Burkina/Orpaillage : Sur les traces de jeunes du Ganzourgou qui abandonnent l’école pour des promesses souvent illusoires

Dans la province du Ganzourgou, région du Plateau central, des enfants et des jeunes sont attirés par les travaux sur les sites d’orpaillage. Face aux promesses souvent illusoires d’enrichissement rapide, ils troquent les bancs de l’école contre des pioches, des tamis et bien d’autres outils. Cette situation se ressent sur le taux de déscolarisation. Pour réduire le phénomène, les acteurs communautaires et les autorités mutualisent leurs actions. Reportage.
Nuages de poussière, bruits assourdissants de moulins, personnages aux visages et aux corps maquillés de terre, on se croirait dans une minoterie à ciel ouvert. Ce décor peu ordinaire se trouve à Nobsin, dans la province du Ganzourgou, à cinq kilomètres au sud-ouest de la commune de Mogtédo. Ici, un site d’orpaillage artisanal anime le quotidien du village. Dans ce tohu-bohu où beaucoup de personnes gagnent leur pitance, des abris de fortune sont en « front office » de la mine artisanale.
Difficile de faire la différence entre les habitations des orpailleurs et leurs ateliers de travail. Mais ce qui retient davantage l’attention, c’est la grande présence d’enfants. Alain Sebgo, environ 12 ans, est l’un d’eux. En cet après-midi chaud de mars, avec sa petite sœur d’à peine 5 ans, il sillonne le site. Ils sont en train de chercher et de collecter de vieux métaux pour les revendre. « Je suis venu sur le site depuis l’an dernier avec mes parents. Je suis chargé de tamiser le granit que mes parents écrasent au moulin », confie le jeune garçon, en langue mooré. Depuis longtemps, il a quitté les bancs en classe de CP1 pour suivre ses parents dans leur quête d’or. Les enfants du site ont pour point commun l’orpaillage, mais chacun d’eux a une mission et une histoire qui lui sont propres.

Assis sur un vieux moulin visiblement en panne, Harouna Sawadogo, 11 ans, observe ses aînés séparer le sable d’une potentielle présence d’or dans une bassine avec de l’eau. Le visage et les membres blanchis par la poussière, il fait savoir qu’il est le cuisinier du groupe. « Je prépare du haricot chaque jour pour les gens qui travaillent. Ils me donnent ce qu’ils ont. Souvent 500 francs CFA ou 1 000 francs CFA, en fonction des jours. Il y a des jours où je ne gagne rien », dit-il, insistant sur le fait qu’il ne cherche pas l’or comme les autres. Il n’a jamais été scolarisé et sa première activité professionnelle est de cuisiner du haricot pour les orpailleurs.
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De l’autre côté du site, Sawadate Sawadogo, assise à même le sol sur des morceaux de pagnes, tête baissée, a l’air très pensive. Visiblement enceinte, elle a, à côté d’elle, son fils d’à peine deux ans. Son mari, quant à lui, est allongé sur sa moto. Sawadate et son mari, Issaka Sawadogo, sont des déplacés internes à la recherche d’une meilleure vie grâce à l’orpaillage. Ils dorment dans une bicoque recouverte de paille et de bâches en plastique. Avant de venir à Nobsin, ils habitaient un village de la province du Sanmatenga. « Nous voulons le bien-être de nos enfants. Mais, en réalité, nous ne connaissons pas tous les dangers de santé qui les menacent. Si nous sommes ici avec eux, c’est faute de moyens et de meilleures opportunités », justifie ce père de famille. Comme Issaka et sa femme Sawadate, plusieurs couples et leurs enfants sont présents sur ce site, malgré tous les dangers qui s’y trouvent.
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Sapaga, un point clé de la migration des enfants
Route nationale N°4, carrefour de Sapaga. Cet endroit entre Zorgho et Koupéla est un axe très fréquenté par les voyageurs. Ceux qui y stationnent le plus, ce sont les petits cars. Leur objectif est de bourrer leurs véhicules avec le maximum de personnes. Parmi leurs clients, de nombreux enfants qui veulent migrer. Sapaga est à la fois une zone de départ, de transit et d’arrivée de nombreux mineurs. Vêtu d’une tenue aux couleurs du Burkina Faso, Ghislain Yougbaré, 15 ans, s’apprête à quitter le pays. Avec pour seul bagage un sac bleu accroché à l’épaule, le jeune garçon attend son car pour partir. « Je vais en Guinée-Conakry pour travailler sur un site d’orpaillage. Je connais quelqu’un là-bas qui va m’accueillir », a-t-il confié timidement. Selon lui, ses parents sont au courant de son départ et lui auraient même donné leur bénédiction.

