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L’assimilation des populations de la région de Bobo-Dioulasso par les Dioula du XVIIIe au XXe siècle.

Publié le mercredi 2 avril 2025 à 15h00min

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Résume
Ce document de vulgarisation est tiré de notre article scientifique intitulé « Sonongiyya et intégration culturelle dans l’Ouest du Burkina Faso du XVIIIe au début du XXe siècle » et parus en décembre 2024 dans les Actes de la Journée d’hommage à monsieur Domba Jean-Marc PALM, autour de l’intégration africaine dont l’auteur est Docteur OUATTARA Harouna. Au début du XVIIIe siècle, des Dioula de Kong arrivent dans l’Ouest du Burkina Faso et s’établissent dans la région de Bobo-Dioulasso au milieu d’une mosaïque de populations. Ils y créent un royaume dénommé Gwiriko et menèrent une politique d’expansion territoriale en phagocytant plusieurs autres peuples. Cela entraine une assimilation de certaines populations anciennement installées à travers l’établissement d’alliances avec celles-ci, l’installation de colonie Dioula au sein de ces populations et leur islamisation.

Mots clés : identité, assimilation, Jula, population préétablie, culture conquérante.

Introduction

L’histoire de l’ouest de l’actuel Burkina Faso est marquée au XVIIIe siècle par plusieurs évènements dont la fondation du royaume du Gwiriko par des membres du groupe ethnoculturel Dioula venus du royaume de Kong. Ce groupe social était une minorité parmi une mosaïque d’ethnies qui peuplait cette partie de l’actuel Burkina Faso. Au nombre de ces groupes sociaux, nous pouvons citer les Viévon (Vigué), les Tièfo, les Bobo, les Komono, les Dogossè, les Cirimba (Gouin), les Sambla, les Tusian (Toussian)…

Après la fondation du Gwiriko, les Dioula portant le patronyme (nom de famille) Ouattara élaborent une politique d’expansion territoriale à travers l’assimilation de plusieurs populations. Cela entraine l’adoption de traits culturels d’origine Dioula par certaines populations préétablies. Cette assimilation menée par les Dioula a consisté à intégrer ces populations anciennement installées en leur imposant de façon pacifique certains de leurs traits culturels. Cette politique d’assimilation des Dioula qui date de l’empire du Ghana les a permis d’étendre leur aire culturelle allant de la Sénégambie en passant par le Haut-Niger à la Volta (Traoré B. 1996 : 218-219 ; Traoré B. 2010 : 355). Cette étude se propose ainsi d’examiner le processus d’assimilation des populations préétablies de la région de Bobo-Dioulasso. L’objectif poursuivi est de contribuer à une meilleure connaissance des modèles de politiques d’intégration utilisés par certaines populations précoloniales du Burkina Faso et de l’Afrique de l’Ouest.

1. Méthodologie

Cette étude est basée sur la méthode de la science historique consistant à l’exploitation des sources. En effet, il s’agit de collecter les données nécessaires à travers les entretiens avec les personnes ressources et une recherche documentaire. Les sources écrites exploitées sont constituées d’ouvrages généraux, d’articles et des thèses. La recherche documentaire a permis de mieux nous imprégner du contenu des documents écrits sur ce fait historique étudié. Pour les sources orales, nous avons collecté les informations nécessaires auprès des personnes ressources en tenant compte de plusieurs facteurs dont la personnalité et le statut social de l’informateur. Ces sources orales ont permis de combler le vide de celles écrites et de corriger leurs lacunes. L’exploitation de ces sources suivante la méthode de la science historique a permis de structurer l’étude autour de trois axes portant respectivement sur l’établissement des alliances, l’installation des colonies Dioula au sein des populations anciennement installées et leur islamisation.

2. Résultat

L’assimilation des populations anciennement installées dans l’Ouest de l’actuel Burkina Faso par les Dioula fut un long processus. Elle a débuté par l’établissement d’alliances avec les populations préétablies, l’installation de colonie dioula au sein de ces populations et leur islamisation.

2.1. L’établissement des alliances avec les populations préétablies

En ce qui concerne l’établissement d’alliances, il faut noter qu’après la fondation du royaume du Gwiriko, ses autorités dans le but de faciliter l’assimilation des populations anciennement installées ont tissé deux types d’alliances avec ces dernières : il s’agit des alliances militaires qui consistaient soit à incorporer des éléments de la population trouvée sur place dans l’armé des Dioula, soit à nouer un pacte d’amitié avec les chefferies préexistantes et d’assistance mutuelle en cas de menace extérieure.

