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Mahamady Sangla ingénieur d’exploitation chez Google LLC : « Il est urgent de créer une base de données nationale des talents de la diaspora »

Publié le mercredi 10 septembre 2025 à 14h30min

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Mahamady Sangla ingénieur d’exploitation chez Google LLC : « Il est urgent de créer une base de données nationale des talents de la diaspora »

De Ouagadougou aux couloirs de Google, en passant par son message au président Ibrahim Traoré et ses propositions capables de propulser le Burkina au rang des nations souveraines et respectées, voici un entretien qui ne laisse personne indifférent. Dans cette exclusivité, Mahamady Sangla - ingénieur de haut niveau, stratège tech et membre influent de la diaspora burkinabè à Taïwan - partage bien plus qu’un parcours. Entre anecdotes saisissantes, réflexions tirées de son expérience en Asie et propositions audacieuses pour l’avenir, il dévoile une vision. Un cri d’alerte. Une série de pistes concrètes qui allient la rigueur de l’ingénieur à la lucidité du patriote.

Lefaso.net : Pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous vous présenter et nous raconter un peu votre parcours ?

Mahamady Sangla : Je suis ingénieur d’exploitation chez Google LLC, basé dans l’un des datacenters les plus stratégiques de la firme à Taïwan. Mon rôle oscille entre la rigueur de l’ingénierie et la vision stratégique : je déploie, je maintiens, et j’optimise les infrastructures critiques tels que les serveurs, les réseaux, les opérations data center.

Et plus récemment, je travaille aussi sur des projets liés à l’intelligence artificielle générative, ce nouveau continent de l’innovation que nous commençons à peine à cartographier.

Mais pour bien comprendre mon chemin, il faut revenir un peu en arrière. Je suis arrivé à Taïwan en 2011, grâce à une bourse d’excellence du ministère des Affaires étrangères taïwanais (MOFA) - un programme de coopération qui, à l’époque, permettait à de jeunes étudiants africains d’accéder à une formation de très haut niveau dans des universités d’élite taïwanaises.

Avant cela, j’avais déjà posé les fondations au Burkina Faso. Une licence en physique, puis une maîtrise en physique appliquée à l’université de Ouagadougou (aujourd’hui université Joseph Ki-Zerbo), où j’ai appris à raisonner avec rigueur, à chercher la clarté dans la complexité et à me tenir debout dans un environnement académique exigeant.

C’est sur ces bases que j’ai poursuivi un master en génie informatique et électrique à la National Chiao Tung University - l’une des meilleures universités de Taïwan, classée parmi les leaders en recherche technologique.
Ce que je suis aujourd’hui est le fruit de ces deux mondes : la discipline scientifique et l’endurance mentale forgées à Ouagadougou. L’exposition technologique avancée et la culture d’innovation vécues à Taïwan à côté d’étudiants internationaux venus de tous les horizons.

Qu’est-ce qui vous ramène au pays cette fois-ci ?

Revenir au Burkina, ce n’est jamais simplement une parenthèse dans mon agenda. C’est un besoin profond, un souffle, un retour aux sources.

Bien sûr, il y a la chaleur humaine. Il y a les retrouvailles, les rires partagés autour d’un poulet local bien flambé, les regards complices avec ceux qui m’ont vu grandir. Ces moments en famille ou entre amis sont irremplaçables parce qu’ils me recentrent et me rechargent.

Mais au-delà de l’émotion, ces visites sont aussi des moments stratégiques. D’abord, c’est une occasion de prendre et de garder le pouls du pays. Une occasion d’observer les dynamiques, d’écouter, de ressentir. Ce que je vis à l’extérieur ou dans les datacenters de Google me donne une perspective technologique globale, mais c’est ici, sur le terrain africain - et burkinabè en particulier - que je prends le vrai pouls du développement. Qu’est-ce qui bouge ? Qu’est-ce qui bloque ? Quels talents émergent ? Quelles idées germent ? Ce sont des questions que je me pose à chaque retour.

Ensuite, il faut dire que c’est une occasion pour semer. Je profite de chaque séjour pour identifier des opportunités concrètes : collaborer sur des projets technologiques, envisager des investissements, créer des ponts entre mon expérience internationale et les réalités locales. À chaque fois, je repars avec une idée plus claire de ce que je peux bâtir ici.

Enfin, je viens pour contribuer à notre souveraineté. Car je crois profondément que chaque Burkinabè de la diaspora a une responsabilité. Pas une pression, mais une opportunité historique. Mon parcours chez Google, mes compétences en IA et en gestion d’infrastructures critiques… tout cela n’a de valeur réelle que s’il peut être mis au service de quelque chose de plus grand que moi, c’est-à-dire mon pays, l’humanité.

Pour me résumer, je dirai tout simplement que revenir au pays, c’est pour moi une sorte de devoir. Je viens semer, connecter, transmettre, construire. Même en silence. Même petit à petit. Et puis entre nous, il y a une sagesse que mon père m’a transmise, et qui ne me quitte jamais : « Quand l’arbre donne des fruits à l’étranger, ses racines, elles, boivent toujours l’eau de la terre natale. »

Parlant justement de sagesse africaine, quelles valeurs vous ont été transmises par votre famille ou votre communauté, et qui continuent de vous guider aujourd’hui ?

Il y a effectivement des leçons qu’aucune école ne vous enseigne, mais que l’on porte en soi comme un héritage vivant. Pour moi, ces leçons viennent de ma famille, de mon village, de ces femmes et ces hommes que l’on ne verra jamais dans un TED Talk, mais dont la sagesse aurait mérité mille conférences. Je pourrais citer cinq valeurs qui guident mes actions de tous les jours :

D’abord, le sens de la responsabilité. Chez nous, on apprend très tôt que chaque action a une conséquence, et que ta parole est un engagement. Quand on te confie quelque chose — un outil, une mission, une promesse - tu en deviens le gardien. C’est cette mentalité qui me pousse, même chez Google, à agir comme si chaque serveur que je supervise m’avait été confié personnellement.

