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Réinsertion scolaire des élèves déplacés internes au Burkina Faso : Besoins multiples, réponses limitées

Publié le vendredi 27 juin 2025 à 15h00min

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 Réinsertion scolaire des élèves déplacés internes au Burkina Faso : Besoins multiples, réponses limitées

OUEDRAOGO Idrissa , SAWADOGO Alimata et ZONGO Yabré Awa Sandra Esther Adresse de l’auteur correspondant : SAWADOGO Alimata, alimatasawadogo88@yahoo.fr

Résumé
Ce document de vulgarisation examine les besoins spécifiques et multiples des EDI et les stratégies mises en place pour répondre à leurs besoins. Pour ce faire, des entretiens semi dirigés ont été menés auprès de 31 EDI et 10 enseignants. Les données collectées révèlent que les EDI ont des besoins divers et spécifiques. Face à ces besoins l’État fait des efforts mais cela reste insuffisants.

Mots-clés : Terrorisme, élèves déplacés internes, besoins, stratégies déployées.

Introduction

Depuis 2016, le Burkina Faso est confronté à une crise sécuritaire sans précédent entrainant le déplacement forcé de 2 062 534 personnes (Organisation Internationale de la Migration, OIM, 2025). Cette crise touche tous les secteurs du pays en particulier celui de l’éducation. Selon le rapport statistique mensuel de données de l’éducation en situation d’urgence du 31 mars 2024, elle a occasionné la fermeture de 5 319 structures éducatives sur l’ensemble du territoire national et ces fermetures affectent 818 149 élèves dont 394 293 filles et 24 281 enseignants. Ce qui représente 20,15% de l’ensemble des structures éducatives du pays. Il faut observer que ces chiffres sont meilleurs à ceux d’il y a un an, car au 31 mars 2023, on dénombrait 6 334 écoles fermées affectant 1 089 732 élèves et 32 000 enseignants soit autour de 24% des structures éducatives du pays. La carte suivante est assez expressive sur l’impact de la crise sur le système éducatif burkinabè.

Figure 1 : situation des structures éducatives par commune

Source : rapport statistique mensuel des données de l’Éducation en Situation d’Urgence du 31 mars 2024 (p.1)

Ces EDI arrachés de leur cadre de vie et scolaire sont accueillis dans des zones plus sécurisées et réinsérées dans le système scolaire. Cependant, il est nécessaire de souligner qu’ils font face à d’énormes difficultés. Ils doivent surmonter une série d’obstacles pour continuer leur scolarité. Ils font face notamment à des problèmes de logements, alimentaires, sanitaires et éducatifs. Que font les structures étatiques et privées pour combler les besoins réels et urgents de ces EDI ?

1. Méthodologie

Ce document de vulgarisation est tiré de notre article scientifique intitulé « La motivation aux apprentissages scolaires chez des élèves déplacés internes dans la région du centre-ouest du Burkina Faso » publié en octobre 2024 dans la revue Scientifique Sociétés, Éducation, Santé et Pathologies Sociales SESPS – Hors-Série 001 – Actes de la Vème Journée Scientifique du LEPPE, p. 224-243, ISSN : 3006-3779 (En ligne). L’étude a été menée dans la région du centre-Ouest précisément dans les provinces du Sanguié et celle du Boulkiemdé. La méthode de collecte de données a été celle qualitative et a concerné 10 enseignants et 31 élèves. Le principe de saturation a été privilégiée.

Les données collectées ont été soumises à une analyse de contenu à travers l’approche thématique des données. Afin de respecter le principe d’anonymat, nous utilisons EDI_F pour élève déplacée fille et EDI_G pour élève déplacé garçon. Nous y ajoutons des indices de 1 à 31. Les codes suivants ont été utilisés pour désigner les enseignants enquêtés : E-CE2/22 ans de service EPP.S3, E-CM1/31 ans de service EPP.S3, E-CM1/25 ans de service EPP.B, E-CP2/ 22 ans de service EPP.KB, E-CM1/31 ans de service EPP.C, E-CM2/19 ans de service EPP.C, E-CE2/16 ans de service EPP.S, E-CM1/29 ans de service EPP.S, E-CM2/5 ans de service EPPr.BN et E-CP2/4 ans de service EPPr.BN

