Elèves déplacés internes au Burkina Faso : entre vécu traumatique et motivation scolaire OUEDRAOGO Idrissa , SAWADOGO Alimata et ZONGO Yabré Awa Sandra Esther

SAWADOGO Alimata, alimatasawadogo88@yahoo.fr
Résumé
Ce document de vulgarisation est tiré de notre article scientifique intitulé « La motivation aux apprentissages scolaires chez des élèves déplacés internes dans la région du centre-ouest du Burkina Faso » publié en octobre 2024 dans la revue Scientifique Sociétés, Éducation, Santé et Pathologies Sociales SESPS – Hors-Série 001 – Actes de la Vème Journée Scientifique du LEPPE, p. 224-243, ISSN : 3006-3779 (En ligne). En effet, le Burkina Faso vit une crise sécuritaire sans précédent qui a conduit à la fermeture de nombreuses écoles obligeant ainsi les élèves à se réinscrire dans les écoles des zones les plus stables. Ces enfants arrachés brutalement de leur milieu de vie et scolaire portent les séquelles du traumatisme subi. Dans cette situation, il est pertinent d’interroger le vécu de ces élèves pour appréhender leur motivation face aux études.
Mots-clés : terrorisme, élèves déplacés internes, vécu, motivation.
Introduction
Depuis 2015, de nombreuses régions du Burkina Faso particulièrement les régions du Sahel, du Nord, du Centre-Nord et de l’Est sont touchées par des attaques terroristes mettant à rude épreuve les efforts de développement. Les groupes armés terroristes exploitent les fractures sociales, les conflits liés aux ressources, le sentiment d’abandon étatique, ainsi que la marginalisation économique et politique pour semer la terreur dans la population civile, militaire et paramilitaire. De l’avis des spécialistes, il y a un fort risque que cela continue et s’étale dans le temps (Organisation des nations unies pour l’éducation et l’enfance, UNICEF, 2019).
En janvier 2025, ce sont 2 062 534 personnes qui étaient considérées comme déplacés internes (Organisation Internationale de la Migration, OIM, 2025, p.1). Ce déplacement massif pose entre autres des problèmes d’abris, d’alimentation, de soins de santé, et aussi et surtout des problèmes d’éducation. À ce propos, il faut noter que le secteur le plus touché est celui de de l’éducation. Cette situation prive des milliers d’enfants de leur droit fondamental à l’éducation. En mars 2024, 5319 structures éducatives sont fermées sur l’ensemble du territoire national représentant 20,15% de l’ensemble des structures éducatives du pays. Ces fermetures affectent 818 149 élèves.
Face à cette situation, l’État a mis en place une stratégie de l’Éducation en Situation d’Urgence (SN-ESU 2019-2024) afin d’assurer la continuité éducative de tous les enfants. Cette stratégie consiste à redéployer les EDI dans les structures éducatives de leurs localités d’accueil en vue d’assurer la continuité éducative. Si l’engagement national qui consiste à assurer la continuité éducative est présente, il faut néanmoins observer que seulement un élève du primaire sur cinq a pu s’inscrire dans une école d’accueil, les autres ayant décroché (Kéré, 2023).
S’intéressant à ceux qui sont inscrits, les enseignants notent que leur niveau scolaire est en baisse et demeure faible comparativement à celui des élèves non déplacés (Kéré, op.cit.). L’école censée être un lieu de quiétude, d’apprentissage et d’épanouissement, devient un champ de bataille, de lutte supplémentaire dans leur parcours de vie. Dans cette situation, il est pertinent d’interroger le vécu de ces élèves pour appréhender leur motivation face aux études. Quel effet leur parcours de vie peut-il avoir sur leur engagement à l’école ?
1. Méthodologie
Cette étude a été conduite dans la région du centre-ouest plus précisément dans les provinces du Sanguié et du Boulkiemdé. Le choix de la zone d’étude se justifie par le fait que la région du centre oust fait partie des 10 régions à forts défis sécuritaires et les données du rapport statistique mensuel sur l’éducation en situation d’urgence, en date du 31 mars 2024, indiquent que les provinces du Sanguié et du Boulkiemdé comptaient respectivement 1 365 et 1 475 EDI.
L’étude a concerné 10 enseignants et 31 élèves d’écoles primaires. L’échantillon a été constitué en choisissant des EDI par école tout en suivant le principe de saturation. Pouvaient prendre par à cette étude les EDI réinscrits de la région du centre ouest, appartenant au cycle primaire et qui consentaient volontairement à participer à l’enquête. Pour les enseignants enquêtés, la condition était d’avoir accueilli au moins un EDI dans sa classe au cours de l’année scolaire 2023-2024. Un guide d’entretien a été administré à tous les participants à l’enquête.
