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Le Burkina Faso s’inquiète des conséquences immédiates et futures du jusqu’au-boutisme des Ivoiriens (1)

Publié le lundi 3 novembre 2003 à 17h24min

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Il suffit d’ouvrir un atlas pour prendre pleinement conscience de l’impact sous-régional de la crise ivoirienne et des effets négatifs de la mise en cause de Ouagadougou par Abidjan.

C’est de part et d’autre de l’axe Abidjan-Ouaga que s’articule l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. A l’Est, le Niger, le Nigeria, le Ghana, le Togo et le Bénin. A l’Ouest, le Mali, la Guinée et la Guinée Bissau, le Liberia et la Sierra Leone, le Sénégal et la Gambie, la Mauritanie.

Sur les quinze Etats que compte la sous-région ouest-africaine, sept sont frontaliers de l’ensemble Côte d’Ivoire-Burkina Faso ! Autant dire que l’angoisse commence à transparaître chez les uns et les autres. Au-delà du choc économique et social que représente la sécession nordiste, c’est aussi la crainte d’un effet domino. Aucun des pays de l’Afrique de l’Ouest n’est vraiment bien stabilisé. Le Sénégal est depuis de longues années confronté à la rébellion en Casamance. La Guinée Bissau émerge à peine d’une douloureuse guerre civile. La Sierra Leone et le Liberia sont toujours livrés aux bandes armées dont les effets se font durablement sentir en Guinée forestière. Le Niger est chroniquement instable et le Nigeria est quasiment ingérable. Seuls le Mali, le Burkina Faso, le Ghana, le Togo et le Bénin ne connaissent pas d’affrontements armés (mais la zone sahélienne a été confrontée, il y a peu, à la rébellion touarègue).

Le scénario est connu : déstabilisation des Etats ; bandes armées ; afflux d’armes ; mercenaires ; pillage et exploitation "informelle" des sites de production ; racket organisé ; déplacements de population ; cessation des activités agricoles ; contrebande systématisée etc...

Dans ce contexte, il était essentiel d’avoir le point de vue d’un professionnel de la question. Djibril Bassolé est ministre burkinabé de la Sécurité. Ce n’est pas le ministre de la Défense. Ce n’est pas le ministre de l’Intérieur (qui, au Burkina Faso, est ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation). Autant dire qu’il est le mieux placé pour évoquer la question essentielle de la déstabilisation des Etats de l’Afrique de l’Ouest et, en l’occurence, du Burkina Faso. Bassolé est un militaire de carrière. Il est officier de gendarmerie, formé au Maroc, en Côte d’Ivoire puis en France, ancien chef d’état-major de la gendarmerie burkinabé. A la fin des années 1990, il est entré au gouvernement comme ministre délégué à la Sécurité. Un poste nouvellement créé. Il y a deux ans environ, le ministère délégué est devenu un ministère à part entière. Dans l’actuel gouvernement, Djibril Bassolé arrive en septième position après le Premier ministre, chef de gouvernement.

Qui dit "sécurité" dit aussi et, surtout, "renseignement". C’est Djibril Bassolé qui a la charge de centraliser toutes les actions de renseignement conduites au Burkina Faso. Avec la perspective de mettre en place, prochainement, une agence qui sera en quelque sorte une DGSE burkinabé. Cette activité est, jusqu’à aujourd’hui, très éparpillée entre différents ministères et différents "corps". Militaire, gendarme, ministre, Djibril Bassolé est à la confluence de tous les "services" burkinabé. Cela ne manque pas de lui faciliter la tâche mais il est vrai que dans le contexte actuel il devient urgent que Ouagadougou se dote d’une agence nationale dont l’activité unique soit la recherche et le traitement du renseignement
La "sécurité" n’était pas, jusqu’à ces dernières années, une préoccupation de Ouagadougou. Pour la simple raison que le système mis en place était bien verrouillé. Blaise Compaoré est un militaire de carrière qui a accédé au pouvoir, tout d’abord, dans le sillage de Thomas Sankara et du Conseil national de la Révolution (CNR) institué le 4 août 1983, puis, après l’exécution de Sankara, en prenant la tête du Front populaire qu’il a instauré le 15 octobre 1987. Militaire et communiste révolutionnaire, Compaoré portait une attention toute particulière à la sécurité de l’Etat burkinabé. Plus vous êtes armé, plus vos opposants sont armés, eux aussi, et tendent à utiliser des méthodes violentes. En septembre 1989, deux des dirigeants historiques de la révolution burkinabé seront ainsi éliminés du jeu politique pour comportement "militaro-fasciste" : Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani.