2. Résultats
2.1. Les besoins multiples et spécifiques des élèves déplacés internes (EDI)

Les EDI ont eu un parcours de vie qui les a exposés à des ruptures affectives, géographiques et éducatives. Ils ne sont donc pas comme les autres enfants. Par conséquent, leurs besoins sont diverses et ne se limitent pas au matériel scolaire et à une place dans une classe. En plus de cela ils ont des besoins de nourriture, de sécurité, d’affection et de conditions favorables à l’apprentissage.

S’intéressant aux besoins alimentaires, un grand nombre d’EDI n’ont pas les trois repas par jour. Ils n’ont accès qu’un repas par jour. C’est le cas de EDI_G4 : « Je mange une fois par jour. Je viens à l’école sans manger » et de EDI_G10 : « je mange à midi et souvent le soir je dors sans manger ».

Avant leur déplacement, ces élèves étaient dans un environnement familial relativement stable aux cotés de leurs familles. Leur déplacement a occasionné une séparation d’avec les parents et sont souvent confiés à d’autres membres de la famille (oncles, tantes, frères ou sœurs). Une séparation qui a engendré un manque affectif profond comme l’exprime EDI_F2 : « Ma maman est repartie avec mes deux petits frères là où on a quitté, je suis actuellement avec ma sœur. Elle me manque beaucoup. ». Ce manque d’affection influe négativement sur leurs apprentissages et EDI_G16 n’a pas manqué de dire qu’il a besoin d’être proche de sa famille afin de bien travailler en classe.

Pour ce qui est des besoins relatifs aux meilleures conditions d’apprentissages, les enquêtés ont évoqué des besoins urgents en fournitures scolaires (sacs, cahiers, livres, stylos, annales, etc.), en moyens de déplacement, en éclairage pour les révisions des leçons la nuit après les classes et en soutien pédagogique individualisé. Ainsi, EDI_F14 affirme : « Je veux que le maitre m’explique bien en classe, à la maison, je veux qu’on m’aide à comprendre mes leçons ». Plusieurs élèves (EDI_G30, EDI_G4, EDI_F2, EDI_F1 et EDI_F17) résident loin de l’école et accusent cet éloignement comme cause de leurs retards scolaires. La possession d’un moyen de déplacement pourrait leur permettre d’être à l’heure aux cours.

Les enseignant interrogés n’ont pas manqué de souligner ce besoin de moyen déplacement, en insistant sur les retards fréquents. Ils s’accordent pour dire que les EDI nécessitent une attention particulière et ont divers besoins. Ceux les plus fréquemment cités sont l’alimentation, la protection, les fournitures scolaires, la prise en charge psychologique, l’affection et l’accompagnement pédagogique. Ces difficultés ne facilitent pas leurs apprentissages et certains finissent par abandonner l’école soit parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité au sein de l’environnement scolaire, soit parce que leurs parents n’ont plus les moyens pour rester dans la localité d’accueil comme l’atteste le propos de E-CP2/ 22 ans de service EPP.KB : « ils (EDI) étaient cinq mais actuellement ils sont quatre, l’autre est reparti au village parce que ses parents n’avaient pas les moyens d’habiter à Koudougou ».

Ces besoins peuvent être classés dans les cinq (05) catégories de besoins décrits par Maslow (1943). Conformément à la pyramide, on les retrouve dans les besoins physiologiques, les besoins de sécurité, les besoins d’appartenance et les besoins d’estime. Pour ce qui est des besoins physiologiques, Maslow dit qu’ils sont liés à la survie même de l’individu. Faut-il le rappeler que les populations se déplacent généralement vers les zones urbaines et cela n’est pas sans conséquence sur les capacités économiques des ménages.

