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Fulgence Abdou Tanga Kaboré,Observateur à la présidentielle tchadienne : "Le problème du Tchad, c’est le pétrole"

Publié le lundi 22 mai 2006 à 08h29min

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L’élection présidentielle tchadienne s’est tenue, contre vents et marées, le 3 mai dernier. La menace des rebelles et les protestations des partis politiques de l’opposition n’ont pas eu raison de la détermination du président Idriss Déby de faire prévaloir ce qu’il considère comme étant la légalité.

Le Secrétaire permanent de la Fédération panafricaine des associations et clubs de l’Union afriaine, Fulgence Abdou Tanga Kaboré, a été le rapporteur d’un collectif de 81 observateurs. Il fait ici le point de la situation et tire des leçons susceptibles d’intéresser le processus démocratique burkinabè.

"Le Pays" : Quels constats particuliers avez-vous faits pendant le scrutin ?

Fulgence Kaboré : Le premier constat à notre arrivée, c’est que le pays était sécurisé. Nous n’avons vu de traces de rebelles nulle part. Le scrutin s’est bien déroulé. Certes, certains partis ont appelé au boycott mais dans l’ensemble, l’élection s’est tenue dans le calme, la transparence et la sérénité.

Certains observateurs notent une faible participation des populations. Etes-vous de cet avis ?

Ce n’est pas tout à fait la réalité. A N’djamena par exemple, le mot d’ordre de boycott a été respecté dans certains quartiers ; dans d’autres par contre, les populations sont sorties nombreuses pour voter. Nous avons formé un collectif de 81 observateurs dont j’étais le rapporteur général. Nous nous sommes déployés dans les dix grandes régions du Tchad. Nous avons visité dix bureaux de vote par observateur. Nous estimons le taux de participation entre 69 et 70 %.

L’opposition a appelé ses militants à boycotter le scrutin à cause de "problèmes graves" liés, entre autres, au fichier électoral. La tenue de cette élection ne légitime-t-elle pas de ce fait une dictature en gestation ?

Il est difficile de répondre à une telle question. Nous avions pour rôle de nous assurer que les conditions d’une élection libre et transparente étaient réunies. Cependant, s’il n’y a pas eu consensus au sein de la classe politique, de sorte que certains partis appellent au boycott, et que les rebelles perturbent le climat socio-politique, nous ne pouvons que regretter cet état de faits. Nous avons constaté que le Tchad, en toute souveraineté, a maintenu l’élection.

Les autorités ont signifié que passée la date du 3 mai, le pays entrait dans une période de vide constitutionnel. Cela risquait d’être préjudiciable à la paix sociale. Le cas de la Côte d’Ivoire est, à ce sujet, assez illustratif. Nous devions, nous, observateurs, nous assurer qu’à la date du 3 mai, les conditions sont réunies pour que la compétition se passe conformément aux normes onusiennes d’organisation des élections. Et c’est ce que nous avons constaté sur le terrain. Est-ce une dictature en gestation ?

Je pense qu’il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Laissons Idriss Déby faire ses pas et nous verrons s’il est sur la voie de la dictature ou sur celle de la pacification du pays et du développement qu’il a si bien entrepris. Il est l’un des principaux acteurs qui ont fait jaillir le pétrole tchadien. Il faut que les Africains se classent du côté de la paix. Dans ce contexte, fallait-il laisser les rebelles s’affronter avec les militaires tchadiens et que cela entraîne des massacres ? Je dis non. Il fallait que la France intervienne comme elle l’a du reste fait.

Si les rebelles sont intervenus, c’est fort probablement parce que le système démocratique est verrouillé...

Les rebelles qui gesticulent actuellement n’ont aucune crédibilité. Certes, le président avait eu cette mauvaise option de s’entourer des membres de son ethnie, mais face à la nécessité de la bonne gouvernance, il a voulu faire participer tous les Tchadiens à l’effort de construction et à la redistribution de la manne pétrolière. Certains ont alors vu leurs privilèges s’amenuiser ; ils sont donc entrés en rébellion. En fait, le problème du Tchad, c’est le pétrole. Mais cette rébellion, à mon avis, n’est porteuse d’aucun idéal, d’aucune cause. C’est une rébellion à la solde de puissances étrangères qui n’ont pas pu avoir leur part dans le partage du pétrole tchadien. Le Soudan est mis à l’index ; c’est clair, c’est indéniable. Avant la récente rébellion, il y avait d’autres dont l’action, à mon avis, était légitime car elles plaidaient pour des causes justes, notamment l’unité entre les nordistes qui ont le pouvoir et les sudistes qui ont le savoir mais qui sont mis à la touche. Une telle démarche est acceptable. Idriss Déby devrait davantage négocier avec ces rebelles.

Quelle est, selon vous, la part de responsabilité d’Idriss Déby dans la crise actuelle ?

Je ne le dédouane pas ; il a souvent sa part de responsabilité. Mais force est de reconnaître que le Tchad était un pays déchiré par la guerre. Mais quand Déby est arrivé au pouvoir en 1990, il a pu pacifier des zones et instaurer une relative paix dans le pays. En plus de cela, le Tchad a enclenché un processus démocratique. Aujourd’hui, il est à sa troisième consultation présidentielle. Certes, tout n’est pas rose mais il faut que la classe politique s’accorde sur l’essentiel. L’alternance ne doit pas se faire par les armes.

La classe politique, pourtant non armée, aspire aussi au pouvoir. Mais Idriss Déby semble avoir verrouillé la voie démocratique. Comment dans un tel contexte, le pays peut-il rompre avec cette crise qui le tenaille ? rCertains leaders politiques n’ont pas hésité à bénir la rébellion. Or, en démocrates convaincus et sincères, ces opposants se devaient de condamner toute prise du pouvoir par la force. Et exiger par la suite au gouvernement, des négociations susceptibles d’aboutir à des élections transparentes et ouvertes à tous. Mais ça n’a pas été le cas. Certains ont été téléguidés de l’extérieur du pays, notamment par des puissances qui veulent contrôler le pétrole tchadien et de façon générale, les ressources naturelles des pays africains. C’est dommage. On ne peut pas négocier avec de telles marionnettes.

Quelles leçons peut-on tirer de la présidentielle tchadienne, susceptibles d’apporter de la sève nourricière à la démocratie burkinabè ?

Le processus démocratique au Burkina Faso est beaucoup plus en avance qu’au Tchad. ependant, toutes les dispositions ont été prises pour que les élections puissent se tenir. Mais les isoloirs, souvent mal faits, ne permettaient pas aux citoyens de voter de façon intime. Il y avait un manque d’infrastructures susceptibles de servir de bureaux de vote. Cela peut être corrigé à l’avenir. Deuxième leçon : les Tchadiens vivant à l’extérieur du pays, environ 400 mille personnes, avaient la possibilité de voter. Ce qui n’est pas le cas au Burkina, bien que nous ayions un nombre important de compatriotes à l’étranger. En outre, au Tchad, les populations nomades ont pu voter sans problème. Leur vote a été décalé de trois jours pour leur permettre d’exprimer sans problème leur choix. Le Burkina devrait y songer. Nous devons faire en sorte que dans notre pays, plus jamais un citoyen en âge de voter ne soit privé de son devoir civique.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK

Le Pays

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