En rappel, ces chefferies préexistantes que B. Traoré (2010 :373) a qualifié d’États vassaux du royaume du Gwiriko étaient au nombre de cinq (05) dont celles des Bobo-dioula, des Gan, des Komono, des Tièfo et des Viéwo. Mais pour notre part, ces chefferies étaient plutôt des alliées du Gwiriko et non des vassales car la vassalité impose un certain nombre de conditions à l’État assujetti dont le paiement d’un tribut. Dans ce cadre, les relations qui lient ces États sont des rapports de subordination, alors que l’exploitation des sources mises à notre disposition fait ressortir que ces États préexistants ne payaient pas de tribut aux autorités politiques du Gwiriko et la nature des rapports qui les liaient était ceux d’alliés et de collaborateurs.

Mieux, les différentes sources écrites consultées indiquent que les armées de ces États préétablis participaient aux razzias menés par les autorités du Gwiriko et bénéficiaient, par conséquence, du partage du butin (Ouattara O.C. 1990 : 54 ; Traoré D. 1953 :1 ; Guilhem M. et Hébert J. Sd. : 76 ; Guilhem M., Toé S. et Hébert J. 1962. : 202). Les travaux de Dominique Traoré (Sd. : 21) livrent de plus amples détails permettant de soutenir cette opinion. Cet auteur note d’ailleurs que « conformément à la coutume [chez les Dioula Ouattara du Gwiriko], une part des profits de guerre, [c’est-à-dire le butin] revenait régulièrement [aux parties prenantes] ». Ce fait est soutenu par certaines sources orales. Cependant, il faut relever que les relations qui liaient les autorités du Gwiriko aux chefferies préexistantes étaient très complexes à tel point qu’il est difficile de les considérer comme étant de subordination.

Cette complexité était telle que B. Traoré (1996 : 271) a été amené de qualifier par moment ces relations d’alliance. Ainsi dans un passage de sa thèse, l’auteur indique que « c’est donc en se présentant comme des garants de cette sécurité que les Watara [Ouattara] purent tisser des alliances avec différents "groupes ethniques" (…) ». Ces chefferies préexistantes ont été des appuis importants pour les Dioula du Gwiriko dans la diffusion de leur culturelle conquérante. C’est du reste, au nom de cette alliance politico-militaire que ces chefferies ont participé à la bataille de Bama du côté des Dioula du Gwiriko au détriment des autorités du Kénédougou.

Le second type d’alliance qui a facilité cette politique d’assimilation fut celle matrimoniale entretenue à sens unique. En effet, les autorités politiques du Gwiriko au nom de l’alliance politico-militaire qui les liait avec les populations préétablies ont contracté des mariages avec des filles de ces dernières. Cette question est largement évoquée par les différentes sources écrites et orales disponibles.

Au nombre des chercheurs qui se sont intéressés au passé des Dioula et qui ont relevé ce fait, Georges N. Kodjo retient notre attention. Ce dernier (Kodjo N.G. 1986 : 206-207) indique que « il [le julaya] prospéra par métissage avec les populations "autochtones" ; les hommes épousaient les filles de la région, mais s’opposaient au mariage d’une fille de la communauté avec un "autochtone" [Banmana, c’est-à-dire un non-musulman] à moins que ce dernier ne renonce à sa religion et à sa culture traditionnelle pour adopter l’islam et la culture manding ». Ils ont, cependant refusé l’inverse. Les enfants issus de ces unions ont constitué des éléments essentiels dans le processus d’assimilation de ces populations anciennement installées.
En plus de ces alliances, l’assimilation des populations préétablies dans l’Ouest de l’actuel Burkina Faso a été aussi possible grâce à l’établissement de colonie Dioula en leur sein.

2.2. L’installation de colonie Dioula au sein des populations anciennement installées

Dans leur volonté de mieux assimiler les populations anciennement installées de la région de Bobo-Dioulasso, les Dioula ont procédé en accord avec celles-ci à l’installation de certains des leurs dans ces pays. Ils ont créé des villages entiers peuplés uniquement de Dioula. Ce sont ces villages que nous appelons colonies Dioula. Elles étaient dispersées sur l’ensemble de l’Ouest de l’actuel Burkina Faso. Ainsi, ces dernières ont été de véritable fer de lance dans le processus d’assimilation des populations préétablies. Le tableau ci-dessous résume quelques exemples de colonies Dioula installées dans les différents pays de l’ouest de l’actuel Burkina Faso.

