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Marc Jaubert : « Le Burkina Faso perd de son originalité mais paradoxalement, se développe »

Publié le mercredi 24 mai 2006 à 07h56min

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Marc Jaubert

Marc Jaubert est militant de plusieurs associations de solidarité internationale dont l’historique « Ouaga-Bordeaux-Partage » connue dans la capitale burkinabè pour sa pharmacie à prix social et qui, pendant des années, a symbolisé la richesse des échanges entre le Burkina et cette région du sud-ouest de la France. Aujourd’hui, c’est avec quelques pointes de désillusion qu’il analyse les relations franco-africaines.

Au début du 20è siècle, l’Afrique était présentée comme un continent peuplé de barbares et de sauvages et le devoir de l’homme blanc, cultivé lui, était de guider l’Africain, une espèce de sous-homme noir méprisable, vers un monde meilleur, plus religieux, plus policé, à coup de fusil si nécessaire. C’était l’époque des colonies. A l’exposition universelle, on présentait dans des cages des nègres cannibales. Si c’était la forme la plus répandue t généralement admise, même enfant, je ne pouvais pas adhérer à l’arrogance de ces thèses racistes que je savais fausses, injustes et cruelles.

En 1947, je faisais mon service militaire au Maroc et j’ai pu constater combien le complexe de supériorité des colons était stupide et loin de la réalité, ceci particulièrement vrai dans l’armée française. Trente ans plus tard, je fis un séjour au Gabon, et là ; malgré l’indépendance, rien n’avait changé à l’égard des Africains, seulement le néocolonialisme avait remplacé les gouverneurs, l’attitude arrogante des blancs restant la même et je suis revenu plus que jamais convaincu qu’on faisait fausse route : je ne pouvais pas me reconnaître dans ces rapports racistes et injustes.

Au Zaïre en 1960, Patrice Lumumba avait fait naître un petit espoir d’indépendance véritable, il le pays de sa vie. En 1983, j’ai découvert le Burkina Faso sans jamais avoir connu la Haute-Volta. Des jeunes officiers s’inspirant en quelque sort de Patrice Lumumba voulaient pour leur pays une indépendance véritable. J’ai eu à ce moment-là connaissance de la déclaration que Thomas Sankara avait faite le 4 octobre 1984 aux Nations Unies. J’en ai beaucoup apprécié le ton, le fond et la forme. Enfin quelqu’un qui disait au monde occidental quelques vérités dérangeantes. Il venait de donner à un petit pays défavorisé, pratiquement inconnu du grand public, enclavé au sein de l’Afrique occidentale française de l’époque, une identité et une dignité. Désormais, le Burkina Faso existait, on savait même le situer sur la carte parfois.

Les événements qui avaient donné naissance à ce jeune pays m’intéressaient énormément et le hasard voulut qu’il existe près de chez moi une petite ONG : Ouaga-Bordeaux-Partage (OBP). La déclaration liminaire de O.B.P, à savoir « des personnes différentes dans leur civilisation et leur façon de vivre, s’acceptant comme tel et se respectant réciproquement ». A Ouagadougou, O.B.P avait la même raison sociale et les mêmes objectifs de partenariat.

Je venais de découvrir qu’il existait en Afrique des gens qui ne voulaient plus de la tutelle arrogante et prétentieuse des occidentaux et que certains Français approuvaient la volonté d’indépendance des Burkinabè jusqu’alors soumis par l’esclavage, la colonisation et maintenant la néo colonisation. Ce que j’espérais depuis longtemps arrivait enfin et je me rapprochai d’O.B.P.

En 1987, le premier voyage : j’allais connaître le Burkina Faso, de visu, sur le terrain et j’arrivais à Ouaga au moment de la Rectification. Thomas Sankara avait été éliminé. En arrivant à Ouaga, la première impression fut désagréable : les CDR armés, le doigt sur la gâchette qui contrôlaient abusivement et pas toujours sympathiquement.

Ceci dépassé, j’ai découvert une population très dynamique, très fière de sa nouvelle dignité et de son identité. Tous voulaient participer à l’évolution du pays : ils s’organisaient en ONG, trouvant des partenaires en France et beaucoup apportaient leur contribution à la citoyenneté qui prenait un sens. Ils construisaient des puits, des écoles, des dispensaires ; ils organisaient la collecte des ordures ménagères. Partout, des slogans pour inciter à l’autosuffisance, à l’utilisation des produits locaux, aux bienfaits du sport de masse et de la propreté. Le tissu local, « Faso Dan Fani », les banques populaires, les pharmacies populaires comme celle d’O.B.P délivrait sur ordonnance des médicaments en provenance de Bordeaux que des bénévoles venaient quotidiennement contrôler et conditionner.

Au fil du temps, l’individualisme a gagné du terrain. C’est une tendance générale, les automobiles sont désormais plus nombreuses, les Mercedes restées au garage pendant cinq ou six ans circulent à nouveau, les partenariats burkinabè entre associations ne sont plus les mêmes. Les bénévoles sont moins motivés et souvent, ils ont en arrière-pensée les avantages que les activités pourraient leur apporter au plan personnel.

Petit à petit, le Burkina Faso perd de son originalité. Le gouvernement subit les lois imposées par les organisations internationales : ajustement structurel, dévaluation du F.CFA, privatisations, libre concurrence, etc. Un peu paradoxalement, le Burkina Faso se développe. Le commerce marche bien, les constructions modernes poussent un peu partout : hôtels, bureaux, banques. Le PIB va croissant et les disparités aussi ; la pauvreté demeure malheureusement.

La place privilégiée de la France dans le domaine économique et diplomatique évolue, avec la mondialisation que de jeunes africains compétent et dynamiques savent intégrer.

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