Le Burkina est un pays majoritairement agricole et les déplacements des populations vers les villes font qu’elles n’ont plus accès à leurs champs et à certains sites de pratique du maraîchage, d’orpaillage et de vente des produits agricoles qui constituent les principales sources de revenu de leurs ménages durant la période sèche. Ces familles s’appauvrissent et n’arrivent plus à assurer même deux repas par jour. Les cantines scolaires qui devraient permettre à certains EDI d’avoir au moins un repas à l’école ne sont plus fonctionnelles comme l’ont relevé les enseignants interrogés. Or, elles jouent un rôle important sur le maintien des élèves à l’école, en améliorant le cadre d’apprentissage (Boly, 2023).

Leur présence « est un soulagement pour ces enfants issus de familles très vulnérables et améliore la fréquentation scolaire mais également la concentration des élèves en classe. Les cantines scolaires permettent ainsi d’améliorer les performances académiques et de limiter les déperditions scolaires. » (Boly, 2023, p.43). Elles sont particulièrement très importantes dans le contexte d’insécurité où la majorité des ménages ne parvient pas à garantir un repas quotidien à leurs enfants.
Les besoins des EDI sont pluriels, or, la réponse institutionnelle ne les considère pas toujours dans leur globalité.

2.2. Stratégies de soutien à la motivation et à la réussite des EDI

Cette situation des EDI a amené l’État burkinabè et ses partenaires à mettre en place des stratégies pour les soutenir. On constate malheureusement que sur le terrain, les acteurs ne perçoivent pas explicitement ces soutiens. En réalité, l’État central à la faveur de la stratégie nationale de l’éducation en situation d’urgence (SN-ESU) pose des actions en direction des EDI (faciliter l’accès à travers des mesures plus souples, rouvrir les écoles fermées et les sécuriser, appuyer matériellement les EDI et les écoles, accompagner les PDI avec des vivres, gîtes et couverts, etc.). Mais il faut l’avouer, le mal est profond et l’État est très rapidement débordé. Les efforts de l’État sont réels mais restent insuffisants face aux besoins exprimés.

Seuls les EDI d’une école que nous avons enquêté disent avoir reçu des sacs comme dons. Plusieurs enseignants interrogés, comme E-CE2/22 ans de service EPP.S3 affirment que le soutien de la part de l’État est presque inexistant : « Nous n’avons pas reçu de soutien de l’État, bien au contraire, la dotation en manuel a connu une baisse drastique. Il n’y a pas de cantine non plus. La seule faveur, les EDI sont exemptés des frais APE. ». Certains par contre préfèrent émettre des réserves : « Peut-être que quelque chose est fait au niveau CEB mais dans notre école je n’ai connaissance de rien dans ce sens » (E-CP2/4 ans de service EPPr.BN).

En ce qui concerne les appuis extérieurs, il faut noter qu’elles sont rares les organisations intervenant spécifiquement auprès des EDI dans la région du Centre-Ouest. Seul l’ONG EDUCO a été cité comme intervenant dans la zone. Néanmoins, les enseignants saluent la décision du ministère de tutelle qui ordonne aux écoles d’accueillir les EDI dans les écoles publiques sans condition préalable en lien avec les places disponibles, le paiement de certains frais, la présentation obligatoire d’éléments documentaires sur le niveau de l’élève, etc. Toutefois, cette mesure entraîne un surpeuplement de certaines classes.

Sur le terrain, les enseignants sont unanimes pour dire que la plupart des EDI, en termes de niveau, arrivent avec un retard qui va de très grand à léger. Certains intègrent les classes sans un document attestant leur niveau. Cette absence de documents scolaire notamment les bulletins de note et autres rend difficile l’évaluation de leur niveau scolaire, comme le regrette E-CP2/ 22 ans de service EPP : « Ils (EDI) viennent avec beaucoup de retard, nous n’avons pas toujours des informations fiables sur leur niveau antérieur. Souvent ils n’ont fait qu’un mois de cours et viennent dire qu’ils ont fait la classe et on est obligé de les accueillir en classe supérieure sans avoir les preuves de ce qu’ils disent ». L’écart de niveau est assez perceptible ainsi que le dit ce témoignage « au départ, le fossé est grand avec leurs camarades en termes de niveau » (E-CM1/31 ans de service EPP.S3).