Ensuite, le respect. Pas le respect intéressé, mais celui qui considère chaque être humain comme porteur de dignité. Dans mon travail comme dans mes relations, je me rappelle toujours que l’autre n’est pas un obstacle ou un outil. C’est une personne, avec sa vie, ses défis, ses rêves.

Et puis, il y a la persévérance. Ce n’est pas juste “ne pas abandonner”. C’est continuer même quand personne ne regarde. Même quand tout semble contre toi. Quand nous étions étudiants à Taïwan, parfois perdus dans une langue que nous venions à peine d’apprendre, c’est cette persévérance - forgée dans la chaleur du Faso - qui nous a tenus debout. Et il y a beaucoup de nos compatriotes dont les parcours illustrent parfaitement ce que je dis. Parce qu’ils ont appris la langue chinoise en à peine une année et ils sont allés s’inscrire dans des programmes entièrement enseignés en mandarin. Et ils se sont brillamment illustrés en se classant parmi les meilleurs de leurs promotions.

Une autre valeur, c’est l’amour du travail bien fait. Mon père disait toujours : « Fais les choses comme si c’était ton nom qu’on allait afficher dessus. » Aujourd’hui, chaque ligne de code, chaque document que je rédige, chaque réunion à laquelle je participe, je les aborde avec ce souci du détail.

Enfin, l’amour du prochain. Ce n’est pas une valeur naïve. C’est plutôt une force. Aider, écouter, soutenir, encourager, c’est ça qui fait de nous des êtres humains. Vous savez que dans notre tradition, la réussite individuelle n’a de sens que si elle élève la communauté. Et cela se sent à travers nos proverbes et même les prénoms que nous portons. Mon père par exemple portait un nom prophétique qui est « Manegrenoma ». En mooré ça signifie “le bienfait est doux”. Il appliquait ce principe quotidiennement, transformant chaque ressource en opportunité pour les autres. Et il nous le répétait souvent : « l’excellence n’est pas négociable, et le partage n’est pas optionnel. »

Ce sont ces racines invisibles, mais profondes, qui me portent encore aujourd’hui. Et même en vivant à des milliers de kilomètres du Burkina Faso, elles sont là en moi, comme un GPS moral. Comme une boussole silencieuse.

Avez-vous toujours rêvé de travailler dans la tech ? Ou ce chemin s’est-il dessiné progressivement ?

J’ai toujours été attiré par les sciences, bien avant même de savoir ce que “travailler dans la tech” voulait réellement dire.

Au lycée, j’étais ce garçon qui se sentait vivant au contact des chiffres. J’étais fasciné par les équations, stimulé par les mystères de la physique. C’est donc naturellement que j’ai opté pour la série C après le BEPC, et plus tard pour un parcours universitaire en MPI : Mathématiques, Physique, Informatique.

Mais soyons honnêtes (et ceux de ma génération comprendront) : à l’époque, le “I” de MPI - l’Informatique - était souvent une lettre muette. Invisible. Imaginaire. (Rires.) On parlait beaucoup plus d’intégrales que d’algorithmes. L’accès aux vraies compétences tech était encore limité au Burkina, du moins dans les cursus classiques.

Mais malgré cela, l’étincelle était là. Une curiosité insatiable. Une envie de comprendre comment fonctionnent les choses derrière l’écran. Et surtout, une passion nourrie par les rares opportunités qu’on arrivait à saisir.

J’étais un rêveur. Mais pas un rêveur passif. Je bossais dur. Très dur. Parce qu’à l’université, si tu voulais toucher de près ce monde des sciences appliquées et de la tech, tu devais être dans le haut du classement. Pas pour l’ego, mais pour espérer accéder à des bourses, des stages, des ouvertures. Plus tard, on apprenait à coder entre deux cours de physique quantique. On partageait des CD d’installation comme des trésors. On lisait des PDF téléchargés sur des connexions lentes comme des livres sacrés (rires).

Donc non, je n’ai pas “toujours su” que je finirais dans la tech. Mais j’ai toujours su que je voulais bâtir, comprendre, explorer. Et progressivement, la tech s’est imposée comme l’outil naturel pour y arriver.

Quel a été votre premier grand déclic scolaire ? Le moment où vous vous êtes dit : « Je veux étudier à l’étranger » ?

Mon premier grand déclic ? Il est survenu en classe de première, à un moment où l’on commence à entrevoir le monde au-delà des murs du lycée.

C’était lors de séances d’orientation post-bac organisées dans notre établissement. Pour la première fois, j’ai entendu parler des universités non seulement nationales et sous-régionales, mais aussi de celles situées à l’international comme au Maroc, en Tunisie, au Canada, en France. Des établissements de renom, accessibles par le biais de bourses, dans des domaines aussi variés que l’informatique, l’architecture, la médecine, ou encore l’économie.

Ce fut comme si un rideau s’était levé : soudain, l’horizon s’élargissait. J’ai réalisé que mes efforts scolaires pouvaient devenir un passeport. Que l’excellence n’était pas une fin en soi, mais une clé ouvrant vers des possibles que je n’avais jamais osé envisager.

À cette époque, j’étais en lien avec plusieurs aînés qui avaient déjà pris ce chemin. Certains étaient en France, d’autres au Maghreb ou au Canada. Leurs récits étaient à la fois fascinants et mobilisateurs. Et au vu de mes résultats, ils m’ont dit, sans détour : « Toi aussi, tu peux. Tu dois essayer. »

J’en ai parlé avec mon père. Et fidèle à lui-même, il m’a simplement dit : « Si c’est ton rêve, fonce. Je suis avec toi. »

Ce soutien-là, inconditionnel et discret, a été pour moi un moteur silencieux. C’est ce jour-là que j’ai su que l’étranger n’était plus un mirage mais un objectif clair, atteignable, et digne de mes ambitions.

