Un bref regard diachronique sur les reformes qui ont enclenché l’enseignement des langues nationales au Burkina Faso
Résumé : Ce document de vulgarisation est tiré d’un article scientifique publié en Août 2023, dans la revue International Journal of Development Research, 13, (08), pp. 63506-63510, par Docteur BATIONO Zomenassir Armand dont le titre est « Généralisation de l’enseignement bilingue à l’école primaire au Burkina Faso : le défi de l’harmonisation des formules. Ainsi, la présente étude a pour objectif de montrer, à travers les successions des régimes politiques, l’évolution des différents textes d’application qui ont encadré l’introduction des langues nationales dans le système éducatif au Burkina Faso depuis les indépendances à nos jours. C’est une étude qui s’inscrit dans le cadre de la politique linguistique qui est un sous-champ de la sociolinguistique appliquée à la gestion des langues. Nos travaux se sont essentiellement basés sur la recherche documentaire. Cette démarche a permis d’obtenir les différentes reformes ou tentatives de réformes qui ont enclenché l’enseignement des langues nationales dans le système éducatif au Burkina Faso.
Mots-clés : sociolinguistique, politique linguistique, instabilité politique et institutionnelle,
Introduction
Depuis les indépendances, le Burkina Faso a consenti d’énormes efforts politiques pour l’introduction des langues nationales dans son système éducatif. Quelles sont alors les différentes politiques qui ont facilité l’introduction des langues nationales dans le système éducatif au Burkina Faso ? Notre objectif est de présenter, à travers une analyse diachronique, les politiques successives qui ont concouru à l’avènement des langues nationales dans le système éducatif au Burkina Faso. Ainsi, au regard de la complexité du problème, notre démarche s’inscrit dans le cadre global de la sociolinguistique qui est une branche de la linguistique.
Elle fait appel à la politique linguistique qui est un sous-champ de la sociolinguistique appliquée à la gestion des langues (J-L. Calvet, 1996 p.6). L’auteur (op.cit.) définira la politique linguistique comme un ensemble de choix conscients concernant les rapports entre les langues et la vie sociale, et planification linguistique, la mise en pratique concrète d’une politique linguistique, le passage à l’acte en quelque sorte. Par ailleurs, (H. Boyer, 2010 p.3) focalise plus la responsabilité de l’Etat dans cette définition. Pour lui, la notion de politique linguistique est appliquée en général à l’action d’un Etat qui a pour responsabilité de désigner les choix, les objectifs, les orientations qui sont ceux de cet Etat en matière de langue(s). Dans la présente étude, le choix de cette théorie n’est pas fortuit. Elle permet en effet, de présenter de façon chronologique, les différentes réformes et tentatives de réformes qui ont permis la genèse de l’enseignement bi-plurilingue au Burkina Faso.
1. Méthodologie
Notre méthode de travail s’est basée sur une recherche documentaire. Elle a permis de refaire la genèse de l’enseignement des langues nationales au Burkina Faso à travers les différentes réformes entreprises à cet effet.
2. Résultats de la recherche documentaire
Cette partie s’est essentiellement basée sur l’aperçu historique de l’éducation bi-plurilingue au Burkina Faso. Ainsi, on retient que les langues nationales ont fait leur introduction dans le système éducatif du Burkina Faso par le canal de l’école rurale. Créée en 1961, cette école avait pour public cible les jeunes de 14 à 17 ans avec l’objectif de les doter d’une alphabétisation et d’une formation professionnelle. Le but était de contribuer à la modernisation de l’élevage et de l’agriculture pour la réalisation de l’autosuffisance alimentaire et de lutter contre l’exode rural. Cette école a connu des échecs à cause des abandons massifs, des possibilités de passerelles créées par les enseignements des écoles classiques et surtout à l’exode des bénéficiaires vers les pays côtiers. En 1967, deux expériences ont été mises en place. Il s’agit des Centres de Formation de Jeunes Agriculteurs (CFJA) et du « Projet UNESCO-Haute-Volta d’accès de la femme et de la jeune fille à l’éducation ». Ces initiatives visaient à former les jeunes et les femmes du monde rural aux métiers de l’agriculture et de l’élevage tout en donnant une instruction scolaire. Ces reformes prirent fin en 1974 sans un impact significatif sur la population.
