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Rood Woko : Une répression musclée d’une AG des commerçants

Publié le vendredi 13 février 2004 à 09h36min

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L’Assemblée générale (AG) des commerçants de Rood Woko n’a pu se tenir sur la place du marché côté statue, jeudi 12 février 2004 à Ouagadougou. Une fois rassemblés, les commerçants ont été pris en sandwich par un détachement de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS). L’AG a tourné au drame : débandade et blessés graves.

Rood Woko, le grand marché de Ouagadougou a repris vie jeudi 12 février 2002 aux environs de 10 heures. Ce n’était ni pour le début des travaux de reconstruction ni pour la réinstallation des commerçants. L’Assemblée générale (AG) convoquée par cinq organisations de commerçants (OSPCO/ONSL, ACOMA, USPCK/ONSL, Namanegbzanga, APCIAR) n’a pu se tenir à la place du marché côté statue, côté sud. Elle a vite pris l’allure d’un meeting d’étudiant.

Les jets de gaz lacrymogènes les coups de matraques et les bruits de bottes des éléments de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) ont vite eu raison des commerçants venus s’informer sur "le devenir de Rood Woko qui reste toujours incertain’’ et ce depuis l’incendie du 27 mai 2003. Une rencontre qui a vite tourné au cauchemar.

Jeudi noir pour les commerçants, deuxième incendie de Rood Woko

C’est dès 8h30 mn que les commerçants ont commencé à prendre d’assaut la place du grand marché côté statue pour participer à leur AG qui devait avoir lieu à 9h. Les bruits de la sonorisation et des échanges bon enfant entre commerçants ne laissaient pas présager le pire. Rood Woko était subitement devenu très bruyant dix mois après l’incendie qui l’avait ravagé en partie.

Un groupe de commerçants venus du marché du secteur n° 10 (Gounghin) ont rejoint les autres par une procession en scandant : "On veut Rood Woko, on veut Rood Woko’’. Leurs camarades les ont accueillis avec des applaudissements font nourris sans penser un seul instant que la place qu’ils occupaient allait être envahi par une épaisse fumée de gaz piquante et irrespirable. Un deuxième incendie, oserait-on dire. Mais cette fois-ci sans feu.

Tout a commencé par un léger accrochage entre un groupe de commerçants et une vingtaine d’éléments de la CRS. Les premiers n’admettaient pas la présence des forces de l’ordre à un "simple rassemblement’’ de commerçants. Certains responsables commerçants tentèrent de calmer les ardeurs des leurs en demandant de ne pas tomber dans " le piège qui est tendu’’.

Ce qui a conduit à une rencontre sur place entre le chef du détachement de la CRS et les responsables des organisations ayant convoqué AG. Le chef du détachement qui n’a pas voulu révéler son identité leur a fait savoir qu’il a reçu "l’ordre de ne pas laisser tenir l’AG aux abords du grand marché’’. Par qui ? Mystère. Il suggéra aux responsables des commerçants de reporter la rencontre à une date ultérieure. Pendant ce temps, un dispositif se mettait en place en vue de prendre les manifestants en sandwich.

Quand Marou Sakandé, président de l’Union syndicale des Petits commerçants du Kadiogo (USPCK) monta sur l’estrade pour demander de la retenue à ses camarades, il n’eut pas le temps d’annoncer le début de l’exécution de l’ordre du jour que les premières pluies de gaz lacrymogènes ont commencé à tomber sur Rood woko. La débandade qui s’en est suivie a créé un désordre indescriptible. On ne pouvait qu’assister aux bousculades et à la chute de ceux qui se trouvaient en haut.

Le pire a été frôlé

Il a fallu se rendre sur le lieu du rassemblement et à l’hôpital Yalgado Ouédraogo pour mesurer l’ampleur de la répression. D’un côté les tas de chaussures et des chaises renversées dans tous les sens. Parfaite illustration de ce qui s’était passé. A Yalgado, l’état des blessés donnait de plus amples détails. M. Hamidou Sawadogo, commerçant dans la cour de Baba Diawara, qui a partiellement perdu sa jambe lors des affrontements verra son pied gauche amputé. Mouidine Adessina souffre lui de douleurs atroces suite aux brûlures de ces deux membres inférieurs par les gaz lacrymogènes. Deux autres commerçants viendront montrer des blessures qui seraient dues à des balles. La douille d’une cartouche a même été brandie par des commerçants à l’hôpital . Hamado Derra, qui se dit victime de ces balles attend de passer l’examen de radiologie de sa cuisse.