Afin de garantir l’anonymat des enquêtés, nous avons attribué un code aux enquêtés. Pour se faire, nous avons utilisé EDI_F pour élève déplacée fille et EDI_G pour élève déplacé garçon. Nous y ajoutons des indices de 1 à 31 en lien à l’ordre de l’enquête. Ainsi, nous aurons EDI_F1 lorsque la première personne enquêtée est une fille et EDI_G1 lorsqu’il s’agit d’un garçon. Quant aux enseignants, le codage suivant a été utilisé : E-CE2/22 ans de service EPP.S3, E-CM1/31 ans de service EPP.S3, E-CM1/25 ans de service EPP.B, E-CP2/ 22 ans de service EPP.KB, E-CM1/31 ans de service EPP.C, E-CM2/19 ans de service EPP.C, E-CE2/16 ans de service EPP.S, E-CM1/29 ans de service EPP.S, E-CM2/5 ans de service EPPr.BN et E-CP2/4 ans de service EPPr.BN.
2. Résultats
2.1. Le vécu des EDI : une scolarité marquée par la rupture
Les EDI enquêtés partagent presque tous une expérience similaire marquée par des attaques terroristes et des départs brusques. Pour certains, leurs villages d’origine ont été attaqués par des groupes armés terroristes qui les ont sommés de quitter les lieux. Pour d’autres, c’est le rapprochement de la menace terroriste qui a motivé leur départ. Les propos de EDI_G4 par exemple « c’est à cause des terroristes (Wéoga Ramba) qui tuent des gens, qui tirent les armes » laissent voir que ces terroristes sont perçus comme les maitres des lieux. Ils dictent leur loi dans certaines localités. Ces attaques selon plusieurs enquêtés ont causé de pertes en vies humaines dans leurs familles respectives.
C’est le cas de EDI_F28 « Ils ont tué ma grande sœur » et de EDI_F22 « Les terroristes sont venus chasser les gens. Ils ont tué ma grand-mère et mon papa. Ils ont tué mon papa le 7 avril 2019 » ou encore la confidence de EDI_G9 « Les terroristes sont venus, ils ont tiré des armes et ont tué deux personnes et on a fui ». Ces témoignages chargés d’émotion, révèlent un traumatisme encore vif. EDI_F22 avoue que son père lui manque et qu’elle continue à le voir en rêve. Ce traumatisme a un retentissement à l’école si l’on en croit aux propos de son enseignant E-CM2/19 ans de service EPPC : « …elle est craintive ».
D’autres élèves rapportent qu’ils ont été pillés de leurs biens ou ont fui dans la panique, abandonnant tous leurs biens. Ces déplacements forcés ont entrainé des difficultés de divers ordres dans leurs zones d’accueil. La douleur est encore profonde chez certains EDI, qui, jusque-là n’arrivent pas à verbaliser ce qu’ils ont vécu. Il convient toutefois de souligner qu’on note des confusions au niveau de certains récits d’EDI. Par exemple EDI_G20 soutient que « ce sont les peuls qui ont quitté la brousse avec des armes pour venir nous chasser » ou EDI_G30 « ce sont nos soldats qui sont venus nous chasser mais je ne sais pas pourquoi ils font ça ».
Du côté des enseignants interrogés sur leurs connaissances de l’histoire du déplacement des EDI qu’ils ont accueillis dans leurs classes, la majorité affirme ne pas connaître les histoires personnelles des EDI qu’ils accueillent. Pour eux, il y a un lien entre leur déplacement et la crise que nous vivons, mais ils n’ont pas de connaissances approfondies sur ces enfants qu’ils accueillent. C’est l’exemple de E-CP2/4 ans de service EPPr.BN : « C’est la crise sécuritaire, c’est tout ce que je sais ». Un autre ajoute « Nous savons qu’ils ont fui les zones insécures mais nous n’avons pas chercher à connaitre leurs histoires personnelles » (E-CM1/29 ans de service EPP.S). Toutefois, quelques-uns disposent d’informations plus précises. C’est le cas de E-CM1/31 ans de service EPP.C qui dit ceci « le garçon, lui je sais qu’il vient de la boucle du Mouhoun et son papa est même VDP dans la zone là-bas. La fille elle, son papa a été égorgé par les terroristes, vous vous imaginez ce qu’elle doit endurer ? ».
Les enseignants avouent que par moments, ils observent des signes chez les EDI qui laissent voir le poids du traumatisme vécu. Ils sont souvent physiquement présents mais leurs esprits sont ailleurs.
