Coopération décentralisée : Blaise Compaoré à la rencontre de la France profonde
Avril 1994. Nous sommes à Saint-Fons, une petite commune de la région de Lyon (Centre-est) de la France). Quelque 400 personnes réunies dans le cadre d’un colloque intitulé « Burkina’94 » ont à débattre d’un thème que l’on qualifierait d’exotique « Coopération, développement et démocratie : l’exemple burkinabè ».
Parmi les participants, un invité de marque, le président Blaise Compaoré. Le clou de l’événement sera le débat en direct, sans intermédiaire, sans préalable, sans esquive, qu’il tiendra pendant près de trois heures avec les représentants des centaines d’associations qui s’investissent dans des projets de solidarité internationale a Burkina Faso.
L’événement sera salué à sa juste mesure, aussi bien par les observateurs que par les organisateurs-mêmes de cette forme de coopération entre populations à la base. L’originalité de la démarche était en effet incontestable : pour la première fois dans les relations franco-africaines, un chef d’Etat choisissait de dialoguer, non pas avec les autorités gouvernementales, mais avec les acteurs d’une forme de coopération qui, si elle est aujourd’hui légitimée par les canaux officiels ne l’était pas encore.
Ce dialogue, ce contact direct, Blaise Compaoré l’avait voulu un an plus tôt, lors d’une visite officielle à Paris en juin 1993, visite au cours de laquelle il avait rendu hommage à la coopération décentralisée pour son caractère humain et souple et avait exprimé sa volonté de rencontrer ses acteurs sur place en France. L’association VOAGA (Vouloir Agir pour l’Afrique) a entendu son appel et a réalisé son vœu en collaboration avec plusieurs autres partenaires.
Lors des débats passionnés qu’il aura avec les participants, Blaise Compaoré expliquera sa démarche : « A côté de la coopération entre Etats, il y a en France des hommes et des femmes réunis dans les communes, dans les départements, organisés autour des valeurs du bénévolat, du volontariat, et plus largement des valeurs de solidarité avec notre peuple, qui œuvrent au développement du Burkina. C’est eux que je suis venu saluer ».
Il précisera aussi sa vision de la coopération décentralisée : « C’est sur les hommes et les femmes du Burkina Faso qu’il nous faut regrouper nos énergies et organiser la lutte, afin de libérer des initiatives créatrices. Il nous faut parvenir à une plus grande responsabilisation des populations. C’est pour cela que nous soutenons particulièrement et fortement toutes les initiatives que vous menez en lien direct avec les communautés à la base. C’est à travers elles que vous réalisez la coopération française après, bien sûr, une sensibilisation des gens du terrain, en tenant compte des facteurs, des engagements, des formes propres du pays. C’est ainsi que vous renforcez la démocratie, que vous comprenez son intérêt, bien sûr, que vous comprenez ce qu’est réellement le développement ».
Douze ans après, cette démarche et cette vision sont toujours d’actualité, consolidées par les différentes rééditions de cette rencontre avec la France profonde : Chambéry en 1997, Poitiers en octobre 2001.
Ce qui va changer avec la communalisation intégrale
Cette année, les participants de ce singulier dialogue débattront sur une thématique de circonstance, « la rupture positive », avec en toile de fond le parachèvement du processus de décentralisation au Burkina Faso réalisé par les élections municipales du 23 avril dernier.
Les 351 communes (urbaines et rurales) qui couvriront le territoire burkinabè entraîneront nécessairement des changements dans les pratiques de la coopération décentralisée. Ces changements doivent être positifs pour consolider cette forme de relation et de solidarité qui garde tout son atout humaniste à l’heure d’une mondialisation plutôt sauvage. Les attentes des différents protagonistes sont sans doute nombreuses.
En effet, l’ancienne formule de la décentralisation limitée à l’agglomération mettait de côté 82% de la population. Ce que corrige désormais la décentralisation intégrale. Mieux, le nouveau Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) consacre le droit des collectivités à s’administrer librement et à gérer leurs affaires propres, bien sûr, dans le respect strict de l’intégrité du territoire et de l’unité nationale, mais selon l’identité et l’autonomie de chaque collectivité.
Avec ce nouvel espace de partenariat, l’Etat entend donc dépasser les interventions personnalisées ou ponctuelles et inscrire les différentes initiatives dans une optique de développement local durable à travers notamment les Programmes locaux de développement (PDL) que certains partenaires ont du reste déjà intégrés dans leurs actions.
L’approche projet avec des investissements parfois colossaux uniqement dans des infrastructures socio-sanitaires, les dons de matériels ou de médicaments inadaptés et autres initiatives sans lendemain devraient donc progressivement disparaître.
En effet, il faut souligner que si les premières relations de coopération décentralisée entre Burkinabè et Français datent de 1964, l’on note qu’elles ont très souvent été des initiatives personnelles entre individus. Il en a résulté une dimension trop affective et personnalisée des actions qui sont parfois même monopolisées par quelques privilégiés. La gestion opaque que cela peut entraîner est logiquement source de dysfonctionnements ou encore de léthargie en fonction des humeurs des principaux protagonistes.
La communalisation intégrale, en instituant un nouvel cadre avec la consécration des régions comme pôles géographiques de développement devrait inciter les partenaires à prendre en compte la dimension région et à tisser des rapports à cette échelle, afin de réduire par ailleurs les inégalités dans la couverture territoriale par des projets de solidarité internationale.
En consolidant l’exercice de la démocratie et de la gouvernance locale, la communalisation impose d’associer le plus largement possible les populations aux actions sur le terrain et donc, de mettre un terme aux initiatives basées sur des relations individuelles et personnalisées.
La présence du chef de l’Etat burkinabè lui-même est certainement le meilleur garant pour la réalisation des engagements qui seront pris à cette quatrième rencontre entre partenaires burkinabè et français.
Cyriaque Paré
Lefaso.net
P.-S.
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