateur de Nouvelles Frontières, ou de Philippe Gloaguen, l’inventeur des guides dont-on-n’a-pas-le-droit-de-mentionner-le-nom quand on a la mauvaise idée d’enquêter dessus, personne ne connaît Freund, qui a pourtant contribué à « inventer » le charter en France. « Maillot, il me disait déjà en 1970 : "Momo, un jour, je serai le plus grand." Avec Gloaguen, ils sont trop dans la logique de l’entreprise. » A la tête du Point-Mulhouse, puis Point-Air et aujourd’hui de Point-Afrique, Freund défend ses idées autant que ses intérêts.

Dix ans après sa naissance, Point-Afrique est présent dans sept pays d’Afrique et organise des trekkings en Kabylie.
Point-Afrique n’a pas d’actionnaires, c’est une coopérative, qui fait du tourisme solidaire ou du transport aérien durable pour touristes sans le sou et travailleurs immigrés. A l’heure où plus l’Afrique est pauvre, plus il est cher de s’y rendre, Point-Afrique met le continent noir à portée de bourse. La compagnie dessert aujourd’hui l’Algérie, le Bénin, le Burkina Faso, la Libye, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Les bénéfices sont réinvestis dans des projets en Afrique : taxis, pirogues, camps de vacances... « Je n’irai jamais investir aux Baléares, explique-t-il. Je ne veux pas entrer dans le tourisme de ghetto. » Maurice Freund, qui dirige une entreprise dégageant 44 millions de chiffre d’affaires et faisant travailler près de 140 salariés, dont une moitié d’Africains, gagne moins de 4 800 euros bruts par mois.

Contrairement à l’aristocratie gauchiste, il ne vient pas de la bourgeoisie. Usine à 16 ans, brevet professionnel à 19, il rejoint la faculté de sciences de Strasbourg sans bachot. Licence, doctorat en physique. « A la fac, j’étais décalé par rapport à ceux qui avaient suivi la voie royale. » Son père, un « malgré-nous », est mort sur le front russe sans l’avoir connu. Sa mère en usine, il est élevé par ses grands-parents, des paysans alsaciens de Guebwiller. A 10 ans, on l’envoie au petit séminaire, il en est renvoyé cinq ans plus tard.

Le noyau fondateur du Point-Mulhouse est né en 1964. « Nous étions un groupe d’étudiants en maths. On cherchait un lieu pour faire la fête. On a décidé de construire un chalet dans les Vosges. » Ils financent le projet en cueillant des myrtilles : c’est les scouts plus Salut les copains comme BO. « Je n’ai pas vécu Mai 68 dans la contestation, l’affrontement. » Il est plus Albert Schweitzer que Che Guevara.

Une fois le chalet terminé, Freund se souvient d’un missionnaire de Madras, rencontré au petit séminaire. « On s’est mis en tête de construire des maisons en Inde. Le problème principal était le prix des billets d’avion. » La solution la moins chère consiste à affréter un vol depuis Mulhouse. L’opération est un tel succès qu’il la répète en 1970, au Mexique, pour des vacances. Puis le Pérou. « De 1971 à 1980, chaque semaine, un DC-10 de 350 places décollait vers Lima. » En été, il est rempli de Français, dont le jeune Jospin, le reste de l’année ce sont des Autrichiens, des Allemands et des Suisses. Le tourisme n’est pas sans risques : en 1974, Freund passe onze jours en prison en Bolivie pour avoir aidé des réfugiés chiliens à fuir Pinochet.