Tableau 1 : Quelques exemples de colonies Dioula installées dans des pays de l’Ouest de l’actuel Burkina Faso.

Sources : tableau élaboré par Harouna OUATTARA sur la base des documents exploités.

Cette liste est loin d’être exhaustive et pour de plus amples informations, le lecteur pourrait se référer à B. Traoré (1996 : 246-293, 426-431). Comme, nous pouvons le constater, la présence des colonies de peuplement Dioula dans l’Ouest de l’actuel Burkina Faso a été très remarquable dans la partie Sud-Ouest de Bobo-Dioulasso. Cela pourrait s’expliquer par la situation géographique de ces pays par rapports aux axes commerciaux, notamment ceux reliant Kongo-Bobo-Dioulasso et Kong- Sikasso. L’expansion de la culture conquérante a été également possible dans l’Ouest de l’actuel Burkina Faso grâce à l’islamisation de ces populations anciennement installées.

2.3. L’islamisation des populations préexistantes.

L’un des éléments utilisés dans le processus d’assimilations des populations anciennement installées par les Dioula fut leur islamisation. Cela a consisté pour ces Dioula d’encourager ces populations à embrasser la religion musulmane sinon à adopter certains de ses traits culturels. Cette islamisation a pris une coloration culturelle voire ethnique car dans cette partie de l’actuel Burkina Faso, jusqu’à une période récente, islamisation est synonyme de julaïsation, c’est-à-dire devenir Dioula.

Il faut comprendre que dans cette partie, islamisation, culturelle conquérante et julaïsation sont intimement liés. Il est difficile de dissocier l’islam et certains éléments de la culture Dioula. Le tandem qui lie islamisation, julaïsation et culturelle conquérante a été relevé par B. Traoré (1996 : 611-612) pour qui « l’identité religieuse [musulmane] ne peut se concevoir sans l’identité jula [dioula] dont elle n’est qu’un aspect, et cette identité s’entend avec la julaïsation, champ très étendu qui couvre l’islamisation ».

Cette islamisation se traduite par l’adoption de manifestations culturelles et autres réjouissances à caractère religieux comme les fêtes de ramadan, de tabaski, de kurubi, de Jõmènè, de kamido, les prières en faveur des parents défunt, le Gbégé, le Nayao, le Yagba etc. (Traoré B. 1996 :315 et 700-715 ; Traoré B. 2010 : 391). À celles-ci, s’ajoute l’adoption d’anthroponymes à consonance musulmane qui précède la conversion proprement dite. Au sujet des anthroponymes à consonance musulmane adoptés par ces populations préétablies, nous avons énuméré quelques-uns dans le tableau N°2 ci-dessous.

Tableau 2 : Quelques exemples d’Anthroponymes à consonance musulmane adoptés des populations préétablies de l’Ouest du Burkina Faso.

Source : tableau élaboré par Harouna OUATTARA

Loin d’être exhaustive, ces anthroponymes ont été adoptés par ces populations alors qu’elles n’avaient pas encore embrassées véritablement la foi musulmane.
Tout compte fait, l’assimilation des populations anciennement installées de l’Ouest de l’actuel Burkina Faso fut un processus qui s’est manifestée par leur islamisation. Elle s’est limitée à son aspect socio-culturel qui de ce fait s’est apparentée à une Julaïsation.

Conclusion

De ce qui précède, il faut retenir qu’un bon nombre de populations anciennement installées dans l’Ouest de l’actuel Burkina Faso ont été assimilées par les Dioula. Pour atteindre cet objectif, les Dioula ont procédé à l’établissement d’alliances avec les populations préétablies, à l’installation de colonie de peuplement Dioula en leur sein et leur islamisation. Cela a permis de former une unité culturelle sur un vaste ensemble allant du nord de la Côte d’Ivoire à l’Ouest du Burkina Faso actuel en passant par le Sud-Est du Mali. Ce vaste ensemble est connu dans le vocabulaire politique des Dioula de gènè ou Kènè (Traoré B. 2010 : 366).

OUATTARA Harouna, Attaché de recherche (INSS/CNRST-Burkina Faso) ; email : harounaouattara84@gmail.com ; tel (WhatsApp) : 0022670529647.

Références bibliographiques

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