Fait divers : Un poulet décapité survit pendant 18 mois

Il devait finir dans une marmite, bien pimentée. Mais décapité, il a continué à vivre pendant 18 mois. Et pendant ce temps, il a rapporté une petite fortune à son propriétaire. Un simple poulet ou une énigme vivante ? Un miracle de la science, ou un clin d’œil du destin ? Lisez l’histoire. Et demandez-vous : si c’était vous, que feriez-vous ?
Il est des soirs où l’univers entier semble suspendu à un fil d’ironie divine : celle qui hésite entre rire et tragédie, entre farce cosmique et destin cruel. Ce genre de soir où même les dieux, s’ils existent, doivent retenir leur souffle.
Dix septembre 1945. Fruita, Colorado. Une ville poussiéreuse, ordinaire, pétrie de silence. Le ciel est sec, l’air mordant. Le soleil, rouge sang, s’effiloche à l’horizon comme un vieux drapeau oublié.
Ce jour-là, Lloyd Olsen, fermier taciturne, préparait un dîner familial. Sa belle-mère arrivait. Et comme à chaque visite, elle exigeait du poulet. Pas un coriace qui sentait le bouc, un tendre.
Lloyd choisit un jeune coq, le saisit par les pattes, l’amena à la bûche, leva la hache, et — hop ! — trancha.
La tête roula dans l’herbe. Et le corps... se leva. Le coq décapité chancela, puis se redressa comme un défi lancé au réel, comme une ironie céleste envoyée pour troubler le sommeil des logiciens. Il tituba, puis avança, tranquilos. Pas en rond. Pas en désordre. Il marchait.
Lloyd resta figé. Hache en main, yeux écarquillés. Le coq sans tête tournait dans la cour, lissant ses plumes, tentant de picorer. Il émettait un gargouillis, comme un vieux tuyau percé.
Un autre l’aurait achevé. Par prudence, par peur, ou par bon sens. Mais Lloyd, lui, y vit autre chose. Une énigme. Un miracle. Il soigna le volatile, le nourrit à la pipette : eau, lait, grains, vers. Le coq survivait, vivait, résistait. Il s’appelait désormais Mike.
Mike, le poulet qui ne voulait pas mourir.
Il devint aussitôt une attraction. On le montrait en caisse, comme un bijou sans couvercle. Lloyd et sa femme voyageaient avec lui, transportant des seringues pour l’alimenter et nettoyer son œsophage. Comme un prophète de l’absurde, Mike parcourait l’Amérique, attirait les foules. On payait pour le voir. À son apogée, il rapportait 4 500 dollars par mois. Il ne voyait pas, ne parlait pas, mais captivait.
Les enfants riaient, les adultes murmuraient. Certains disaient : « C’est contre nature. » Mais tous regardaient. Mike, la volonté nue. Le refus de céder. L’ultime bras d’honneur à la fatalité. On l’appelait Miracle Mike. Mais les miracles ont une fin. Et celui de Mike s’acheva dans un motel, loin des projecteurs.
Mars 1947. Phoenix. Un motel modeste. Le néon au-dessus de la porte clignotait comme une paupière fatiguée. La nuit semblait suspendue. Mike reposait dans sa caisse. Lloyd, sur le bord du lit, réfléchissait au lendemain.
Puis, un son. Un gargouillis, à peine un râle. Lloyd bondit du lit, ouvrit la caisse. Mike convulsait. Du mucus remontait de sa gorge béante. Ses pattes grattaient l’air, son corps se contractait.
Lloyd fouilla, paniqua. Les seringues ? Il les avait oubliées à la foire. Il tapa Mike dans le dos, secoua son torse. Rien. Mike, le coq sans tête qui avait tenu tête à la mort pendant 18 mois, battit des ailes une dernière fois. Puis, le silence. Lourd. Définitif.
On l’enterra sans discours. Mais avec émotion. Car les légendes ne meurent pas comme les autres.
À Fruita, il est devenu une légende. Chaque troisième week-end de mai, la ville organise le “Mike the Headless Chicken Day”. Une célébration joyeusement absurde : course “Run Like a Headless Chicken”, lancer d’œufs, concours de caquètements, bingo à base de fientes de poulet sur une grille numérotée. Une fête entière, dédiée à l’impossible.
Et toujours, cette question : Comment a-t-il vécu ? Les scientifiques parlent de tronc cérébral, de caillot bien placé, d’organe lombo-sacré pour l’équilibre. Mais les chiffres n’expliquent pas le frisson.