On retient que ces déplacements forcés constituent une rupture brutale pour ces élèves non seulement avec leur milieu d’origine mais aussi leur environnement scolaire. Ils ont été témoins de la fermeture de leurs écoles, ils ont vu leurs enseignants partir et leurs camarades de classe se disperser. Ils ont également été des victimes directs ou indirects des attaques des groupes armés, des assassinats, des enlèvements ou des destructions. Cette situation laisse des séquelles profondes sur le plan psychologique. Ces blessures, si elles ne sont pas soignées affectent leur concentration, leur mémorisation et leur participation en classe. En un mot, elle fragilise leur rapport à l’école.
A ce vécu s’ajoute des conditions de vie précaire. Hébergés dans des familles d’accueil souvent surchargées ou dans des camps surpeuplés, les EDI font face entre autres à des problèmes alimentaires, sanitaires, de fournitures scolaires. Ces conditions précaires peuvent jouer sur leur implication dans les activités scolaires. Ce vécu traumatisant ajouté à la précarité de leur vie n’est pas sans conséquence sur leur investissement scolaire. Le point suivant examine les répercussions de ces expériences sur leur motivation à apprendre et à s’engager dans le parcours scolaire.
2.2. Les répercussions sur la motivation scolaire
La motivation scolaire est un facteur très important à l’école. Elle est la capacité de l’élève à s’impliquer activement dans ses apprentissages avec un effort et une persévérance, voire un désir d’aller au-delà des exigences. Dans le contexte particulier des EDI ayant vécus des situations stressantes, la motivation aux apprentissages peut être touchée.
De façon générale, les EDI interrogés se sentent bien dans leur école d’accueil. Ils expriment une certaine confiance en leurs aptitudes et leurs capacités à réussir leurs études. Pour eux, l’école leur permettra de se réaliser en trouvant un travail. Beaucoup nourrissent l’ambition de devenir enseignants, agents de santé ou militaires. Ceux qui souhaitent être militaires ont pour intention d’aider à sauver le Burkina de la crise qu’il vit actuellement. C’est le cas de EDI_G5 « Je veux devenir militaire pour aider mon pays ».
Mais ils sont tous conscients que ce succès ne sera possible qu’après un travail acharné. Ainsi, ils révisent régulièrement leurs leçons, sont attentifs lorsque l’enseignant explique le cours et posent des questions de compréhension lorsqu’ils ne comprennent pas et sollicitent l’aide des pairs et des ainés lorsqu’ils ont des difficultés.
Ces efforts dont ils font preuve laissent voir des résultats satisfaisants chez la plupart des enquêtés. Cependant, même si les enquêtés ont affirmé être concentrés lors des activités scolaires, ils n’ont pas manqué de souligner que par moments ils pensent non seulement à ce qu’ils ont vécu avant leur déplacement mais aussi à leur famille souvent restée dans les zones d’insécurité. Ces souvenirs, souvent douloureux selon eux, entravent leur concentration.
Les observations faites par les enseignants font état d’un niveau de motivation mitigé chez les EDI. Il ressort qu’ils font face à d’énormes difficultés au début de leur intégration. Ceux qui arrivent à s’intégrer parfaitement au nouvel environnement sont ceux dont la cellule familiale est moins touchée dans sa structure. Ceux-ci font preuve d’une motivation satisfaisante ; ils s’engagent, persévèrent et affichent des ambitions de taille. À titre illustratif, un enseignant raconte l’histoire d’un EDI qui est arrivé tardivement pendant que le programme est très avancé mais qui a réussi à rattraper le retard et était parmi les meilleurs élèves de sa classe (E-CP2/ 22 ans de service EPP.KB).
Le témoignage de dernier montre la capacité d’adaptation de certains EDI, mais aussi la nécessité pour les enseignants de faire preuve de flexibilité et d’ouverture afin que le droit à l’éducation soit une réalité pour tout enfant encore plus en ces temps de crise. Par contre, il y en a qui ne se retrouvent pas malgré le temps passé et les efforts consentis. La souffrance psychologique est encore patente chez ceux-ci. Des témoignages des enseignants, il ressort des absences physiques et spirituelles, des retards, des angoisses entre autres.
De façon générale on retient que les EDI manquent de beaucoup de chose pour véritablement afficher une motivation soutenue. Toutefois, avec le temps certains arrivent à se déterminer et à présenter des résultats fort intéressants. Maslow (1943) dans sa théorie a mis en corolaire la motivation et le besoin. C’est la satisfaction du besoin qui détermine la motivation de l’individu.