Après ces deux premières expériences d’alphabétisation dans les langues nationales et en français, une troisième expérience a été tentée au niveau des écoles primaires. Cette dernière était bilingue et expérimentée entre 1979 et 1984 à la faveur d’une réforme de l’éducation de l’école communautaire pour le développement. Dénommée « Réforme pour le Développement Communautaire », elle a été qualifiée de « Réforme DAMIBA », le nom du porteur de cette réforme (Aimé DAMIBA). Néanmoins, le diagnostic du système a conclu que l’école voltaïque était inaccessible à tous car le taux de scolarisation était de 13% en 1976. Cette école a été jugée improductive, budgétivore et acculturante. Par conséquent, l’ouverture de l’école au milieu de l’apprenant a été proposée. Pour le début de l’expérimentation, l’Institut National d’Education (INE) a subdivisé la Haute Volta en trois zones linguistiques en fonction de l’importance numérique des locuteurs et leur représentativité régionale : une zone moorephone (14 écoles), une zone dioulaphone (10 écoles) et une zone fulaphone (4 écoles).
Ancêtre des écoles bi-plurilingues actuelles, l’enseignement de disciplines fondamentales comme la lecture et le calcul se faisait dans ces langues pour céder progressivement la place au français. De 28 écoles au départ, l’expérimentation s’est étendue à 164 écoles plus tard en 1984. Cependant, la réforme a été interrompue suite à un changement politique et institutionnel par le Conseil National de la Révolution (CNR) à la fin de l’année scolaire 1983-1984, sans évaluation.
Par ailleurs, le CNR et les autres politiques qui ont suivi ont bien voulu mettre l’accent sur l’enseignement des langues nationales de façon massive. Ainsi, au cours de la période 1984-1994, toutes les expériences éducatives étaient dirigées vers la promotion des langues nationales : « opération alpha commando », « bantaare », « opération zanu ». Il s’agit d’opérations d’alphabétisation dans les langues des communautés locales et les cibles étaient les adolescents et les adultes. Il a été aussi procédé à l’adaptation des contenus d’enseignement aux réalités socioculturelles du pays. Ces réformes ont été interrompues momentanément avec l’avènement d’un coup d’Etat le 15 octobre 1987 suivi d’une réorganisation institutionnelle. Ce coup d’Etat apparait comme une rupture profonde avec les idéaux du CNR.
En revanche, les nouvelles expérimentations d’enseignement bilingue ont commencé à partir des conclusions des Etats Généraux de l’éducation tenus en 1994 et les Assises Nationales sur l’éducation de 2002. Ces rencontres et d’autres études ont tous relevé les difficultés et les goulots d’étranglement du système d’enseignement classique. C’est pour contribuer à la recherche de solutions alternatives des problèmes soulevés par les diagnostics qu’il a été développé plusieurs formules éducatives bilingues tant formelles que non formelles :
Les formules de l’éducation formelle
– les Ecoles Satellites (ES) : elles ont été mises en place par l’Etat
– les centres Banma Nuara1 (CBN1) : ils sont créés par l’ONG Tin Tua
– les Ecoles Primaires Bilingues (EPB) : elles sont de l’œuvre du Ministère de l’Education et de Solidar (MENA-Solidar)
Les formules de l’éducation non formelle
– Les Centres d’Education de Base Non Formelle (CEBNF),
– Les Ecoles Communautaires (ECOM)
– Les Centres Banma Nuara 2 (CBN2)
– L’Ecole du Berger et de la Bergère
– L’Alphabétisation/Formation Intensive des jeunes de 9-15 ans pour le développement (AFID).
Conclusion
En définitive, nous pouvons retenir que les changements des différents régimes politique ont un impact négatif sur l’ensemble des reformes entreprises depuis les indépendances à nos jours. Une recherche documentaire a permis de relever quelques réformes majeures qui ont contribué à la valorisation et à l’introduction des langues nationales dans le système éducatif au Burkina Faso. L’Etat étant souverain, seule une politique linguistique franche peut permettre aux langues nationales de sortir de leur statut officieux.
Zomenassir Armand BATIONO
Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)/ Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/Laboratoire Langue Education Arts et Communication (LEAC), Burkina Faso, zomenassir@yahoo.fr
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