Mike est mort comme il a vécu : debout, silencieux, incompris. Lloyd resta longtemps immobile, les mains pleines d’impuissance, les yeux fixés sur ce corps sans tête qui s’était battu jusqu’au dernier souffle. Une chaleur montait à ses paupières, étrangère et familière à la fois. Il serra les poings. Pas de mots. Juste un vide. Vaste, brutal, comme si un secret venait de se refermer à jamais sans livrer sa réponse.
Et pourtant… le cœur de Mike bat encore. Dans chaque regard qui doute. Dans chaque souffle qui résiste. Mike, c’est nous. C’est l’âme nue, privée de raison mais pleine d’élan.
Il était un coq, et il est devenu une question. Et cette question, elle est là. Dans chaque regard qui doute. Dans chaque souffle qui résiste. Dans chaque être qui, même mutilé, dit à la mort : pas encore.
Mais ce n’est pas la fin de l’histoire…
Parce qu’en 2010, moi aussi, je l’ai vécu. Dans mon village. C’était la veille de la fête du nouveau mil, ce moment magique où l’on remercie la terre et les ancêtres pour les premières récoltes. Les femmes pilaient sous les manguiers. Les enfants dessinaient dans la poussière. Les odeurs de soumbala et de charbon flottaient.
L’air était tiède, traversé par les sons familiers d’un village qui se prépare à festoyer : crépitements de feu, bruits de casseroles, éclats de voix. Et au milieu de tout ça, mon petit frère Kouka affûtait le couteau de grand-père. Le coq, attaché non loin, semblait deviner.
Tout le monde s’était rapproché. Les enfants tenaient leur souffle. Les femmes s’étaient tues. Même le vieux transistor du voisin, qui jouait un morceau de Floby, semblait s’être arrêté net.
Kouka leva le couteau. Un geste franc, une exécution propre, et la tête du coq tomba. Le sang gicla sur la terre rouge. Puis…
Le corps, déjà orphelin de son propre regard, se redressa. Comme électrisé. Une colonne sans capitaine. Une chair sans volonté apparente. Et pourtant… il courut. Pas en zigzag. En ligne droite. Vers chez les voisins, à deux cents mètres de là. Il sauta le foyer, évita le mortier, feinta le balai lancé, contourna le vieux chien, frôla les jambes de grand-mère, puis disparut.
On le poursuivit pendant au moins huit minutes. Pieds nus, chaussures en main. Les voix fusaient :
— Là-bas ! Il a tourné !
— Il revient ! Il revient !
— Attrape-le, Kouka !
Mais rien. Il disparut sous les greniers du voisin. Là-bas, dans l’ombre, il nous a fait tourner en bourrique. On s’arrêta, haletants, trempés de sueur, les mains sur les genoux, le cœur en vrac.
Puis Kouka murmura :
— Ça là… c’est pas un poulet.
Et j’ai su qu’il avait raison. C’était un être humain réincarné. Un ancêtre maltraité. Un génie. Un démon. Mais pas un poulet.
Papa sortit, furieux.
— Arrêtez vos bêtises ! Ce n’est pas un esprit, c’est votre dîner !
Il retroussa son boubou, sauta la barrière, courut, attrapa le coq et le ramena. Triomphant. Mais à la maison… silence. Maman recula. Moi aussi. Ma sœur sortit. Même le vieux chat refusa de s’approcher.
Alors papa nettoya le poulet rebelle, l’assaisonna, le fit cuire. Et il le mangea. Seul.
Cette nuit-là, personne ne dormit. Car le sommeil fuit ceux qui ont vu l’impossible. Chaque heure, on se levait. On allait voir si papa respirait encore, s’il était encore lui. S’il n’avait pas été avalé, possédé, transformé par le “poulet-sorcier”.
Mais il allait bien. Trop bien, même. Aujourd’hui, papa a 93 ans. Jamais malade. Jamais de médicament. Même le palu l’évite.
Alors… on se demande. Et si ce coq, au lieu de mourir, lui avait transmis ses pouvoirs ? Et si c’était nous qui avions raté notre chance ?
Peut-être qu’on aurait dû en manger, nous aussi. Peut-être que vous, à notre place, l’auriez fait. Mais posez-vous la question : Si un jour un coq sans tête court vers vous, l’attraperez-vous ? Et si oui… en ferez-vous un animal de foire, comme Lloyd ? Ou une soupe bien pimentée, comme papa ? Parce qu’au village, on dit :
« Quand le plat parle à ton ventre, écoute aussi ce qu’il dit à ton destin. »
Naya Sankoré
Envie de lire mes prochaines histoires dès leur sortie ?
Faites-moi signe à nayasankore@gmail.com
Merci !