Quelles ont été les principales difficultés pour quitter le pays et poursuivre vos études ?

Disons que mes principales difficultés étaient d’ordre administratif. Parce qu’après le baccalauréat en 2006, il y a eu des troubles au secondaire (grèves des enseignants) qui ont affecté le calendrier des examens et nous avons reçu les résultats en retard. Une fois à Ouaga, toutes les échéances pour les dépôts de candidature pour les bourses à l’étranger étaient passées et, malgré la mention Bien obtenue au bac C, je n’ai pas pu candidater pour ces bourses-là. Je me suis contenté de la bourse nationale pour l’université de Ouagadougou.

J’étais un peu abattu mais pas découragé, et je me suis dit que ce n’était peut-être pas encore le moment (sûrement que Dieu avait un autre plan pour moi). J’ai continué à bosser dur à l’université pour être parmi les meilleurs et mettre les chances de mon côté pour d’autres éventuelles opportunités de bourse. On dit souvent que la chance sourit à ceux qui se préparent. Et je crois que ce n’est pas faux.

Car après le master, j’ai eu l’information concernant le programme de bourse du ministère des Affaires étrangères taïwanais (MOFA). À l’époque de la coopération avec Taïwan, le MOFA offrait chaque année des bourses aux étudiants burkinabè pour se former dans divers domaines, y compris des formations professionnelles.

J’étais déjà préparé mentalement et psychologiquement pour les études à l’extérieur. Je suis donc allé déposer mes dossiers de candidature. Au sortir de l’interview et de l’analyse des dossiers, j’ai été sélectionné. Et c’est ainsi que je suis parti pour Taïwan pour un programme de master.

Je voudrais au passage saluer Pr Abdoulaye Ouédraogo à l’époque responsable de la filière de maîtrise de physique appliquée MPA qui m’a soutenu et encouragé, ainsi que Pr Dieudonné Bathiébo, pour non seulement m’avoir tenu, mais aussi fourni les lettres de recommandation nécessaires à ma candidature. Et aussi je voudrais faire un clin d’œil ou saluer mes promos de MP 2006 et MPA 2010.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en arrivant à Taïwan ?

Beaucoup de choses. Je me souviens encore de mes premiers jours à Taïwan. Tout était nouveau. L’air, les visages, l’écriture sur les panneaux, la langue, la nourriture, même la façon de rire ! Tout semblait différent. Mais ce qui m’a le plus frappé n’était pas visible à l’œil nu. C’était l’esprit invisible qui gouvernait ce pays : une sorte d’intelligence collective incarnée. Je vous donne rapidement quelques chocs culturels qui m’ont bouleversé, dans le bon sens :

D’abord, la ponctualité est perçue comme acte de respect : là-bas, arriver à l’heure n’est pas un exploit. C’est la norme. Le bus arrive à 10h08 ? Il est là à 10h08. Un rendez-vous fixé à 14h00 ? On est déjà assis à 13h55.
Et ce n’est pas une question de rigidité. C’est une forme de respect profond pour le temps de l’autre. En Afrique, on dit souvent “on est ensemble”. À Taïwan, j’ai appris qu’être ensemble, c’est aussi honorer l’heure convenue.

Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il n’y a jamais de retard à Taïwan. Il y en a, parfois. Mais ce sont des exceptions. Rares. Tellement rares qu’elles surprennent davantage que le respect des délais.

Ensuite, il y a cette passion bouleversante du travail bien fait. J’ai vu des agents d’entretien nettoyer une bouche d’égout avec le soin d’un prêtre purifiant un autel. Des serveurs déposer un café avec la grâce millimétrée d’un chorégraphe. Des étudiants répéter leur exposé à minuit, pour une présentation qui ne durera que dix minutes. Et dans un service public, vous arrivez : on se lève pour vous accueillir, on vous parle avec un ton qui vous reconnaît d’abord comme un être humain, pas un simple numéro.

Ce n’est pas de la perfection. C’est du respect. De l’honneur. Un culte silencieux rendu à la dignité du travail, quel qu’il soit. Et j’avoue que c’est profondément touchant.

Je citerai aussi le civisme et le respect du bien commun : Là-bas, l’espace public n’appartient à personne, il appartient à tout le monde. Et ce qui appartient à tout le monde est sacré. Pas de déchets jetés au sol. Pas de motos en sens interdit. Pas de “ce n’est pas mon problème”. Chacun veille à ce que le système fonctionne, même sans surveillance. C’est une forme d’auto-discipline sociale, basée sur la confiance et la réciprocité.

Bien sûr, aucune société n’est exempte de problèmes. Mais à Taïwan, chacun fait l’effort - sincèrement, activement - de ne pas devenir l’origine du problème. Chacun veille à ne pas en faire partie. Les espaces publics sont propres. Les échanges sont fondés sur la confiance. Non pas parce que l’État surveille tout, mais parce que les citoyens se sentent personnellement responsables de la réussite collective.

C’est une conscience partagée, presque silencieuse, mais puissante : celle de faire partie d’un tout. Et c’est cette mentalité qui fait que certaines formes d’indiscipline, banales chez nous, y sont presque invisibles.
Et puis, il y a l’humilité qui accompagne la réussite. À Taïwan, l’humilité n’est pas vue comme une faiblesse, mais comme un signe de grandeur. Je me souviens d’un homme, assis à côté de moi dans un train. Tenue simple, ton chaleureux. Nous avons discuté comme deux inconnus ordinaires. Ce n’est qu’en arrivant à destination que j’ai appris qu’il était chercheur à l’Academia Sinica, l’une des institutions les plus prestigieuses du pays.

À l’université, tous mes professeurs faisaient la queue comme tout le monde au restaurant universitaire. Sans statut. Sans privilège. Au début, j’étais choqué. J’ai voulu leur payer le repas. Ils ont refusé. J’ai tenté de les laisser passer devant moi. Refus catégorique. Ici, on prend le rang là où il commence - que vous soyez professeur, ministre ou étudiant. Et si, par mégarde, vous essayez de forcer le passage, les regards autour de vous vous rappelleront - sans un mot - que vous venez de la jungle, pas d’une société civilisée.