Ils étaient nombreux ces commerçants qui ont fait le déplacement de Yalgado pour compatir à la douleur de leurs camarades. Tous disent ne pas comprendre ce qui leur est arrivé. Le président de l’Association Namanegbzanga, Issaka T. Zoungrana a affirmé que leur AG n’était qu’une simple rencontre d’informations. Etant mandatés par leurs camarades pour les représenter au sein de la Commission de réorganisation du grand marché, les responsables qu’ils sont, ont l’obligation de faire des comptes- rendus à la base. Chose qu’ils n’ont pas faite depuis l’incendie du 27 mai 2003. Devant l’impatience des commerçants qui ne comprenaient plus rien "du devenir de Rood Woko,", ils leur avaient donné rendez-vous pour faire le point des pourparlers avec les autorités communales.

Selon M. Zoungrana, ils ont été convoqués le mercredi 11 février 2004 par la mairie centrale. A cette occasion, le maire de la commune n’aurait pas vu d’inconvénients à ce qu’ils se rencontrent le lendemain. Il se serait seulement opposé à une marche. Pour Boukari Segda, secrétaire général de la même association, c’est la présentation des boutiques-témoins du site de l’hippodrome qui a fait déborder le vase.

L’attribution de ces boutiques en matériaux définitifs à des commerçants est apparu comme un non retour à Rood Woko. D’où les explications qu’ils réclamaient de leurs responsables. Jean-Baptiste Ouédraogo ajoute que des agents de la mairie seraient même venus arracher les panneaux où est écrit "Rood Woko. Ils ne seraient venus les remettre en place que le samedi 7 février 2004. Ce qui veut dire que Rood Woko a été vendu" a-t-il conclu. Dépassé par la tournure des événements, El Hadj Issaka Kafando, président des commerçants de Rood Woko en appelle au sens de responsabilités des autorités de toutes catégories du Burkina Faso. "Les commerçants ne méritent pas un tel traitement", a lancé le président, visiblement abattu par ce qui arrive à ses camarades.

Contradictions entre commerçants et autorités communales

Les commerçants par la voix de Issaka Zoungrana, ont reconnu n’avoir pas reçu d’autorisation pour la tenue de l’AG. Mais, a-t-il renchéri "notre rencontre n’avait pas besoin d’une autorisation quelconque. Ce n’était qu’un rassemblement d’échanges et d’informations entre commerçants". D’ailleurs , les autorités municipales ont été informées et ne se sont pas opposées. Des thèses que l’on réfute du côté de la mairie centrale. Elle a rappelé qu’une délégation de commerçants a effectivement été reçue dans ses locaux le mercredi 11 février 2004 pendant deux heures.

Face à leur volonté de se rencontrer sur le site de Rood Woko, le maire Simon Compaoré aurait déclaré que le lieu n’est pas indiqué et proposé qu’ils se réfèrent à son 2e adjoint pour trouver un autre cadre.

La mairie admet qu’il y a eu des blessés lors des échauffourées. Toutefois, l’autorité municipale est formelle : "les commerçants n’ont pas eu d’autorisation ; ils ne peuvent pas organiser une rencontre".

Devant les deux versions, des interrogations demeurent sans réponse. Pourquoi les forces de l’ordre n’ont-elles pas investi la place de l’AG avant l’arrivée des commerçants ? Comment des commerçants ont pu marcher en scandant des slogans du marché de Gounghin jusqu’à Rood Woko sans être inquiétés ? Qui a donné l’ordre au dernier moment de "charger" les manifestants dès qu’ils seront attroupés en si grand nombre ? Autant de questions que les prochains jours viendront peut-être élucider.

Jolivet Emmaüs Sidibé
PAG BELEGUEM


Les journalistes comme les commerçants

Les journalistes n’ont guère été épargnés dans la répression de l’AG des commerçants de Rood Woko le 12 février 2004. Leur "goûter-voir" a même dépassé le stade des larmes dues aux gaz lacrymogènes auxquels ils étaient habitués.

Les éléments de la CRS sont allés plus loin. Le cadreur de la Radiodiffusion télévision du Burkina (RTB) , section télé, a vu sa caméra confisquée. Ce n’est que plus tard que ses rédacteurs en chef viendront la chercher non sans avoir palabré avec les forces de l’ordre.

L’appareil d’un photographe a été retiré et la pellicule détruite. Celui de Sidwaya était obligé de demander "pardon" pour ne pas recevoir des coups de matraques. Le pauvre chauffeur d’un organe de presse a été passé à tabac. Le reporter de Sidwaya n’a dû son salut qu’au cameraman du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale.

Sans être commerçants de marchandises mais d’informations, les hommes de médias ont été grandement servis. Mais pour l’instant, les journalistes n’ont pas de gilets pare-balles ni d’indemnités de risques...

Chacun sert le pays à sa manière. Les commerçants en payant les impôts et la TVA, les journalistes avec leur plume, leur voix et les images pour informer le peuple.

JESP

Sidwaya

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