Tourisme : « Nous avons passé le temps à aller chez les autres. Il est temps d’aller à la connaissance de nous-mêmes », conseille Adama Siguiré
"Tourisme et intégration des peuples du Sahel" est le thème de la 15e édition du Salon international du tourisme et de l’hôtellerie de Ouagadougou (SITHO). Après la cérémonie d’ouverture qui s’est tenue ce vendredi 26 septembre 2025 sous la présidence du Premier ministre, Rimtalba Jean Emmanuel Ouédraogo, représenté par le ministre d’Etat, ministre en charge de l’agriculture, commandant Ismaël Sombié, la conférence inaugurale assurée par le vice-président chargé du développement de la commission nationale de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), Adama Siguiré, a plongé les participants dans le bain de l’événement. C’était dans la matinée de ce vendredi 26 septembre 2025.
Pris dans un sens littéraire, le tourisme renvoie aux voyages et aux visites, avec pour objectif de se faire plaisir. "Ça c’est la définition que l’on peut retrouver dans un quelconque dictionnaire", a d’entrée de jeu planté comme decor, le conférencier. Mais dans nos contrées, le tourisme a toujours été vu comme une activité réservées aux riches, aux personnes les plus nanties. "On ne concevait pas le tourisme comme étant le fait d’aller sur un site touristique à proprement parler, mais on le voyait comme le fait de prendre l’avion, en tout cas, d’aller à l’extérieur, quitter son pays", a laissé entendre le vice-président chargé du développement de la commission nationale de l’AES.
Cette appréhension, bien que toujours ancrée dans les consciences populaires, est la conception néocolonialiste, sinon impérialiste, de ce qu’est le tourisme ; celle-là même qu’il faut combattre pour permettre à la population de s’intéresser à ce qu’elle a sous ses yeux. "Avec l’avènement de la Revolution progressiste populaire (RPP), autrement, depuis l’arrivée du capitaine Ibrahim Traoré, c’est la nouvelle donne qui est amorcée par les autorités locales", a-t-il annoncé. Le tourisme est ou doit désormais être vu sous plusieurs angles. "Ce n’est pas seulement aller en Europe. Ce n’est pas seulement visiter la Tour Eiffel. C’est d’abord une découverte sociologique", a-t-il indiqué.
Cette découverte sociologique, doit être subséquente à une rupture épistémologique. "Le blanc nous a trop eu. Il a finit par nous faire croire que sa culture est supérieure... Il y a des gens qui n’ont jamais visité les régions du Burkina, mais qui sont fiers de dire qu’ils ont fait le tour de l’Europe et ont visité une dizaine de villes... Quand les blancs viennent ici, c’est forcément pour quelque chose. L’africain se balade en Europe pour rien, simplement parce qu’il a su faire des économies... Avant quand tu partais dans un hôtel et que tu demandes du tô ou du zamnê, on va te dire que tu n’es pas arrivé ou que tu es un gaou... Etant jeune, on avait tous nos cahiers de rêve. Mais personne ne rêvait du Burkina. Tous nos rêves, c’était l’Europe" a-t-il ressassé.
Pour lui, aller à la rencontre de ceux qui sont proches de nous est la meilleure manière de nous accepter nous-mêmes, de rejeter le deni ou le mépris que l’on semble avoir pour soi-même. "Les peuples doivent s’intéresser au tourisme, comme vecteur d’identité, comme source de rencontres, comme marque même de nos peuples... Le tourisme peut être un véritable facteur sociologique d’intégration. Le tourisme, c’est découvrir l’autre, le decouvrir dans sa différence, le découvrir dans sa sociologie, le découvrir dans sa manière de vivre dans son espace... En venant ici, les gens se rendent comptent que c’est parce qu’on était loin qu’on pensait qu’il y avait de grandes différences. Sinon, on a la même culture sociologique", a-t-il confié.
Toutefois, nuance-t-il : la culture sociologique est différente de la culture anthropologique. Et là aussi, l’on peut, poursuit-il, apprendre à mieux se connaître car la manière de célébrer les mariages, les funérailles, etc. est différente. "En acceptant l’autre, on s’accepte mieux dans son identité... Et ces différences ne doivent pas constituer des limites. En visitant les stands maliens et nigériens, on se rend compte que nous avons des éléments sociologiques communs. Et plus vous avez des critères communs, plus vous avez la chance de construire quelque chose de viable... Mais pour cela, il faut aller à la rencontre de l’autre. Nous avons passé le temps à aller chez les autres. Il est temps d’aller à la connaissance de nous-mêmes, de parler de nous-mêmes. C’est une obligation, un devoir" a-t-il fait savoir.
Vu sous un autre angle, Adama Siguiré perçoit le tourisme comme une véritable opportunité de développement économique. Et pour aborder ce volet, quelques questions lui pendent au bout des lèvres : "Quand vous allez visiter les autres pays en Europe, économiquement qui gagne ? Comment comprendre que des gens qui n’ont pas assez d’argent soient fiers d’aller visiter ceux qui sont plus riches qu’eux, alors qu’ils ont la possibilité de créer cette richesse là, chez eux ? Ne dit-on pas que l’enfant intelligent est celui qui achète les beignets de sa mère ?" Pour M.Siguiré, ce levier économique qu’est le tourisme est nécessaire, d’une part, pour permettre aux acteurs de ce secteur de vivre convenablement. Il parle là, des acteurs qui œuvrent dans l’hôtellerie, les restaurants, les guides touristiques, etc. D’autre part, pour permettre à l’Etat d’engranger des revenus.
Son exhortation au terme de sa communication longue d’un peu plus de trente minutes, a été de communiquer autour des actions menées par les institutions en charge du tourisme, pour que les terres de l’AES soient aussi attractives. "Il y a des pays qui ont su se développer sur la base du tourisme. On a beaucoup de sites touristiques. Mais ceux qui y travaillent, gagnent ils suffisamment ? ... Certains sont capables de payer 200 ou 400 euros à l’extérieur pour du tourisme, alors que débourser 1000 ou 2000 francs CFA au Pic de Sindou paraissent chers à leurs yeux" a-t-il déploré, avant de conclure en ces termes : "Il faut promouvoir nos sites touristiques. Si nous le faisons chez nous, il se peut que des gens quittent l’Amérique, la Suisse, ... ailleurs de manière générale, pour venir chez nous, dormir dans nos hôtels et visiter ce que nous avons de beau à offrir... C’est nous tous qui en profiterons".
Erwan Compaoré
Lefaso.net



