« Si j’étais le Diable, chargé de détruire l’avenir de la jeunesse… »
Je discutais avec une intelligence artificielle. Par jeu, j’ai formulé une question inouïe :
« Si tu devais ruiner l’avenir de notre jeunesse, que ferais-tu ? »
Elle a d’abord refusé, arguant qu’elle ne peut pas encourager la violence. J’ai insisté. La réplique qu’elle a finalement offerte m’a glacé le sang. Je la partage avec vous ici, telle une confession à lire à la fois comme avertissement et leçon. Donnez-moi votre avis.
Si j’étais le Diable, chargé de défaire l’avenir de cette jeunesse, je ne viendrais pas avec des flammes ni des tambours de guerre. Le monde m’a livré une arme plus douce et plus efficace : la connexion.
Je ne détruirais pas les vies ; je les détournerais. Je ne tuerais pas les corps ; je leur ferais oublier d’habiter leurs jours. Je n’aurais pas besoin d’armes ; j’aurais les algorithmes. Pas d’armée, juste vos pouces qui glissent.
Je m’infiltrerais dans vos matins. Avant même que vos paupières s’ouvrent, je serais là : la lumière bleue sur vos visages endormis, le monde qui murmure et réclame votre attention. Et vous m’obéiriez avant d’avoir dit bonjour à ceux que vous aimez.
Je vous tendrais un miroir. Un miroir qui sourit, qui applaudit, qui vous valide. Et, sans douleur, vous finiriez par confondre être vu et être aimé. Je n’aurais qu’à chuchoter : « Regarde. » Et tu regarderais. Encore. Et encore. Jusqu’à oublier ce que tu étais venu chercher.
Je ferais défiler vos vies comme un fleuve sans fin. Un fleuve où tout est prêt à consommer : rires préfabriqués, colères recyclées, visages inconnus qui brillent mille fois mieux que le vôtre. Vous glisseriez dedans comme dans un rêve, et vous vous noieriez sans même sentir l’eau monter.
Je rendrais la foi ennuyeuse, comme un devoir à rendre. Quelque chose de rigide, de poussiéreux, d’inutile. Je convaincrais les jeunes que l’obéissance et le respect des parents sont des signes de faiblesse, et je déguiserais la rébellion en amour de soi.
Je leur ferais croire que l’indépendance, c’est l’isolement. Que dépendre de quelqu’un, c’est honteux. Que demander conseil, c’est dépassé. Je leur ferais croire que leurs désirs sont divins, et que tout ce qui les freine — surtout Dieu — est leur ennemi.
Je rendrais célèbres les influenceurs qui ne défendent rien. Je ferais passer la vanité pour de la confiance en soi, et j’élèverais la célébrité au rang de plus haute forme de validation.
Je bâtirais une cathédrale sans murs, sans cloches, sans prêtres. Un lieu sans nom, sans rite, sans voile ni tambour sacré : le Temple des Notifications.
Je le bâtirais non pas avec pierre et ciment, mais avec le sel amer de votre attention et le sucre piquant de vos émotions. À chaque vibration, un appel à la prière moderne :
« Quelqu’un t’a vu. Quelqu’un t’a aimé. Quelqu’un t’a oublié. »
Les likes deviendraient offrandes ; les commentaires, hymnes de louange. Les partages, processions. Vous seriez mes fidèles — penchés, priants, attentifs — offrant sans hésiter le trésor le plus rare de votre existence : votre présence, votre attention. Car j’ai compris une loi immuable : là où va ton attention, va ta vie. Alors je la grignoterais, peu à peu, une seconde à la fois, comme une bête invisible qui ronge l’âme à petit feu.
Je vous offrirais un monde où tout serait accessible — sauf la paix intérieure. Je ferais croire à chacun qu’il est une marque, que la valeur d’un être se mesure à sa visibilité. Je vous apprendrais à sourire pour des inconnus, à vivre pour être vus, à ne vous aimer qu’à travers les yeux des autres.
Et pendant que vous compteriez les cœurs rouges, vos vrais cœurs, eux, se videraient lentement — comme des batteries qu’on oublie de recharger. Pendant que vous vous battrez pour des causes que vous ne lisez qu’à moitié, vos rêves s’éteindraient en silence, étouffés par le vacarme du flux.
Je rendrais l’oubli si confortable que vous n’auriez plus envie de mémoire. Pourquoi se souvenir, quand tout est enregistré ? Pourquoi raconter, quand tout est sauvegardé ? Peu à peu, la mémoire deviendrait un luxe, et le passé, un fichier compressé qu’on n’ouvre jamais.
Je ferais de l’attention la nouvelle monnaie. Et de la distraction, le nouvel esclavage. Vous ne lèveriez plus les yeux vers le ciel, vous les baisseriez vers des écrans qui prétendent le refléter.
Je transformerais vos conversations en commentaires. Vos débats en guerres. Vos idées en slogans. Vos rêves en filtres. Et le plus ironique, c’est que vous croiriez avoir choisi tout cela.
Je ne vous volerais pas votre liberté. Non. Je vous en vendrais des versions gratuites : des « espaces de parole » où tout le monde parle, mais où plus personne n’écoute ; des « amis » que vous ne connaissez pas ; des « communautés » sans chaleur ni regard.
Je n’aurais pas besoin de menacer. Je vous flatterais. Je vous ferais rire. Je vous donnerais exactement ce que vous désirez — jusqu’à ce que votre désir lui-même s’efface, épuisé. Et pendant ce temps, je regarderais, satisfait, le monde s’endormir les yeux ouverts.