Quel a été votre tout premier emploi ? Et comment l’avez-vous décroché ?

Mon tout premier emploi ? Je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais à peine terminé mon master que je décroche un poste de Field Application Engineer chez QNAP, une entreprise taïwanaise réputée dans le domaine du stockage de données. QNAP conçoit et commercialise des serveurs spécialisés - notamment des systèmes NAS (Network-Attached Storage) et SAN (Storage Area Network) - utilisés à travers le monde pour des besoins critiques tels que l’hébergement de sites, la sauvegarde de données, le cloud personnel ou professionnel.

Ce n’était pas le genre d’opportunité que l’on décroche par piston ou hasard. J’ai tout simplement candidaté via 104.com.tw, une plateforme locale de recrutement très populaire à Taïwan - l’équivalent taïwanais de Pôle Emploi ou LinkedIn Jobs.

Cette expérience m’a appris deux choses. Premièrement, l’information est un levier de transformation. Si je n’avais pas été curieux, proactif, et toujours à l’affût des bons canaux, je n’aurais jamais su que des entreprises internationales comme QNAP recrutaient sur des plateformes ouvertes aux étrangers.

Deuxièmement, il faut croire en la valeur de son parcours, même en terrain inconnu. J’étais un jeune diplômé burkinabè, fraîchement sorti de l’université, face à un marché du travail asiatique très compétitif. Mais mon profil - bien présenté, clair, honnête - a trouvé écho. Preuve que lorsqu’on travaille sérieusement, les frontières finissent par s’effacer.

Ce premier emploi fut un tremplin. Il m’a permis de transformer mes compétences académiques en expertise terrain, tout en découvrant les exigences concrètes du monde professionnel international.

Pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel, de ce premier poste jusqu’à votre entrée chez Google ? Quels ont été les moments-clés ?

Mon parcours professionnel n’a rien d’un long fleuve tranquille. C’est plutôt un sentier escarpé, balisé par la persévérance, la foi en mes compétences et une bonne dose de stratégie.

Après l’obtention de mon master en 2014, je me suis lancé dans ce que beaucoup redoutent : la chasse à l’emploi. J’ai postulé partout - aussi bien auprès d’entreprises locales qu’internationales, y compris Google. Et très vite, j’ai compris une chose : le marché de l’emploi à Taïwan et en Asie en général est une véritable “Champions League”. Les jeunes diplômés y sont extrêmement qualifiés. Et parfois, le choix final se joue à un cheveu : une compétence linguistique en plus (français, anglais), un projet de fin d’études un peu plus solide, une lettre de motivation mieux ciblée.

Ce que beaucoup ne disent pas assez c’est que lorsqu’on sort fraîchement diplômé, la barrière de l’expérience peut paraître infranchissable. Les grandes entreprises recherchent des profils déjà aguerris. Mais il existe une porte dérobée, que beaucoup négligent : les programmes de stage pour étudiants en fin de formation.

Ces stages ne sont pas de simples “occupations temporaires”. Ce sont des leviers d’intégration puissants. Ils permettent non seulement de mettre un pied dans des structures prestigieuses, mais aussi de démontrer ce que votre CV seul ne peut prouver : votre éthique de travail, votre capacité d’apprentissage rapide, votre esprit d’équipe.

Je n’avais pas d’expérience professionnelle dans le sens classique du terme. Mais j’avais de l’ambition, de la discipline, et un profil technique solide. Et ça, combiné à une vraie stratégie de positionnement (et une bonne maîtrise de la plateforme 104.com.tw), m’a permis de me démarquer petit à petit. J’ai osé postuler à des postes que certains jugeraient inaccessibles pour un “jeune africain tout juste diplômé.”

Le message que je retiens et que je partage volontiers, c’est ceci : Osez, postulez et croyez en la valeur de votre parcours. Préparez-vous comme si votre opportunité allait arriver demain. Et surtout, restez attentifs aux programmes de stages ou de “graduate training programs” car ce sont souvent eux qui ouvrent les plus belles portes.

Intégrer une entreprise de renommée mondiale comme Google, ce n’est jamais un hasard. Il faut forcément se démarquer dans un océan de talents. Selon vous, quelles sont les trois qualités ou atouts clés qui vous ont permis de sortir du lot et de convaincre les recruteurs ?

Vous avez raison. Intégrer une entreprise comme Google, c’est l’aboutissement d’un alignement méthodique entre votre savoir-faire, votre posture, et votre capacité à vous projeter dans les standards d’excellence internationaux. Si je devais résumer ce qui m’a permis de me démarquer dans cette mer de talents, je citerais quatre leviers fondamentaux :

1. Oser prendre des initiatives. Rien ne remplace le courage d’avancer sans attendre qu’on vous ouvre la porte. Je ne connaissais personne chez Google. Ce n’était pas “un ami d’ami” qui m’a recommandé. J’ai tout simplement osé postuler, bien préparé, avec la ferme conviction que mon profil pouvait être utile. Trop de gens se censurent eux-mêmes avant même de cliquer sur “Apply”.

2. Développer une expertise claire et ciblée. Google, comme beaucoup d’entreprises tech de haut niveau, ne cherche pas des généralistes “bons dans tout”. Elle cherche des gens excellents dans une chose précise. Il faut donc identifier votre domaine de force (cloud, machine learning, cybersécurité, etc.), s’y ancrer, y progresser et construire autour de cette expertise un positionnement cohérent.

3. Travailler son image professionnelle et son réseau. Votre CV, votre profil LinkedIn, votre GitHub, vos projets open source, vos publications… tout cela parle pour vous, parfois avant même que vous ne preniez la parole. Il faut apprendre à se raconter avec clarté et authenticité. Et surtout, entretenir un réseau, pas pour “profiter”, mais pour apprendre, échanger, et rester dans les radars.

