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Attentats en Egypte : Mubarak victime de ses accointances politiques

Publié le mercredi 26 avril 2006 à 08h10min

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Le sang a de nouveau coulé en Egypte. Lundi, à Dahab, station balnéaire située sur le littoral de la mer Rouge, dans le Sinaï, un triple attentat a fait 23 morts. Pour la troisième fois en moins de 18 mois, le Sinaï, haut lieu du tourisme national, vient ainsi d’être frappé en plein coeur. Aucune revendication n’a, pour l’instant, été faite.

Toujours est-il que ces opérations macabres présenteraient de fortes similitudes avec les attentats de Taba, perpétrés en octobre 2004, et de Charm-el-Cheikh, en juillet 2005. Si le djinn de la bestialité s’est échappé de sa bouteille, comment le pousser à y retourner ? Autrement dit, comment venir à bout de l’engrenage de la violence qui s’est emparé depuis quelque temps du pays des Pharaons ? Une certitude, au moins : ces attentats sont la manifestation d’un amoncellement de frustrations, et le reflet d’un désir de justice jamais assouvi.

Sont de ces frustrations - créées par un régime en place depuis vingt-cinq ans- l’ouverture patente du pays aux Etats-Unis, une position jugée intolérable et inacceptable pour les fondamentalistes égyptiens et pour une bonne partie du monde arabe, et interprétée comme étant la preuve de la soumission du régime au bon vouloir américain.

En s’attaquant indirectement à ce régime qui passe, à leurs yeux, pour un « vendu », à la solde de l’Amérique, les partisans de la méthode forte espèrent s’attirer ainsi le soutien des opinions publiques arabes, généralement critiques vis-à-vis de cette quasi-soumission aux directives américaines.

Les autorités égyptiennes reverront-elles, à la suite de ces attentats, leur stratégie globale de soutien aux Américains ? En tous les cas, force est d’admettre qu’au sein de la société égyptienne, un malaise politico-islamique est perceptible. Les Frères musulmans, organisation islamiste radicale créée en 1928 par Abd el-Rahman el-Banna, semble rétive à une ouverture à la civilisation occidentale.

Certes, elle est favorable à la mise en oeuvre de certains mécanismes démocratiques - elle se bat d’ailleurs pour cette noble cause-, mais elle tient aux principes fondamentaux de l’islam. L’acharnement des terroristes sur un secteur aussi vital de l’économie égyptienne que la filière touristique à travers notamment les hôtels de luxe, symbole de l’ouverture à l’Occident, n’est pas surprenant. Frapper là où ça fait le plus mal, telle est la démarche affichée.

De fait, si les attentats surviennent dans un contexte de forte contestation politique contre le régime Moubarak, il y a aussi lieu de croire qu’ils sont exacerbés par le manque d’une réelle volonté d’alternance politique. La violence et le terrorisme dans le monde arabe et notamment en Egypte, sont à mettre sur le compte d’un réel déficit de démocratie.

Au pouvoir depuis plus de vingt ans, le raïs égyptien, celui-là même qui dirige le pays d’une main de fer dans un gant de velours et ce, avec le soutien ferme de Washington, peut être assuré de régenter l’Egypte aussi longtemps que le voudront ses alliés, tant que l’axe Washington- Le Caire se portera à merveille, et que les deux capitales auront une harmonieuse compréhension du « terrorisme international ». Les retombées immédiates de cette parfaite entente : l’Egypte reçoit l’aide financière américaine la plus importante après Israël.

Il est vrai qu’ une toute petite ouverture avait été opérée, sans doute, sous la pression des Américains, à travers l’organisation, en 2005, des élections législatives les plus libres en 50 ans. Bien que ces consultations aient vu une percée significative des Frères musulmans, il reste que celle qui s’est positionnée comme le premier parti d’opposition est bien loin de rêver de détenir le pouvoir exécutif. Un pouvoir que, du reste, Hosni Moubarak se préparerait à transmettre à son fils, selon certains observateurs. Le recours à la bombe, dans un système politique verrouillé, est visiblement l’expression d’un désespoir politique.

Aussi les accointances de l’Egypte avec Israël peuvent-elles justifier ce qui arrive à l’Etat égyptien. Ce pays, tout comme la Jordanie, est signataire d’un traité de paix avec Israël. Dans le cadre de la lutte contre « le terrorisme international » (dirigée contre des Etats arabes), les dirigeants israélien et égyptien ont même évoqué la nécessité d’une coopération sécuritaire entre les deux pays. Une convergence de vues qui ne ferait certainement pas plaisir au monde arabe dans son ensemble. Ces frustrations tiennent aussi à des considérations d’ordre historique.

En 1973, l’ancien président égyptien, Sadate, assassiné par les Frères musulmans, entraîna, de concert avec la Syrie, l’Égypte dans la guerre du Kippour contre Israël pour essayer de reprendre le Sinaï perdu en 1967 lors de la guerre des Six Jours. Par la suite, la page de l’hostilité entre l’Egypte et Israël a été tournée. Aussi a-t-on assisté à un rapprochement entre Le Caire et Tel aviv, changeant totalement la donne.

Et puis, il y a l’Irak et le dossier du nucléaire iranien. En ce qui concerne la croisade américaine contre le voisin d’Iran, les autorités égyptiennes n’ont pas eu une position pro-irakienne.

Comme dirait l’autre, "le contexte de chaos régional et surtout la guerre en Irak ont fait naître des idées radicales chez les jeunes Arabes, qui veulent lutter, sans pouvoir combattre directement l’agresseur sur le champ de bataille. Ils cherchent donc les représentants de l’ennemi chez eux : les Occidentaux". Quant au dossier du nucléaire iranien, l’Egypte s’est montrée plus favorable à l’argumentaire occidental. Tout cela fait croire que l’Egypte est redevable de comptes aux opinions publiques arabes.

En somme, un cocktail explosif qu’il a fabriqué et qui lui explose en plein visage. Ce pays doit faire face à deux fronts : celui des organisations islamistes transnationales et terroristes, d’une part, et des formations islamistes nationales, d’autre part. Des ennuis qu’il aurait sans doute pu éviter s’il n’avait pas opté pour un couplet égypto-américain, en parfaite dysharmonie avec l’air entonné par un monde arabe qui, tant bien que mal, semble à présent vouloir s’unir face à l’impérium américain.

Le Pays

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