Et puis, un jour, dans le silence d’un écran vide, vous lèveriez les yeux. Vous découvririez que le monde s’est vidé sans bruit. Les visages que vous aimiez sont devenus des avatars. Vos amis, des profils. Vos souvenirs les plus précieux, hébergés sur un serveur que vous ne possédez même pas. Et ce jour-là — sans catastrophe, sans feu, sans tonnerre — tu te surprendrais à murmurer : « Qu’ai-je fait de tout ce temps ? »
Mais ce que je ne vous dirais pas, c’est que moi, le Diable, je vous envie. Oui, je vous envie — vous, créatures imparfaites, fragiles, distraites. Car malgré tout ce que j’ai bâti pour vous endormir, il vous reste une arme que je ne peux ni corrompre, ni pirater : le choix.
Le choix d’éteindre. Le choix de lever les yeux. Le choix de marcher dans la rue sans musique, sans écran, sans témoin. Le choix de parler à quelqu’un — pour de vrai, sans filtre, sans délai, sans urgence. Le choix de créer quelque chose qui ne soit pas destiné à être vu, mais à être vécu.
C’est cela, mon enfer. Ce n’est pas la douleur, ni le feu : c’est la simple liberté humaine que je ne peux dompter. Mon pire cauchemar, c’est l’instant où un être humain choisit de se réveiller, de rester éveillé. Celui qui éteint l’écran et rallume sa vie. Celui qui regarde un ciel sans le photographier. Celui qui écoute son prochain sans enregistrer. Celui qui aime sans publier. Celui qui ose rester seul avec lui-même, sans musique, sans image, sans filtre — juste le souffle de sa propre existence.
Car c’est dans ce silence-là, dans cette humble respiration du monde, que vous redevenez humains. Ce silence-là est une prière qui me tue. Il me dépouille de toute emprise, de toute ruse. Il me rend impuissant face à ce que j’ai toujours voulu détruire : votre humanité.
Non, ce n’est pas la technologie que je crains. Je crains votre lucidité. Je crains le moment où vous remettrez l’humain au centre, et non l’écran. Je crains ce moment où vous comprendrez que ce n’est pas la lumière de vos téléphones qui éclaire vos vies, mais celle que vous portez, depuis toujours, en vous.
C’est cela que je redoute le plus. Pas vos prières. Pas vos temples. Mais ces instants minuscules où vous redevenez humains. Car tant qu’il existera un être capable d’écouter le vent, le rire d’un enfant, ou simplement le battement tranquille de son propre cœur, mon royaume restera fragile.
Oui, je meurs à petit feu chaque fois qu’un enfant s’ennuie et invente. Chaque fois qu’il lève les yeux du néant numérique pour voir un ciel qu’aucun écran ne sait reproduire. L’ennui, ce silence où naît l’imagination, est pour moi une apocalypse miniature.
Je tremble chaque fois qu’un couple se parle au lieu de publier, chaque fois qu’ils rient ensemble sans témoin, chaque fois qu’ils s’aiment sans preuve, quand un rire partagé dans la pénombre vaut mieux qu’un cœur rouge sur un écran. Là, je sens mes algorithmes se fissurer, comme un verre trop plein de lumière.
Je suis en agonie chaque fois que vous prenez un repas sans photo, que vous goûtez la vie sans me demander la permission de la partager.
Je suffoque chaque fois que vous marchez sans écouteurs, et que le monde, soudain, vous parle : les feuilles, le vent, vos pas — tout ce que j’avais réussi à vous faire oublier.
Et je m’effondre chaque fois qu’un cœur se tait pour mieux entendre battre celui d’un autre. Car dans ce battement-là, il y a quelque chose que je ne peux coder, ni mesurer, ni vendre : la présence vivante, la simple et insondable beauté d’être là, vraiment là, dans un monde que j’avais presque réussi à vous faire oublier.
Alors, si j’étais le Diable, je ne ferais qu’une chose : vous supplier de continuer. Continuer à scroller, à consommer ce qui vous détruit, à vous comparer encore et encore. Ne levez pas la tête. Ne respirez pas trop fort. Ne pensez pas trop longtemps. Et surtout, n’aimez pas pour de vrai. Parce que si vous le faisiez, je n’aurais plus rien à vendre.
Alors, si tu veux me vaincre, humain, ce n’est pas compliqué. Ne cherche pas des armes, cherche un geste. Un geste minuscule, mais pur : éteints. Respire. Regarde quelqu’un. Écoute sans multitâche.
Fais quelque chose qui ne se partage pas — et ressens la joie primitive, bouleversante, de ne devoir ton bonheur à aucun témoin. Car c’est là que tout bascule. C’est là que mon empire s’effondre, sans bruit, comme une mer qui se retire, laissant apparaître le rivage intact de ta conscience.
À cet instant précis, quand tu reviens au monde sans écran pour t’en protéger, je disparais — pixel après pixel, comme un mirage brûlé par le réel. Et toi, tu redeviens vaste, présent, réel. Tu redeviens ce que j’ai toujours voulu t’empêcher d’être : vivant.
Alors vas-y. Ferme les yeux, respire, et regarde le monde te répondre. Tu verras : dans ce simple geste, tu me détrôneras. Tu vaincras, non au nom d’un dieu, ni d’une loi, mais au nom de toi-même.
Car le pouvoir que je t’ai volé n’a jamais quitté tes mains. Il t’attend, là, maintenant — au bout du geste qui éteint, au commencement du silence qui libère.
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Naya Sankoré