Freund revendique un court passage par l’Union des étudiants communistes, un compagnonnage avec le PSU et des entrées à la CFDT. En 2002, il a voté Jospin au premier tour. Au référendum sur la Constitution européenne, c’était non. « Je suis alsacien, je ne peux qu’être pour l’Europe mais pas cette Europe de l’argent. On fait trop d’économie, pas assez de politique. On me demande toujours mon chiffre d’affaires, jamais combien de familles je fais vivre. » A l’africaine... C’est aussi comme ça qu’il a monté son affaire, profitant de l’exception alsacienne qui lui permet de bénéficier des avantages de la loi de 1905 sur les associations et de décoller de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. « Légalement, il n’était pas possible de décoller depuis un aéroport français. » Freund a une tête de corsaire sympathique. Provoc ou demi-aveu, le siège de sa société est domicilié à Bidon (Ardèche) et ses locaux parisiens se trouvent rue de la Grande-Truanderie.

Au Point-Mulhouse, les passagers ne sont pas de simples clients. En achetant un billet, ils adhèrent à l’association et sont invités à voter lors des assemblées générales. Les ventes sont assurées par des bénévoles. « Ça marchait tellement bien qu’on avait accumulé 7 millions de dollars de réserves en 1978. » Au retour, les avions ramènent pulls et ponchos. Mais, à 100 000 passagers par an, Air France commence à s’énerver car les avions du Point-Mulhouse décollent pour New York, Bangkok, Bombay, New Delhi, Hodeïda ou Kandahar.

Au Burkina Faso, Maurice Freund découvre l’Afrique, qui ne l’a jamais lâché depuis. Il s’entiche d’un jeune capitaine sans manières, Thomas Sankara. A raison des six vols par semaine vers « Ouaga », Point-Air taille des croupières à UTA et à Air Afrique. Ses avions reviennent chargés de haricots vendus l’hiver sur les marchés. Menacé d’interdiction, Freund s’en sort grâce au coup de main d’un conseiller de Mitterrand, Attali. Retour d’ascenseur pour avoir prêté un avion lorsque le premier secrétaire du PS avait ramené des boat-people vietnamiens. L’Elysée lui fait un autre cadeau en l’autorisant à voler vers la Réunion. En février 1985, Freund signe le plus gros chèque de sa vie : 187 millions de francs pour l’achat d’un DC-8. On dit qu’il transporte des armes au Tchad et au Burkina. Il reconnaît avoir donné un coup de main à l’armée française pour sauver le Tchadien Habré menacé par Kadhafi. Pas un ange ce Freund, mais qui l’est dans ce métier ?

Lorsque la droite revient au pouvoir en 1986, Maurice Freund perd ses protecteurs. L’aviation civile le coince sur des entorses mineures. En 1987, les avions de Point-Air sont cloués au sol. « On ne m’a pas raté. Un an plus tard, Point-Air a mis la clé sous la porte et laissé 480 employés sur le carreau. » 1987, année maudite : Sankara est assassiné et Freund, qui a désigné le coupable, Blaise Compaoré, dans une interview, est interdit de séjour au Burkina. Il mettra seize ans avant d’y revenir.

Durant sa traversée du désert, Maillot le sollicite pour rejoindre Nouvelles Frontières. Il préfère partir remettre sur pied Air Mali, mais démissionne quand un ministre malien lui propose de partager les bénéfices. Victime d’une tentative d’empoisonnement, il quitte l’Afrique lessivé. « En Afrique noire, l’aide est devenue un dû. La décolonisation et la coopération ont été un échec total. » Il cite l’écrivain Amadou Hampâté Bâ : « La main qui reçoit est toujours en dessous de celle qui donne. » Lui préfère le microcrédit.

Pourtant, il retourne au Mali en 1995, à la demande d’amis touaregs. C’est reparti : Gao, Agadès, la Libye, Attar. Grâce à lui, le désert mauritanien devient tendance : 200 voyageurs en 1996, 11 000 en 2000. Il utilise des pistes construites par l’armée française au temps des colonies mais est atterré qu’on puisse voter une loi sur « le rôle positif de la colonisation », lui qui a milité pour l’indépendance de l’Algérie. Il vient de lancer des séjours trekking en Kabylie. Même s’il passe de plus en plus de temps dans sa maison ardéchoise, même si ses deux enfants sont déjà grands, pas question pour lui de prendre sa retraite. Sur ce point au moins, il est un soixante-huitard comme les autres.