Malgré ces contraintes, les enseignants disent faire comme ils peuvent pour accompagner les EDI bien que la majorité d’entre eux n’ait reçu de formation spécifique en matière de gestion des traumatismes ou de prise en charge des enfants déplacés. Dans cet accompagnement, certains organisent des cours de soutien à leur intention comme l’attestent les propos suivants : « On travaille beaucoup et il y a des cours de soutien pour ceux en difficultés » (E-CE2/16 ans de service EPP.S) ou encore « On organise des cours d’appui pour eux » (E-CM1/25 ans de service EPP.B).

Tout compte fait, il faut admettre que les stratégies déployées ne prennent pas suffisamment en compte les nombreux besoins des EDI qui vont de la nourriture, des fournitures scolaires à l’affection et à la prise en charge psychologique. Cette situation de besoins non comblés peut jouer négativement sur leur niveau de motivation dans les apprentissages scolaires car pour Maslow, c’est la satisfaction des besoins qui est à l’origine des motivations profondes chez l’être humain.

Conclusion

La crise sécuritaire que connait le Burkina Faso depuis bientôt une dizaine d’années a créé des réajustements divers à tous les niveaux. Le secteur éducatif, durement éprouvé, compte parmi les secteurs qui s’efforcent de fonctionner en dépit des contraintes avec lesquelles il doit composer. L’école paie un lourd tribut avons-nous martelé, notamment avec la destruction des salles de classes, les tueries d’enseignants et d’élèves, la destruction de matériels divers pouvant contribuer à assurer l’exercice de l’éducation et les menaces de tout genre à l’endroit des acteurs de l’école, semant par voie de conséquence la psychose et la désolation.

On pourrait dire que les terroristes ont pris le malin plaisir de mettre en œuvre la formule qui dit que pour détruire une nation efficacement, il faut s’en prendre à son système éducatif. Le Burkina Faso, n’entendant pas laisser aboutir ce projet funeste, travaille d’arrache-pied pour assurer la continuité éducative à travers entre autres, l’intégration des enfants privés de l’école dans leurs localités d’origine dans les écoles plus sécures.
L’accompagnement de l’État central s’il n’est absent, peine à se laisser voir concrètement par les acteurs. Des ONG viennent aussi en appui, mais suivant bien sûr leurs zones d’intervention. Tous les élèves déplacés internes ne sont pas logés à la même enseigne. L’intégration est par moments lente et le personnel enseignant n’est pas du tout formé pour leur prise en charge.

Ce personnel ne les connait pas vraiment, en dehors du fait qu’ils sont des élèves déplacés internes et que ce sont des cas spécifiques. Les enseignants font donc, disent-ils, avec les moyens de bord. Dès lors, nous entrevoyons la nécessité de diligenter des formations à l’endroit de ces acteurs qui interviennent dans l’accompagnement de ces EDI et d’appuyer ces écoles de manière spécifique pour qu’elles puissent garantir le nécessaire et en particulier la cantine scolaire, toute chose qui rehausserait sans doute leur motivation dans les apprentissages.

Bibliographie

Boly, D. (2023). Rapport national de l’étude sur les « Obstacles à l’accès et à la continuité de l’éducation pour les enfants en situation de déplacement forcé dans la région du Sahel Central » BURKINA FASO
Maslow, A H. (1943). A theory of human motivation. Psychological review, 50(4), pp. 370-396. https://doi.org/10.1037/h0054346

Maslow, A. H. (1943). Preface to motivation theory : Psychosomatic Medicine, 5(1), 85–92. https://doi.org/10.1097/00006842-194301000-00012
Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). (2025). Matrice de suivi des déplacements (DTM) : Rapport sur les déplacements – Burkina Faso, janvier 2025.

Ouédraogo, I., Sawadogo, A. & Zongo, Y.A.S.E. (2024). La motivation aux apprentissages scolaires chez des élèves déplacés internes dans la région du centre-ouest du Burkina Faso. Revue scientifique sociétés, éducation, santé et pathologies sociales, Hors-série N° 001 Octobre 2024.
Rapport statistique mensuel des données de l’Éducation en situation d’urgence du 31 mars 2024.

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