4. Se préparer minutieusement aux entretiens. Beaucoup sous-estiment cette étape. Pourtant, c’est là que tout se joue. Aujourd’hui, l’IA générative peut être un allié redoutable pour simuler des entretiens, analyser vos réponses, vous faire travailler les “behavioral questions” à la méthode STAR (Situation, Task, Action, Result). Il n’y a plus d’excuse pour se présenter mal préparé.

En résumé, il ne suffit pas d’être bon. Il faut être visible, aligné et prêt. Mon conseil : Allez sur les sites carrières des entreprises qui vous inspirent. Étudiez les profils recherchés. Même si vous n’avez pas encore tous les critères, notez-les, et donnez-vous 6 mois, 1 an, 2 ans pour les acquérir. Les grandes boîtes ne cherchent pas des “candidats parfaits” aujourd’hui. Elles cherchent des profils qui seront prêts demain.
Et si vous voulez aller plus loin - comprendre les coulisses, les vraies habitudes à cultiver pour réussir une fois à l’intérieur, ce que personne ne vous dit sur la vie chez Google ou dans une Big Tech - n’hésitez pas à me contacter. Je suis toujours partant pour échanger, conseiller, ou orienter ceux qui ont cette soif d’aller plus loin.

Quelles sont, selon vous, les habitudes ou attitudes non négociables pour réussir à l’international ?

Réussir à l’international ne repose pas seulement sur les diplômes ou les compétences techniques. C’est un état d’esprit. Un jeu d’équilibre entre ce que vous savez faire et comment vous choisissez d’être dans des environnements nouveaux, parfois déroutants. Pour moi, il y a quatre piliers non négociables. Ils m’accompagnent partout, comme une boussole :

Premièrement, il y a l’adaptabilité. C’est la première règle du jeu mondial. À l’étranger, tout change : les codes sociaux, les horaires, les attentes implicites, la façon de dire “non”. Ceux qui réussissent ne sont pas ceux qui imposent leurs repères, mais ceux qui savent se réajuster rapidement sans perdre leur ancrage. L’adaptabilité, ce n’est pas se diluer. C’est s’élargir, sans se trahir. C’est apprendre à écouter avant de parler, observer avant d’agir.

Deuxièmement, il y a ce que j’appelle la curiosité active. Répéter ce que l’on sait déjà ne suffit pas. Il faut nourrir une soif quotidienne d’apprendre des gens comme des situations. Posez des questions. Demandez pourquoi. Explorez au-delà de ce qui est attendu. C’est cette posture d’élève perpétuel qui fait la différence entre quelqu’un qui “travaille à l’international”, et quelqu’un qui grandit à l’international.

Troisièmement, il y a la rigueur et la discipline. À l’étranger, il y a moins de marges de manœuvre. Vous êtes observé. Il faut être fiable, structuré, constant.

Enfin, il y a l’intelligence émotionnelle. C’est le super-pouvoir silencieux. Comprendre vos propres émotions. Décrypter celles des autres. Apaiser les tensions. Créer des ponts là où d’autres voient des murs. Dans des contextes multiculturels, ce n’est plus une option : c’est une condition de survie professionnelle.

Quels ont été vos plus grands défis personnels ou professionnels, et comment les avez-vous surmontés ?

Je vais vous dire une vérité que peu de gens osent avouer : Mon plus grand adversaire, c’était moi-même. Pas les autres. Pas la société. Pas le système. C’était moi-même. Le défi intérieur était d’apprendre à être mon propre allié.

Parce que pendant un bon bout de temps, j’ai douté de mes idées, de ma voix, de ma légitimité. Et pourtant, le vrai combat ne se livre pas en dehors de soi. Il commence entre nos deux oreilles. Il m’a fallu donc apprendre à me connaître sans me juger, m’aimer inconditionnellement, me faire confiance même quand les autres doutaient et me relever même quand personne ne m’applaudissait.

Je me suis rendu compte que tant que tu ne valides pas ton propre parcours, personne d’autre ne le fera à ta place. “Travaille dur sur ton projet, mais travaille deux fois plus dur sur toi-même.” Voilà le mantra qui m’a sauvé.

En termes de défi professionnel, il fallait apprendre à tenir bon, même quand rien ne bouge. Intégrer une entreprise dans un pays étranger, loin de ses repères culturels, ce n’est pas une balade de santé. Il faut bâtir des relations, gagner la confiance, prouver sa valeur par la constance. Il faut avoir de la foi. Et cette foi, il faut l’alimenter tous les jours avec la discipline, la persévérance, et surtout avec l’amour du travail bien fait, même quand personne ne regarde.

Quels sont vos projets concrets pour contribuer au développement de votre pays ? Avez-vous des initiatives en cours - ou des rêves à long terme - pour transmettre, investir ou bâtir quelque chose ici ?

Ma conviction est simple : un talent qui ne retourne pas vers ses racines pour transmettre, investir ou bâtir, laisse son pays orphelin de ce qu’il a de plus précieux. Aujourd’hui, je concrétise cet engagement à travers trois axes complémentaires :

D’abord, une société de conseil tech pour les projets de développement. Je suis en train de fonder une entreprise de conseil en technologies de l’information, basée au Burkina Faso. L’objectif est clair : mettre mon expérience internationale au service de projets locaux, publics comme privés. Il ne s’agit pas seulement de fournir des services informatiques, mais d’apporter un accompagnement stratégique, de bâtir des solutions sur mesure, et de faire monter en compétence des talents locaux. Bref, il s’agit de créer un pont entre les standards globaux et les réalités africaines.

Parallèlement, je me suis engagé à transmettre le savoir autour de l’IA générative. En juillet dernier, j’ai animé une formation sur l’intelligence artificielle générative en partenariat avec une structure appelée Programming School. Ce n’était qu’un début. D’autres sessions sont prévues. Mon objectif ici est de démystifier l’IA, de former une nouvelle génération de développeurs, penseurs et bâtisseurs africains capables d’utiliser ces outils pour résoudre des problèmes concrets : agriculture, santé, éducation, administration publique, etc.

