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Douane de Cinkanssé : Arrêt sur image d’une corruption bien ancrée

Publié le mercredi 7 juin 2006 à 08h15min

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C’est un secret de Polichinelle que d’affirmer que la corruption, les faux frais de route et le trafic d’influence sont devenus des pratiques quasiment légalisées dans les rapports entre certains usagers de la route et les forces de sécurité commises au contrôle routier.

Suite à la plainte répétée de citoyens indignés par ces dérives, le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) a dépêché une équipe aux postes de douanes de Bittou et de Cinkassé pour vérifier des faits qui mettent en cause des comportements peu honorables pour les douaniers et transitaires qui y officient. Le constat est à la fois édifiant et affligeant. Nous vous en proposons le premier épisode au poste de Cinkassé à la frontière Togo-Burkina.

Samedi 3 juin 2006. Le poste frontalier Burkina-Togo de Cinkassé grouillait de monde, de beau monde, depuis 7 heures. Camionneurs et chauffeurs de véhicules « France au revoir » et autres voyageurs qui y sont passés se sont levés de bonne heure pour accomplir leurs formalités de douane. C’est la première étape d’un parcours où le principal élément qui permet d’aller vite, et même très vite, repose sur ce qu’on appelle là-bas : « quelque chose » pour faire mouvoir la paperasse, et surtout les douaniers. Cela est d’autant plus important que ceux qui ne l’ont pas n’osent même pas essayer quoi que ce soit.

Pour comprendre ce que cache ce « quelque chose », il suffit de se rapprocher du groupe de déclarants en douane, pompeusement appelés « transitaires ». Ce sont des jeunes qui ont tellement bien compris le jeu qu’ils ne se doutent de rien. « Même si tu as des papiers en règle, le douanier trouvera le moyen de t’obliger à lui glisser quelque chose », nous avait averti le jeune Jules, un des déclarants de la multitude de sociétés de transit qui ont pion sur les lieux. C’était là l’avertissement d’un véritable connaisseur des habitudes et comportements des acteurs en présence, puisque les micmacs se déroulent quasiment à ciel ouvert.

Devant la barrière du poste de Cinkassé, sont postés deux douaniers qui sont supposés vérifier la conformité entre les déclarations des véhicules et leur contenu exact, avant de les laisser passer. Mais, en fait de vérification, il s’agit d’un jeu savamment orchestré. Les billets de banque passent d’une main à l’autre, et le tour de passe-passe est joué. Le frais minimal est de 1 000 F CFA et croît en fonction du poids du véhicule, et surtout des marchandises suspectes que son propriétaire veut dissimuler par ignorance ou en connaissance de cause.

Entre les déclarants en douane et les douaniers, il y a une complicité telle que la somme que les premiers donnent aux seconds dépend du forfait. Lorsque nous avons d’ailleurs tenté de demander, à notre ami Jules, combien faut-il pour graisser la patte à un douanier, il a longtemps hésité avant d’avouer que tout est fonction du « business ». Ce business n’est autre que ces bagages louches que les camionneurs et conducteurs de véhicules « France au revoir » ne veulent, pour rien au monde, dévoiler à la douane. Sachant la désobligeance que cela leur causerait, les douaniers commis à la vérification en profitent pour monter les enchères. A un conducteur de camion-remorque qui ne voulait pas « faire le geste », un des douaniers a intimé l’ordre de déballer toute sa charge. Comme le « béret noir » devait s’y attendre, le camionneur a courbé l’échine et a glissé le billet complice pour échapper à la corvée.

Sachant surtout qu’aucun transporteur ou camionneur ne supporte la peine du déchargement des marchandises de son véhicule, les douaniers jouent sur cette corde sensible pour obtenir d’eux tout ce qu’ils veulent. En cas de refus, ils n’hésitent pas à retarder volontairement les « récalcitrants ». C’est également le principal argument dont se servent les fameux « transitaires » pour obliger leurs clients à « faire quelque chose » afin de passer rapidement la barrière.

Dans ce jeu des ombres, chacun s’en tire selon le poids du pouvoir qu’il met dans la balance. L’usager averti de ce fonctionnement occulte de la douane en profite évidemment pour traverser la frontière avec des marchandises illicites. Quant aux transitaires et leurs sous-fifres, les déclarants en douanes, le trafic est bénéfique à tous les coups. Avec les faux frais qu’ils arrivent à extirper à leurs clients, ils s’en mettent d’abord dans leurs poches avant de graisser la patte aux douaniers. Consciemment ou inconsciemment, les douaniers se servent des pouvoirs dont ils sont investis par l’Etat pour se remplir tranquillement les poches.

En tout cas, les deux agents qui étaient en poste à la barrière de Cinkassé ce samedi 3 juin ne se sont pas fait prier. Car ils n’ont eu à délivrer aucun reçu contre les multiples billets de 1000 F et de 2000 F CFA que les camionneurs, les chauffeurs de « France au revoir » et autres leur ont glissés. Curieusement, le magot a été stocké dans le tiroir d’une table qui leur sert de bureau dans la guérite.

Ce qui suppose qu’ils ne devaient pas être les seuls à en profiter. Difficile de croire que ce jeu, qui est visiblement ancré dans les moeurs et tacitement toléré par les usagers, ne soit pas connu des autorités douanières. Les deux douaniers que nous avons pu observer, sans qu’ils ne s’émeuvent de quoi que ce soit, peuvent-ils agir ainsi sans la complicité de leurs supérieurs hiérarchiques ? Difficile d’y croire.

