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Axe Washington-Tripoli : Réalisme économique

Publié le mercredi 17 mai 2006 à 08h04min

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Après des relations extrêmement tendues, tumultueuses et orageuses, qui finirent par la suite par faire place à plus ou moins des rapports de concubinage, on est aujourd’hui à la phase de normalisation complète entre Washington et Tripoli. Désormais, les conjoints américain et libyen savourent les délices d’une lune de miel pompeusement célébrée.

Au terme d’un rapprochement graduel, les Etats-Unis rouvriront leur ambassade à Tripoli - incendiée en 1979 par une foule de manifestants et fermée une année plus tard -, et retireront la Libye de leur liste des Etats soutenant le terrorisme. Comme quoi, c’est aux Américains seuls qu’il revient le droit de dire qui est terroriste et qui ne l’est pas, ou ne l’est plus. Autre bonne nouvelle pour le Guide libyen, son pays sera retiré de la liste annuelle des Etats qui ne coopèrent pas complètement avec les efforts antiterroristes des Etats-Unis.

C’est dire qu’entre les deux capitales, une nouvelle page s’ouvre, mais comme on l’imagine, dans l’intérêt bien compris des deux partenaires. Isolée depuis plus d’une décennie sur la scène internationale, la Libye voulait se refaire une virginité dans le but affiché de réintégrer le concert des Nations. C’est désormais chose faite. Une remise en selle qui n’est sans doute pas étrangère à la décision de Tripoli de renoncer au terrorisme ainsi qu’au programme d’armes de destruction massive.

Mais aussi au fait que, quelques mois plus tard, elle autorisait des visites inopinées des inspecteurs de l’ONU. En plus de ces faits, il y eut probablement aussi son accord pour l’indemnisation des familles des victimes de l’attentat de Lockerbie et la reconnaissance de sa responsabilité par Tripoli.

La voie à une nouvelle phase dans leurs relations ayant été ainsi tracée, les deux Etats peuvent jubiler. Même si, en toute logique, les Etats-Unis n’avaient plus de raison valable d’en vouloir au Bédouin maghrébin, lui qui a jusque-là manifesté des signes de bonne volonté, il reste que Tripoli parvient à ses fins, moins parce qu’elle a fait des concessions de taille que parce que la nouvelle mariée de Tripoli suscite bien des convoitises, assaillie qu’elle est par de nombreux prétendants étrangers. Des courtisans dont les regards sont attirés par les immenses réserves pétrolières dont regorge la dulcinée.

Comme on le sait, la Libye, pays dont l’économie repose presque exclusivement sur l’exploitation pétrolière, est l’un des Etats les plus riches d’Afrique. Le prétendant américain de l’époque ne supporterait pas de laisser la proie aux seuls marchands européens. Il est clair qu’un mariage de raison laisserait entrevoir une coopération économique fructueuse et juteuse entre les deux Etats.

D’autant plus que les compagnies pétrolières américaines auraient fait campagne pour une amélioration des relations, dans l’espoir de pouvoir travailler dans ce pays qui, selon quelques investisseurs, n’a pas encore exploité tout son potentiel pétrolier. En réalité, les Etats-Unis supportaient mal d’être en marge de cette ruée vers l’or noir libyen, de très bonne qualité à ce qu’on dit. Ce serait, pour eux, s’isoler eux-mêmes.

On a souvenance que des pays européens comme la France, l’Italie, l’Espagne ou le Royaume-Uni n’avaient pas attendu le signal de la Libye, qui ferait accourir la meute des courtisans, une fois qu’elle sortait petit à petit la tête de la saumâtre eau de l’isolement, pour rapidement entreprendre un rapprochement avec cet Etat, sur fond de calculs mercantiles, de perspectives de marchés juteux. En 2004, c’était José Maria Aznar, l’ex-président du gouvernement espagnol, qui foulait le sol libyen, suivi de Tony Blair, Premier ministre britannique. Le président Chirac s’est lui aussi rendu dans ce pays en novembre 2004. Dieu seul sait combien de contrats ces dirigeants occidentaux ont signés.

Quoi qu’il en soit, on peut se demander si la volte-face politique du "chien enragé du Proche-Orient" est réelle ou feinte, si elle est passagère ou permanente. Le bouillant personnage s’est-il réellement assagi ? Ses déclarations à l’emporte-pièce, ses récentes sorties aux antipodes des principes démocratiques font-elles de ce dirigeant, dont le passé a été jalonné de contradictions, de revirements et d’ingérences dans les affaires de certains Etats, un partenaire sûr, fiable et fréquentable ? Avait-il donné la preuve matérielle qu’il n’avait pas personnellement été impliqué dans certains actes terroristes dont on l’accusait ?

Quelle garantie ce personnage imprévisible, hier diabolisé, aujourd’hui adulé, donne-t-il quant à sa volonté réelle de renoncer au terrorisme, si tant est qu’il est terroriste ? Sur toutes ces préoccupations, les Etats-Unis semblent avoir passé l’éponge. Comme quoi, seul l’aspect économique dicte ses lois dans les nouveaux rapports que les Etats-Unis entretiennent avec des Etats qu’ils vouaient jadis aux gémonies. Ce n’est rien d’autre que du réalisme économique.

Le Pays

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