Enfin, j’explore des opportunités d’investissement dans des secteurs essentiels comme l’import-export, les services numériques et la formation professionnelle. Mon ambition à long terme est de créer un écosystème où chaque initiative privée peut irriguer le tissu économique, créer des emplois durables et renforcer la souveraineté économique du pays.

Un proverbe africain dit : « L’eau que tu caches finit par te manquer. » Alors je choisis de ne rien garder pour moi. Tout ce que j’ai appris, tout ce que je peux bâtir, je le mets à disposition du pays qui m’a vu naître.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune burkinabè ou africain qui rêve d’aller à l’étranger ?

Je commencerais par une phrase très simple : Il ne faut pas émigrer pour fuir. Il faut émigrer pour grandir. Beaucoup veulent partir comme on quitte une maison en feu. Mais l’Europe, l’Amérique ou l’Asie ne sont pas des oasis miraculeuses où tous les problèmes disparaissent. Ce sont juste d’autres versions du réel, avec leurs complexités, leurs injustices, leurs solitudes… et leurs opportunités, oui - mais pour ceux qui sont prêts.

Avant de partir, renseigne-toi, prépare-toi, regarde au-delà des photos Instagram. Parce que partir sans information, c’est comme sauter d’un avion sans parachute.

J’ai vu des jeunes débarquer en pensant qu’ils allaient vivre comme dans les séries Netflix. Mais dès le premier hiver, la réalité les gifle : Il faut parfois faire 2 à 3 boulots pour survivre. Il faut affronter la langue, la solitude, le racisme parfois. Il faut recommencer à zéro, sans personne pour te rattraper.

Alors je dis à tous ceux qui rêvent d’ailleurs : renseignez-vous. Parlez à ceux qui y sont déjà. Prenez les vraies informations auprès des ambassades et consulats sur place au pays. Étudiez la culture, la langue, les opportunités réelles. Faites un projet, pas une évasion.

Parce que partir n’est pas un échec. Mais fuir en pensant que là-bas, c’est le paradis, c’est une illusion. Tu ne peux pas construire ta vie sur une fuite. Tu peux aller au Japon, au Canada, en Chine ou en France… Mais ce que tu fuis ici te suivra là-bas, si tu n’as pas d’abord réglé les comptes avec toi-même. Tes blessures, tes frustrations, tes manques d’estime ne disparaîtront pas avec le visa. Mais si tu pars avec un objectif clair - apprendre, te former, te dépasser - alors tu reviendras avec des outils qui seront utiles à ton pays. Parce que pour moi, l’objectif est clair : Pars pour grandir. Reviens pour bâtir.

J’aime souvent prendre l’exemple du bambou chinois. Tu plantes une graine, tu l’arroses. Pendant 5 ans, rien ne pousse. Mais sous terre, les racines s’étendent, se renforcent. Et puis soudain, en quelques semaines, le bambou pousse de plusieurs mètres.

C’est comme ça qu’il faut penser ton départ pour l’aventure. Pas comme une échappatoire, mais comme un investissement silencieux dans tes racines. Quand tu pars, tu dois revenir avec des solutions, pas seulement des souvenirs. Parce que le vrai but n’est pas de “réussir ailleurs”. Le vrai but, c’est de rendre ton ailleurs utile à ton chez-toi.

Ce qu’on oublie trop souvent : c’est qu’il faut cultiver l’amour de ton pays, même à distance. Je vis à l’étranger, mais je n’ai jamais quitté le Burkina dans mon cœur. Je n’ai pas troqué mon drapeau pour une autre nationalité émotionnelle.

Ce que je fais ici, je le fais aussi pour là-bas. Et c’est ça, être un vrai membre de la diaspora : Utiliser ce que tu apprends pour renforcer la source qui t’a vu naître. Revenir, investir, partager, former, inspirer là où tout a commencé. Devenir un pont entre ta patrie et l’extérieur, pas une fuite de ressources au profit de l’extérieur.

Et que diriez-vous à un jeune talentueux mais bloqué par le manque de moyens, de réseau ou de soutien ?

Je lui dirais tout simplement ceci : tu n’es pas seul. Et tu n’es pas condamné. Je sais ce que c’est de grandir sans réseau, sans soutien particulier, avec un budget serré et des rêves immenses. Beaucoup de ceux qui réussissent aujourd’hui viennent de là. Ce n’est pas une faiblesse. C’est une forge.

Le manque de moyens, c’est l’occasion d’apprendre à créer de la valeur à partir de presque rien. C’est là qu’on développe l’habitude de travailler plus dur, plus intelligemment, et avec plus de détermination que les autres. Et tôt ou tard, ça se voit et ça paie.

Si tu n’as pas de réseau aujourd’hui, crée-le petit à petit : partage ce que tu sais, aide sans attendre de retour, va vers les autres avec sincérité. Le capital social, comme le capital financier, se construit. Et il se construit souvent en silence, loin des projecteurs.

Si tu n’as pas de soutien, sois ton propre soutien. Deviens la personne qui t’encourage. Appuie-toi sur ton rêve. Dis-toi : « Je vais leur prouver qu’ils ont eu tort de ne pas croire en moi. »

Tu n’as pas à tout réussir aujourd’hui. Mais tu peux faire un petit pas chaque jour. Lire un article, améliorer ton CV, écrire à quelqu’un, apprendre une nouvelle compétence. Ces pas là ne font pas de bruit, jusqu’au jour où ils t’ouvrent une porte.

Comme le dit très bien Angela Duckworth dans un de ses livres, la passion combinée à la persévérance est souvent plus puissante que le talent brut.

Alors si tu es talentueux, et que tu persévères malgré l’adversité, tu construis quelque chose qu’aucune école, aucun piston, aucun hasard ne peut te retirer : une force intérieure. C’est ça qui te distinguera quand l’opportunité se présentera.

Existe-t-il des ressources gratuites ou méconnues que vous recommanderiez aux étudiants africains ?

Oui, il existe aujourd’hui une abondance de ressources pour les étudiants africains désireux de poursuivre leurs études à l’étranger. Et pourtant, beaucoup passent à côté simplement parce qu’on ne leur a jamais appris où chercher, quoi chercher, et comment postuler. Voici un point de départ solide :

Déjà ici au pays il y a le CIOP-SP (Centre d’information, d’orientation professionnelle et de suivi des élèves et étudiants) à Ouagadougou. C’est le guichet central des bourses issues de coopérations bilatérales. Vous y trouverez des offres à destination des étudiants burkinabè dans des pays comme le Maroc, la Tunisie, la Russie, la Chine, le Japon, et bien d’autres.

Il y a aussi les ambassades étrangères. En tout cas la majeure partie d’entre elles disposent d’un programme d’éducation ou de coopération. Je citerai par exemple : Fulbright (USA), CSC Scholarship (Chine), DAAD (Allemagne), Bourses du Canada, Campus France, etc. Consultez leurs sites officiels ou rendez-vous directement dans leurs services de coopération universitaire.

Vous avez aussi les universités étrangères. De nombreuses universités à l’étranger proposent leurs propres bourses internes, souvent méconnues du grand public. Il y a beaucoup de nos compatriotes qui étudient dans différentes universités étrangères. Peut-être même que leurs propres universités ont des programmes de bourses pour les internationaux. Chercher à nouer de bons contacts avec eux et ils seront très ravis de vous aider pour ces genres de bourses.

L’autre ressource indispensable c’est l’intelligence artificielle. Aujourd’hui, il n’a jamais été aussi simple de collecter des opportunités. Posez des questions ciblées à des IA comme ChatGPT ou Gemini pour avoir une liste plus large d’opportunités disponibles. Par exemple : « Quels sont les programmes de bourses pour étudier l’ingénierie en Asie pour les étudiants africains ? » Ou encore « Peux-tu me générer une liste des ambassades qui offrent des bourses dans mon pays ? »

Ces outils peuvent jouer le rôle de mentor, d’assistant administratif et de coach de carrière - à condition de bien formuler vos questions.

La bonne nouvelle c’est que vous n’avez pas besoin de tout connaître pour commencer. Vous avez juste besoin de curiosité, de régularité et de méthode. Créez une routine de veille hebdomadaire. Par exemple, chaque dimanche, passez une heure à rechercher des opportunités au lieu de consommer des contenus abrutissants sur les réseaux sociaux. Abonnez-vous aux newsletters de vos écoles de rêves. Dès qu’il y a une opportunité, vous serez parmi les premiers à en être informé et vous pourrez agir dix fois plus vite que les autres. C’est cette discipline silencieuse qui change des vies.

Vous faites partie d’une diaspora burkinabè dispersée aux quatre coins du monde. À Taïwan en particulier, quels liens avez-vous tissés avec les autres membres de la communauté ? Existe-t-il une entraide, un réseau actif, ou même des projets communs que vous avez initiés ou auxquels vous avez participé ? Combien de Burkinabè vivent sur l’île actuellement, et comment se passe l’intégration - surtout après la rupture des relations diplomatiques ?

À Taïwan, la communauté burkinabè continue d’exister et de se soutenir mutuellement à travers l’Association des Burkinabè de Taïwan (ABT). Certes, l’activité a légèrement diminué depuis la fermeture de l’ambassade, mais l’esprit de solidarité demeure. Nous nous partageons régulièrement des informations d’ordre social, professionnel ou académique pour nous entraider.

Environ une centaine de Burkinabè vivent actuellement sur l’île, principalement des travailleurs. La rupture diplomatique n’a pas eu de réel impact sur eux : la majorité est bien intégrée dans le tissu socio-professionnel local, que ce soit au sein d’entreprises locales ou internationales. Certains ont même lancé leurs propres structures, opérant à la fois au niveau national et international.

Côté étudiants, il existe toujours une petite communauté d’apprenants burkinabè, venus poursuivre un master ou un doctorat - soit en autofinancement, soit grâce à des bourses offertes directement par les universités taïwanaises, qui restent très ouvertes aux profils africains.

Quant aux projets concrets pour le Burkina Faso, plusieurs initiatives sont en gestation, et nous comptons les partager avec la communauté au moment opportun.

Selon vous, que peuvent faire les gouvernements africains pour soutenir leurs étudiants et jeunes professionnels à l’international ?

La diaspora africaine est une mine de talents sous-exploitée, et pour cause : la plupart des gouvernements ignorent qui nous sommes, où nous sommes, et ce que nous pouvons réellement apporter. J’en parle avec expérience. En tant qu’ancien président de l’association des Burkinabè de Taïwan, j’ai été directement confronté à ce manque de données stratégiques. En 2018, au moment de la rupture des relations diplomatiques entre Taïwan et le Burkina Faso, il n’existait aucune cartographie précise des étudiants, chercheurs et professionnels burkinabè présents sur place. Une situation malheureusement trop répandue dans bien des pays africains. Pourtant, on ne peut mobiliser ce qu’on ne connaît pas.

D’où ma première suggestion : Recenser et connecter sa diaspora. Il est urgent de créer une base de données, nationale des talents de la diaspora. Une base de données fiable, sécurisée et dynamique, recensant les compétences, domaines d’étude, trajectoires professionnelles et localisations géographiques des talents nationaux à l’étranger. Ce registre n’est pas un simple fichier : c’est un levier de souveraineté, de développement et d’influence mondiale. Ce serait une porte d’entrée naturelle pour impliquer ces talents dans les projets structurants du pays.

Deuxième suggestion : Créer des mécanismes de retour et d’engagement. Une fois cette cartographie établie, les gouvernements peuvent aller plus loin en faisant trois choses : Lancer des programmes d’investissement ciblés pour la diaspora, faciliter la création d’entreprises ou de centres de compétences numériques dans les pays d’origine, valoriser les talents internationaux en les intégrant aux politiques publiques, en tant que conseillers, formateurs ou partenaires techniques.

Troisième suggestion : Il nous faut absolument changer la narration sur la diaspora. La diaspora n’est pas un groupe de « fuyards » ni un simple réservoir de transferts financiers. C’est un réseau mondial de bâtisseurs, de passeurs de savoirs, d’ambassadeurs de crédibilité. Il ne faut donc pas chercher à opposer les compatriotes de la diaspora à ceux qui sont restés sur place au pays. Nous sommes comme les deux yeux de la même tête. On s’ouvre ensemble, on se ferme ensemble, on regarde tous dans la même direction. Bref, nous sommes condamnés à être un, indivisibles et complémentaires. Si les États africains décident d’écouter les membres de leur diaspora, de leur faire confiance, de les impliquer et de leur faire une place, ils verront surgir des solutions que personne n’avait vues.

Si vous aviez dix minutes avec le président du Burkina Faso, que lui diriez-vous pour améliorer l’avenir des étudiants et talents tech ?

Je commencerais d’abord par le féliciter, lui et tout le gouvernement. C’est une démarche naturelle : lorsqu’on veut sincèrement améliorer une situation, il faut d’abord reconnaître sa valeur actuelle, c’est-à-dire la valeur de ce qui a déjà été accompli.

Je saluerais donc la vision et le courage politique dont le chef de l’Etat fait preuve. Les projets et initiatives engagés ces dernières années portent en eux une lueur d’espoir. Une lueur qui ravive la foi d’une génération entière en la possibilité d’un Burkina Faso souverain, stable, résilient et authentiquement développé.

Le chemin sera long, forcément. Car toute œuvre de géant, toute œuvre qui se veut durable, exige du temps. Mais avec la volonté, et avec une bonne dose de discipline, rien ne peut nous empêcher d’y arriver.

Ensuite, si je devais formuler des recommandations concrètes pour améliorer durablement l’avenir des talents tech et des étudiants burkinabè, ce seraient les suivantes :

1. Renforcer les programmes de formation avec des garanties de retour. Trop de jeunes brillants partent se former à l’étranger pour ne jamais revenir. Pourquoi ? Parce qu’aucun mécanisme clair de réintégration n’est mis en place. Il est crucial de structurer des contrats ou conventions de retour, en partenariat avec les universités, bailleurs ou États partenaires. Ces accords doivent garantir non seulement le retour, mais aussi l’intégration professionnelle effective de ces diplômés dans des projets nationaux. On l’a essayé dans le passé avec succès, on peut le faire encore aujourd’hui. On doit le faire.

2. Optimiser le placement des ressources humaines. Un pays se construit par les bonnes personnes aux bons endroits. Trop souvent, nos technocrates sont relégués à des postes marginaux, pendant que des fonctions stratégiques sont confiées à des personnes peu outillées. Il est important d’instaurer une politique de méritocratie intelligente, basée sur les compétences et surtout les résultats, et le sens de l’intérêt général. Je sais qu’il y a une volonté politique, ce qui est déjà très encourageant. Je reste confiant que ça deviendra une réalité dans notre pays.

3. Encore une fois, je suggère d’organiser les compétences nationales par domaines d’expertise. Car le Burkina regorge de talents. Ingénieurs, chercheurs, développeurs, spécialistes en cybersécurité, marketeurs, économistes… la liste est longue. Mais il existe un vivier plus discret, souvent invisible, et pourtant absolument stratégique : celui des bâtisseurs de récits, des architectes de mémoire, des stratèges de l’influence silencieuse - que sont nos communicateurs et analystes sociaux.

Parmi eux, se trouvent des prête-plume d’exception. Des écrivains de l’ombre capables de transformer un témoignage brut en récit puissant, élégant, inoubliable. De porter haut les exploits de notre pays, de mettre en lumière nos leaders intègres, nos entrepreneurs et opérateurs économiques, nos artistes et nos sportifs, à condition qu’on leur donne accès aux détails nécessaires.

Car le récit est un pouvoir. La plume est une arme de souveraineté. Et raconter nos propres récits, c’est empêcher les autres de nous imposer leur version de notre histoire.

Voilà pourquoi je plaide, avec insistance, pour la création d’une base de données nationale des compétences locales et issues de la diaspora. Ce n’est pas une répétition, c’est une urgence stratégique. Une réponse logique et patriotique à une crise de visibilité et de coordination qui, si nous n’y remédions pas, continuera d’étouffer notre potentiel collectif.

Et enfin, il nous faut garantir le transfert réel des technologies par les entreprises qui exécutent nos projets. Cela ne peut plus être laissé au hasard : il faut l’inscrire noir sur blanc dans les clauses d’attribution des marchés.

Par exemple, associer systématiquement les compétences locales et celles de la diaspora dès la phase de design et d’ingénierie. Ou encore, exiger le partage des plans, des blueprints et, lorsque cela est possible, des codes sources.

Car un projet qui se contente de livrer une infrastructure, sans transmettre le savoir qui l’a rendue possible, ne bâtit pas l’avenir. La véritable indépendance technologique, c’est de posséder la clé, pas seulement la serrure.

En résumé : il faut former, réintégrer, organiser et valoriser. Telles sont, selon moi, les clés d’un avenir où la jeunesse burkinabè pourra pleinement jouer son rôle dans la transformation du pays.

Pour nos lecteurs qui souhaiteraient entrer en contact avec vous, que ce soit pour obtenir davantage d’informations ou explorer des opportunités de collaboration, quelle est la meilleure façon de procéder ?

Ils peuvent tout simplement m’écrire par email à l’adresse suivante : sanglamohamed20@gmail.com.

Entretien réalisé par J.P
Lefaso.net

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