Mais la donne internationale (et, du même coup, nationale) va changer. Le Burkina Faso va passer, en quelques années, d’un coup d’Etat militaire "marxiste-léniniste" à un régime politiquement pluraliste et économiquement libéral. Le 2 juin 1991, la constitution de la IV ème République est adoptée et Blaise Compaoré est élu président de la République le 1 er décembre de la même année. Pour sept années.

Tout va aller très vite. Le chef de l’Etat qui a abandonné l’uniforme de para-commando pour le costume croisé va transformer la vie politique, économique et sociale du pays. Ouaga, Bobo, Banfora, Koudougou et bien d’autres villes et villages retrouvent une joie de vivre totalement éradiquée au temps de Sankara et des excès de la "révolution". Le monde des affaires renoue avec la croissance. Les infrastructures se modernisent rapidement. Le Burkina Faso vit un état de grâce. C’est le seul pays d’Afrique noire francophone totalement transfiguré en l’espace de quelques années.

En 1997, Compaoré apparaît comme un chef d’Etat incontournable sur le continent africain. Sommet France-Afrique, Sommet de l’OUA, CAN de football, sans compter le SIAO qui alterne avec le Fespaco, Ouagadougou devient une destination "tendance". La sécurité qui, trop souvent, confinait à la paranoïa, se normalise même si, parfois, de mauvaises habitudes sont constatées. C’est le cas le 13 décembre 1998. Norbert Zongo, directeur du journal L’Indépendant, est assassiné. Il enquêtait sur les exactions dont il accusait François Compaoré, un frère du chef de l’Etat (par ailleurs un de ses conseillers économiques, chargé de mission à la Présidence). Blaise Compaoré est accusé d’avoir commandité ce meurtre maquillé en accident de la circulation. Il y a bien eu crime. Et il y a, c’est une évidence, des commanditaires pour ce crime.

"L’affaire Zongo" émerge alors que Blaise Compaoré vient tout juste d’être réélu pour sept ans à la présidence de la République. En politique, il n’y a pas de hasard. En matière de "barbouzerie" non plus ! L’assassinat de Norbert Zongo ne profitait pas à Compaoré. Mais va profiter à tous ceux qui avaient intérêt à déstabiliser le chef de l’Etat burkinabé pour ses engagements ou ses prises de position. L’opposition politique, qui avait refusé de participer à la présidentielle du 15 novembre 1998, avait misé sur une abstention record. Or, le taux de participation sera de plus de 56 %. "L’affaire Zongo" va devenir, en quelque sorte, un "deuxième tour" qui n’avait plus lieu d’être ! Et une aubaine pour tous ceux qui, au plan international ou intra-africain, n’avaient pas apprécié les prises de position du chef de l’Etat burkinabé alors qu’il présidait l’OUA.

Compaoré, effectivement, avait dénoncé l’Ecomog et son mode d’intervention en Sierra Leone, la mondialisation sans justice et sans solidarité, l’ingérence de l’Onu dans les affaires concernant l’OUA (notamment en Angola), la vision franco-togolaise de la force d’interposition, la volonté de Denis Sassou Nguesso de régler seul, et sans jamais dialoguer, ses très nombreux problèmes intérieurs... Il s’était également prononcé pour la mise à l’étude de la question de l’intangibilité des "frontières artificielles", la participation de l’Union pour la démocratie et le progrès (UDPS) et les autres formations politiques dans la solution des problèmes de la RDC, la prise de conscience que "la responsabilité des guerres sur le continent est d’abord africaine ", etc.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (17/12/2002)

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