Au moment où la Direction générale des douanes tente de redorer son blason en organisant annuellement des journées portes ouvertes sur ses services, le REN-LAC estime que la persistance de telles pratiques apporte de l’eau au moulin de ceux qui pensent que la corruption s’y est imposée comme le sport favori. Certes, tout le monde -usagers de la douane, camionneurs, transporteurs, propriétaires de camions,... est complice et/ou coupable de ces dérives. Des fraudeurs « professionnels » ont certainement des raisons de dissimuler des marchandises ou de corrompre les douaniers. Mais la grande masse des usagers ignorent qu’ils peuvent déclarer leurs marchandises sans payer des frais. Là où le bât blesse, c’est que des douaniers véreux profitent de cette ignorance pour faire leur beurre.

Le signal fort doit d’abord venir des services de la douane. On ne le dira jamais assez la corruption n’est pas une fatalité. C’est le laxisme, et surtout le silence qui la confortent et risquent de la transformer en un véritable cancer de tout le corps socio-économique et politique. Rendez-vous au prochain épisode.

Le REN-LAC se propose de publier vos réactions, vos suggestions, vos dénonciations, si cela est conforme à la déontologie et à l’éthique professionnelle. Vos critiques et suggestions sont les bienvenues.

Pour toutes informations et suggestions, contactez-nous à l’adresse suivante :

- Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) 01 BP : 2056 Ouagadougou 01,
- Tél. : 50 33 04 73,
- Email : renlac@renlac.org,
- site : http: //www.renlac.org.
- Tél. vert : 80 00 11 22 (gratuitement).


Précision

Dans l’article du RENLAC publié dans le n° 3629 du vendredi 26 au dimanche 27 mai 2006 sous le titre : « Corruption dans la santé : un escroc en service à l’hôpital Yalgado », une malencontreuse méprise nous a amené, dans le chapeau de l’article, à donner l’impression que la Neurochirurgie relevait du service de la Neurologie. Ce qui n’est pas le cas, comme l’a si judicieusement relevé le chef du service de Neurologie dans un rectificatif paru vendredi 2 juin dernier. Le REN-LAC présente ses sincères excuses au chef de service de Neurologie et à son personnel pour la confusion, et pour tout autre préjudice que cela a pu entraîner.

Le REN-LAC invite le chef de service de Neurochirurgie à confirmer à son homologue de Neurologie et au public que les faits relatés ont eu bel et bien lieu dans son service. Plus précisément, l’enfant Moumouni a été effectivement hospitalisé au service de Neurochirurgie, lit n°8. Quant au garçon de salle (brancardier) qui a escroqué ses parents, il s’agit en effet du sieur Patrice Lompo.

Le REN-LAC

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 7 juin 2006 à 10:55, par Dakar yébéogo En réponse à : > Douane de Cinkanssé : Arrêt sur image d’une corruption bien ancrée

    En tout cas, courage à vous REN-LAC, la tâche n’est pas facile pour vous. Dénoncez et éduquez nous contre la corruption. Comme ça je suis fier d’être Burkinabé.

  • Le 7 juin 2006 à 18:15, par demo En réponse à : > Douane de Cinkanssé : Arrêt sur image d’une corruption bien ancrée

    Salut à tous,je me felicite de savoir qu’au moins avec des structures comme le ren -lac,on peut on moins parler du pire des maux qui minent le developpement des pays pauvres qu’est la corruption et plus particulièrement des services douaniers en Afrique....En effet ,nul n’est censé ignorer ces genres de pratiques dans certaines sections de nos services de douanes ,à commencer par les premiers responsables...Il suffit de voir toutes les magouilles auquelles certaines personnes se donnent pour integrer ce corps ,noble dans sa deontologie pour comprendre que ne vont pas dans la douane tous les fils du pays voulant aider le pays...
    La preuve en est faite tous les jours si on remarque le comportement zélé et saugrenu de certains employés de ce corps dans les lieux de villegiature tant ils depensent sans compter...ce qui fait croire même au plus naif de la societé qu’il ya de l’argent à la douane...tout le monde le sait au Burkina que même le plus subalterne des douaniers de la categorie C se tappe une villas de 20millions au moins en moins de 3ans de service..alors si on veut me faire croire que c’est des sous honêtement gagnés ???? en tout cas je suis trés triste pour notre pays car je trouve que c’est surtout cette forme de corruption systematique qui est l’une des causes les plus crillardes de notre pauvreté car ces mêmes sous qui echappent au services publiques pourraient bien servir à construir par exemple des écoles ou des dispensaires...toutes choses qui restent des indices indispensables du developpemnt...
    A bon entendeur ,salut !!!

  • Le 7 juin 2006 à 20:46 En réponse à : > Douane de Cinkanssé : Arrêt sur image d’une corruption bien ancrée

    ah ! en tout a une certaine époque quand on a fait le menage on a crié que c’était la dictature. Le dictateur est parti et la democratie est venue. Bon couraze a nous tousse et a ceux qui manzent ou na pa a manzer

  • Le 8 juin 2006 à 18:24, par AZAD En réponse à : > Douane de Cinkanssé : Arrêt sur image d’une corruption bien ancrée

    JE PROPOSE QU’ON DISTRIBUE AUX USAGERS DE LA ROUTE DES INFORMATIONS CONCERNANT LEURS DROITS AUX POSTES-FRONTIERES ET QUE DE TEMPS EN TEMPS IL Y AIT DES ENQUETES INOPINEES ET DES ESPIONS DU GOUVERNEMENT A CES POSTES POUR COMBATTRE CETTE CORRUPTION QUI NOURRIT TANT DE MONDE AU DETRIMENT D’HONNETES CITOYENS. DES SANCTIONS SERIEUSES AUSSI DOIVENT ETRE MISES EN OEUVRE.

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