Dans cette étude, nous constatons que les besoins des EDI ne sont pas nécessairement satisfaits. Se situant dans la théorie de Maslow, cela devrait compromettre leur motivation. Or on en trouve quand-même qui en dépit des difficiles conditions et des besoins de base souvent loin d’être comblés, sont motivés dans les apprentissages scolaires et ont de bonnes performances scolaires. Ils font donc preuve de résilience (Cyrulnik et Pourtois, 2007).) ; ce qui nous amène à dire que la théorie de Maslow, même si elle a le mérite d’expliquer ce qui peut ou non susciter ou entamer la motivation d’un sujet, mérite d’être relativisée.
Face aux difficultés auxquelles font face les EDI, il est ressorti que les enseignants ne sont pas assez formés pour les aider. C’est pour cela que ces derniers lancent un cri de cœur à l’endroit des autorités de les outiller pour qu’ils puissent accompagner ces enfants. Ils ont « besoin d’être formés sur comment les prendre en charge, comment leur parler, surtout à ceux qui ont perdu leurs parents dans des conditions effroyables. » (E-CE2/22 ans de service EPP.S3). Ils demandent à ce que « l’État ait un regard particulier à l’endroit de ces enfants car ils ont des problèmes pour joindre les deux bouts, c’est des cas sociaux. » (E-CM1/31 ans de service EPP.S3). Enfin, au regard de la dispersion des EDI dans presque toutes les écoles urbaines, les enseignants suggèrent une autre réorganisation du dispositif d’accueil en identifiant des écoles spécifiques pour les accueillir et maximiser le soutien de ces écoles en commençant déjà par leur garantir la cantine scolaire, un service dont la quasi-totalité des écoles que nous avons parcourues est dépourvu.
Cette situation laisse voir que même avec ces réalités exceptionnelles dont vivent les EDI, l’école reste attachée à son schéma classique de fonctionnement. Il est nécessaire que l’école se réoriente pour s’adapter aux réalités actuelles et inventer une pédagogie de la résilience.
Conclusion
L’étude révèle un vécu traumatisant chez ces EDI. Ces enfants arrachés brutalement à leur environnement familial, portent les séquelles des violences subies, de pertes affectives et de précarité quotidienne. Même si certains affichent une bonne motivation aux apprentissages, il faut noter que d’autres arrivent pour la plupart dans les écoles avec beaucoup d’appréhensions, mais aussi avec un retard de niveau. La motivation n’est pas assez affirmée chez ces EDI car beaucoup de besoins ne sont pas toujours comblés et le plus souvent même, il s’agit des besoins de base ou besoins physiologiques.
Cette démotivation ne doit pas être perçue comme un manque de volonté mais comme un signal d’alerte d’un système inadapté aux besoins actuels des élèves dans ce contexte d’insécurité. Les enseignants essaient de leur mieux pour réhausser leur niveau mais ne sont pas assez formés pour répondre à leurs besoins spécifiques. Il est alors nécessaire de trouver les voies et moyens pour non seulement restaurer l’envie d’apprendre chez ces enfants mais aussi de redéfinir les priorités éducatives dans ces contextes d’éducation en situation d’urgence. La reconnaissance des besoins spécifiques de ces EDI notamment leur histoire particulière, leur motivation fragile constituera un premier pas vers une éducation plus inclusive.
Bibliographie
CONASUR (2023). Tableau de bord général sur l’enregistrement des PDI au BF au 31 mars 2023. Burkina Faso. Récupéré le 06 février 2023 sur URL : https://data.unhcr.org/fr/documents/details/99764.
Cyrulnik, B. et Pourtois, J.-P. (2007). École et résilience. Paris, Odile Jacob
Kéré, A. (2023). Analyse d’un projet éducatif à l’intention des élèves déplacés internes. Akofena ⎜Varia n°10, Vol.2, pp. 167-178
Maslow, A H. (1943). A theory of human motivation. Psychological review, 50(4), pp. 370-396. https://doi.org/10.1037/h0054346
Maslow, A. H. (1943). Preface to motivation theory : Psychosomatic Medicine, 5(1), 85–92. https://doi.org/10.1097/00006842-194301000-00012
Organisation Internationale pour les Migrations (OIM). (2025). Matrice de suivi des déplacements (DTM) : Rapport sur les déplacements – Burkina Faso, janvier 2025.
Ouédraogo, I., Sawadogo, A. & Zongo, Y.A.S.E. (2024). La motivation aux apprentissages scolaires chez des élèves déplacés internes dans la région du centre-ouest du Burkina Faso. Revue scientifique sociétés, éducation, santé et pathologies sociales, Hors-série N° 001 Octobre 2024.
UNICEF (2019). Humanitarian Action for Children 2019 : Burkina Faso, Janvier 2019.
Viau, R. (1994). La motivation en contexte scolaire. Bruxelle, De Boeck Universié.