Dates

Maurice Freund en 9 dates

1943 : Naissance à Guebwiller, en Alsace.

1964 : Premier vol du Point-Mulhouse.

1980 : Premier vol vers Ouagadougou, au Burkina Faso.

1988 : Faillite.

1989-1991 : Dirige Air Mali.

1995 : Premier charter vers Gao, au Mali.

2006 : Dix ans après sa naissance, Point-Afrique est présent dans sept pays d’Afrique et organise des trekkings en Kabylie.

par Christophe AYAD
Libération (www.liberation.fr)

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Vos commentaires

  • Le 11 juin 2006 à 10:37, par demo En réponse à : > Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

    Rien à redire,que de l’admiration pour le cv et les acts de ce grand homme ....châpeau et bon vent !!!!
    Que le ciel continue de te donner des ails et que les anges te protègent !!!!

    • Le 15 juillet 2007 à 18:51, par PARAIRE née Dépinay Marie-France En réponse à : > Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

      Décidément, merci d’exister Maurice Freund !

      Cependant, si je suis de près votre festival de Bidon, je me pose un certain nombre de questions concernant les touaregs du Mali :
      En effet , Ag Moussa guide du campement proche de Gao , se désolidarise des agences "Sahara-Passion et "Croque-Nature" pour se vendre seul. Tout en sachant que ses copains arrivent en France pour se vendre au Festival .

      Pour exister en Brousse en tant que Touaregs il faut être solidaires ! Or ce type de comportement ne semble pas particulièrement "équitable" pour reprendre un mot - valise bien galvaudé ! La rivalité, l’individualisme sont synonyme de perversion, déclenchée par nous .

      Ne sommes -nous pas entrain de pervertir une fois de plus un mode de fonctionnement encestral ?

      Au même titre que ce qui peut se passer chez les inouits ? Ou ailleurs.

      Faire venir les Touaregs (des éleveurs) en France, au milieu de votre monde d’intello, n’est-ce pas vous faire plaisir mais déstabiliser considérablement leur mode de fonctionnement ? C’est comme d’amener des bergers des pyrénées au Fouquet’s !

      Eux n’ont pas le choix de vivre autrement . Leurs enfants sûrement.

  • Le 15 juillet 2007 à 18:27, par PARAIRE née Dépinay Marie-France En réponse à : > Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

    Merci pour cet article ; je savais que Maurice Freund était un type bien ( j’avais lu un article dans le monde concernant point-afrique) mais maintenant j’en ai la conviction ! Allier l’humour à la qualité de ses convictions,merci d’exister, monsieur Freund.
    J’ai connu le Mali en 65 ; j’y ai travaillé un été comme infirmière , secrétaire médicale (certificat de virginité pour les filles avant le mariage ) en Brousse à Diré avec mon père , médecin chef du dispensaire de Bandiagara puis de Diré 60 à 76. Il est décédé à 62 ans en 76. Je suis revenue au Mali en 2005, soit 40 ans après pour aller sur sa tombe, au cimetière mulsulman de Diré déposer les cendres de ma mère.
    Le Mali en 40 ans a tout de même changé. Grâce aux routes, le sud peut nourrir le nord. Le tourisme devient tendance grâce à Point Afrique !

    Ce qui m’inquiète, serait maintenant la dérive perverse du tourisme. Alors le côté "tourisme équitable" peut-il relever le défi ?
    Les ONG ont-elles leurs pauvres comme on avait nos "vieilles" chez les scouts ?
    On aurait envie de fédérer les organisations et paradoxalement on préfère être au plus près de projets modestes mais efficaces
    .
    Le risque n’est-il pas de développer des rivalités entre les touaregs sensés être solidaires entre eux et du même coup casser cette solidarité. J’en veux pour exemple le touareg Guide Ahmed AG MOUSSA du campement proche de GAO qui fait sa propre publicité pour sortir de l’agence "Sahara Passion" ou se désolidariser de l’agence "Croque Nature". Les Guides du même bled vont se retrouver dans le Festival de Bidon mais chacun plaide pour sa paroisse !
    Ahmed Ag Moussa semble naviguer seul dans la jungle du tourisme de son bled alors qu’il est très au courant de ce qui se passe en Ardèche par les guides du Mali de Croque Nature.
    N’y a-t-il pas un décalage entre les intello qui vont animer votre festival et les petits guides éleveurs - touaregs qui cherchent seulement à pas crever de faim ?
    Chacun en venant en France retrouve une Aura auprès des leurs et la France ne risque t-elle pas encore d’être un miroir aux alouettes ?Comme pour tous les immigrés.
    Assez pragmatique, je m’interroge sur le fait de faire venir les Touaregs en France pour votre Festival : cela réveille les consciences , certes.
    Mais ne sommes -nous pas en train de déstructurer un mode de fonctionnement au sein de leur communauté ?
    L’accès à la télé, la radio, le portable, internet change considérablement la donne.
    C’est le même problème avec les communautés esquimaux peut-être .

    Etre ou ne pas être touareg au Mali, telle est la question ! Mais eux n’ont pas le choix ! leurs enfants peut-être !

    • Le 27 octobre 2009 à 12:21, par gantheil Jean Luc directeur Croq nature En réponse à : > Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

      Ahmed Ag moussa ne s’est pas désolidarisé de Croq’Nature, c’est l’assiciation de l’ensemble de la population d’EChag qui l’a écarté. Attention il faut vérifier avant de s’engager !
      Jean Luc Gantheil Directeur de Croq’Nature

  • Le 28 mai 2009 à 16:16, par Dadi En réponse à : Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

    Bonjour,

    je voudrais que maurice Freund explique ce qui s’est vraiment passé en décembre 1995 - premier vol sur Gao.
    Nous étions 6 filles - célibataires et sans enfants.
    Il nous a envoyées "faire un tour" dans le désert au-delà de Kidal ; Nos guides étaient des rebelles touaregs.
    Ce n’est pas ce qui avait été prévu.
    On a sympathisé mais ils étaient des rebelles !
    Que s’est-il passé exactement ?
    Quel était le but de ce "voyage" ?
    l’explication incroyable qu’il nous a donnée à notre retour.
    Son assistant ouvrant de grands yeux comme si on n’aurait jamais dû revenir...

    Je voudrais, presque 15 ans après, avoir des explications.....

    merci par avance

    C. W.

  • Le 29 avril 2010 à 15:35, par DAGUI En réponse à : Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

    Je suis avec les autres intervenant quand ils disent que monsieur Maurice freund est l’un des piliers du tourisme mondial.il a d’ailleur été à la base de la propulsion du Tourisme en Afrique de l’ouest .
    Tout Grand Homme à des hauts et des bas,je sais que Maurice a beaucoup travaillé ,mais je voudrais juste dire dans mon intervention qu’il a un travail à finir financièrement à Mopti et qu’il soit à la hauteur de ses engagements.

  • Le 15 janvier 2011 à 15:20 En réponse à : Maurice Freund de Point-Afrique : Sa propriété, c’est le vol

    J’avais oublié son nom depuis longtemps, merci de me l’avoir remémoré dans cet article.
    Je l’ai connu il y a bien longtemps car j’ai beaucoup utilisé les service du Point Mulhouse, et nous avons fait ensemble une traversée épique de l’Afghanistan par la route du centre et je l’ai toujours considéré comme quelqu’un de rare et de vrai.
    Son parcours après les années 70, ou je l’ai perdu de vu, me confirme tout le bien que je pensais de lui à cette époque.
    JM H

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