Selon Thomas Damiba, qui travaille comme point focal au compte de l’ONG Terre des Hommes, les départs des enfants d’ici vers d’autres pays se font les lundis et les jeudis. Sa mission au niveau de ce carrefour consiste à enregistrer et à répertorier ceux qui arrivent. Quand il identifie un enfant, il le signale aux services de l’action sociale pour qu’un plan d’action individuel soit mis en place afin de le ramener à son domicile. « En deux ans, ici, j’ai identifié 393 enfants qui voulaient migrer. Une vingtaine d’entre eux ont été orientés vers les services de protection sociale », fait savoir le point focal Thomas Damiba, qui a appris à reconnaître les enfants migrants à vue d’œil.
Conscients de ces contrôles, les transporteurs utilisent des codes pour camoufler la migration des enfants vers les pays voisins. « Par exemple, quand un enfant veut aller en Côte d’Ivoire, au lieu de dire qu’il part en Côte d’Ivoire, on met sur son ticket le 25. Si c’est le Mali, au lieu d’écrire 223, ils écrivent tout simplement destination 23. Et lorsqu’il s’agit de la somme que l’enfant doit payer, vous n’allez pas voir le montant écrit entièrement. Ils peuvent écrire 50 au lieu de 50 000 francs CFA, parce que les frais de transport de ces enfants migrants coûtent plus cher que ceux d’un adulte », explique le coordonnateur du Réseau de protection de l’enfant (RPE), Albert Tarpaga, présent au carrefour de Sapaga.
Le coordonnateur précise que ces enfants, lorsqu’on les intercepte et qu’on leur demande où ils partent, ne disent jamais qu’ils quittent le pays. « Ils disent seulement qu’ils partent à Banfora, par exemple, pour voir un oncle, juste pour contourner le système de protection mis en place. Ils savent que le Burkina Faso a signé des conventions pour lutter contre l’immigration précoce », ajoute Albert Tarpaga. Il fait également savoir qu’au-delà des acteurs communautaires, ces migrants font face aux postes de contrôle de la police. Là également, ils trouvent des stratégies de contournement. « Dès que le car s’approche d’un poste de contrôle de police, les enfants descendent et marchent calmement comme s’ils étaient des habitants de la localité. Ils dépassent le point de contrôle et, plus loin, ils embarquent à nouveau », détaille le coordonnateur, qui justifie ces départs par la volonté des jeunes de gagner rapidement de l’argent pour revenir s’occuper de leurs parents.
La sensibilisation, le cœur des actions de l’ONG Children Believe et de ses partenaires
Depuis 1987, l’ONG Children Believe œuvre pour l’éducation et la protection des enfants au Burkina Faso. Une mission de terrain de discussion et de sensibilisation avec les orpailleurs sur le site de Nobsin a révélé à l’organisation une réalité alarmante. Olivia Traoré Bangré, responsable de la communication de Children Believe, partage son ressenti après la visite : « Nous avons vu des enfants en bas âge, des bébés même, portés par leurs mamans sur les sites d’orpaillage. C’est une réalité poignante qui nous interpelle. »
Ce constat direct permet à l’ONG de confirmer les informations relayées par ses partenaires locaux et lui souligne l’urgence d’agir. En effet, Children Believe ne travaille pas seule. L’organisation collabore avec des partenaires présents dans la localité tels que CREDO, EESIM, OCADES et OCED, ainsi qu’avec des ONG internationales comme Terre des Hommes. Ces synergies permettent de mener des actions de sensibilisation auprès des enfants et des parents, souvent acteurs involontaires de cette fuite scolaire. « Il y a des sensibilisations qui sont faites à l’endroit des enfants, mais aussi à l’endroit des parents qui, souvent, en réalité, sont ceux-là qui accompagnent l’enfant dans ce processus d’abandon de l’école au profit des sites d’orpaillage. Et à tous les niveaux, des actions sont menées. Au niveau local, au niveau communautaire, au niveau étatique avec nos partenaires, nous avons un certain nombre d’actions », souligne Olivia Traoré Bangré.
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Face à cette situation que Children Believe et ses partenaires ont pu toucher du doigt, l’ONG envisage de recadrer ses interventions pour renforcer la prévention et la réintégration scolaire. « Nous avons constaté une déperdition scolaire. Quand nous avons essayé de comprendre pourquoi, il se trouve que les enfants abandonnaient l’école pour se retrouver sur les sites d’orpaillage. Cette visite de terrain nous permet de voir les conditions de vie de ces enfants et leurs motivations à quitter l’école », explique Innocent Gansoré, chargé de programme de l’ONG CREDO à Zorgho, s’exprimant au nom des partenaires de Children Believe.

Un forum pour lutter contre la déperdition scolaire
L’abandon scolaire dans la province du Ganzourgou est l’une des plus grandes conséquences du travail des enfants dans les sites d’orpaillage. Pour ce faire, la mairie de Zorgho a accueilli, pour la deuxième fois consécutive, un forum dédié à la lutte contre la déperdition scolaire. L’événement a rassemblé, le 13 mars 2025, les autorités locales, les éducateurs et les partenaires techniques. Ils ont, durant toute une journée, analysé les causes profondes des abandons scolaires et trouvé des solutions à mettre en œuvre. « