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Le Tocsin au Premier ministre ivoirien : "Manifestez une compassion vis-à-vis des victimes burkinabè"

Publié le vendredi 12 mai 2006 à 07h44min

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"La Côte d’Ivoire a plus besoin, dans l’immédiat, d’un désarmement des coeurs que d’un DDR (Désarmement-Démobilisation-Réinsertion) ou d’une élection présidentielle." C’est l’association Le Tocsin qui le dit dans cette lettre ouverte au Premier ministre ivoirien, Charles Konan Bany. Elle se fait aussi l’avocat des victimes burkinabè de la crise ivoirienne.

Excellence,

Le Tocsin a suivi avec un grand intérêt les tractations et les pourparlers qui ont prévalu à votre désignation à la fonction de Premier ministre de Côte d’Ivoire, au moment où votre prédécesseur (Son Excellence Seydou Elimane Diarra) avait fini par se faire une raison quant à l’impossibilité de ramener le pays vers une paix des leaders politiques, tant les divergences étaient énormes et les passions vives.

Votre nomination a certes déclenché un tollé de la part de ceux et de celles qui se montrent frileux vis-à-vis de toutes ingérences extérieures, mais est cependant apparue à l’évidence comme une des solutions possibles pour l’émergence d’une nouvelle Côte d’Ivoire qui cherche à renouer avec sa tradition de paix, de prospérité et d’hospitalité. Eu égard à votre parcours et à vos qualités de meneur d’hommes dans le sens du Bien, nous nous sommes laissés à espérer que vous pourriez être l’homme providentiel, même si toutes les cartes ne se trouvent pas entre vos mains. Il n’est un secret pour personne que les leaders politiques ivoiriens ne se sont pas particulièrement montrés enthousiastes à votre nomination, tant votre indépendance d’esprit et votre probité étaient dérangeantes.

Votre forte personnalité pouvait laisser penser à une confrontation avec le chef de l’Etat qui n’entend nullement voir son autorité remise en cause, en dehors de toute onction populaire que seules confèrent les urnes. Mais comment parvenir à des élections libres et transparentes dans un pays divisé, avec de part et d’autre des patriotes, des rebelles, des forces nouvelles, des milices tribales et ethniques, des escadrons de la mort, des médias de la haine, etc. ?

Connaissant l’immensité de la tâche et la délicatesse de votre mission, le Tocsin s’est abstenu de tout commentaire et a tenu à vous observer dans vos actes, vos discours, vos prises de position et vos déplacements. Aux lendemains de votre nomination, vous avez effectué des déplacements dans les pays de la sous-région pour une prise de contact avec les différents chefs d’Etat qui sont impliqués d’une manière ou d’une autre dans la crise ivoirienne qui, en réalité, est une crise régionale dont l’épicentre se trouve momentanément dans votre pays.

"Vous avez réussi à éviter les pièges"

Vous avez tenu à marquer la différence en faisant montre d’une grande capacité d’écoute. Vous avez commencé à dégeler les relations humaines et politiques qui étaient couvertes de givre. En effet, au moment de votre nomination, il n’est un secret pour personne que la Côte d’Ivoire officielle était en brouille avec la quasi-totalité des pays de l’Afrique francophone (Mali, Niger, Burkina, Bénin, Sénégal, Gabon, etc.). Sur le plan international, les rapports avec la communauté internationale étaient tendus (CEDEAO, UA, USA, ONU).

Les citoyens de l’Afrique de l’Ouest qui ont été chassés de votre pays et les réfugiés ivoiriens qui ont dû fuir le pays ont placé un certain espoir dans votre nomination. Patiemment et avec une certaine constance, vous avez réussi à éviter les pièges et les provocations des extrémistes qui ont intérêt à ce que la crise ivoirienne perdure. Ils sont nombreux les nouveaux millionnaires et milliardaires de la crise ivoirienne ! Tel un éléphant que l’on dépèce, de nombreux prédateurs ont commencé à se partager les quartiers du grand pachyderme. Votre sang-froid a été particulièrement apprécié lors des moments de blocage survenus lors de l’attaque d’ « assaillants » à Anyama (décembre 2004), de la « mutinerie » du camp d’Akouédo (décembre 2004) et surtout lorsque le Groupe International de Travail, prenant acte de la fin du mandat des députés ivoiriens, a déclaré que point n’était besoin de reconduire leurs mandats.

En dépit du climat de méfiance généralisé qui prévaut au sein de la classe politique ivoirienne, vous avez continué à garder le cap de manière à créer les conditions d’un retour de la paix en Côte d’Ivoire. Au bout de cinq mois, force est de constater que de nombreux acquis existent, même s’ils demeurent encore fragiles et peuvent fondre, à tout instant, comme du beurre au soleil. Parmi vos succès, il nous plaît de mentionner : la constitution d’un gouvernement de sortie de crise, le retour d’exil du leader du RDR (en la personne de Dramane Allassane Ouattara), la prise de fonction de Guillaume Sorro en qualité du n°2 du gouvernement, la rencontre de Yamoussokro entre les principaux leaders politiques (Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié, Dramane Allassane Ouattara et Guillaume Sorro). La reprise des discussions entre militaires (FANCI et FAFN) s’inscrit assurément dans une telle logique, en dépit de la polémique suscitée par la décision d’organiser de façon concomitante le désarmement et le recensement de la population. Mais, comme on le dit, chaque jour suffit sa peine.

Les élections ne constituent cependant pas la solution de la crise ivoirienne, mais un des moyens possibles. Nous demeurons convaincus que des élections transparentes et libres ne suffisent pas aujourd’hui à ramener la paix en Côte d’Ivoire, tant les rancoeurs et les haines demeurent vivaces et profondes. Imagine-t-on quels peuvent être les propos des candidats et l’attitude des militants qui auront tendance à confondre joutes électorales et reprise de la guerre ?

"Lors de votre prochaine visite au Burkina..."

La Côte d’Ivoire a plus besoin, dans l’immédiat, d’un désarmement des coeurs que d’un DDR (Désarmement-Démobilisation-Réinsertion) ou d’une élection présidentielle. A écouter tous les protagonistes, chacun a à coeur de voir l’adversaire vaincu et humilié au cours de la présidentielle d’octobre en vue de pouvoir assouvir une vengeance. Peut-on véritablement aller à la paix avec un tel état d’esprit ? Nous en doutons.

Excellence, Monsieur le Premier ministre,

Nous avons suivi votre visite en France et le compte rendu des différentes rencontres que vous avez eues avec les politiques, les opérateurs économiques, la diaspora ivoirienne et les rapatriés de Côte d’Ivoire. C’est ce dernier aspect qui a retenu particulièrement notre attention, en tant qu’association de défense des droits des migrants et des étrangers. Ainsi, non seulement vous avez présenté vos excuses aux victimes pour ce qui leur est arrivé, mais vous les avez invités à retourner en Côte d’Ivoire où les mesures seront prises pour leur réinsertion. Joignant l’acte à la parole, vous avez même offert des billets d’avion à une des victimes présentes à la rencontre. Bravo, monsieur le Premier ministre, et mille fois bravo ! Un tel geste vous honore et démontre, si besoin était, que vous ne vous sentez point solidaire avec ceux qui ont commis les violences et les actes de rejet de l’Autre. Votre Côte d’Ivoire est assurément celle de la tolérance, de la paix et de la réconciliation.

Excellence, Monsieur le Premier ministre,

Permettez-nous une petite suggestion : lors de votre prochaine visite au Burkina, de grâce, si votre précieux temps vous le permet, manifestez une telle compassion et une telle sollicitude vis-à-vis des victimes burkinabè de la crise ivoirienne ! Nous vous assurons qu’ils sont nombreux les rapatriés de Côte d’Ivoire au Burkina ! Nous ne vous demandons pas de leur remettre des titres de transport, car ils connaissent la route et trouveront les moyens de le faire, mais ils seront sensibles à une telle attitude empreinte d’humanisme de votre part.

Nous vous prions, Excellence, Monsieur le Premier ministre, de bien vouloir agréer l’expression de notre considération distinguée.

Tous pour le combat de la Solidarité et de l’Intégration !

Le Tocsin

Le Pays

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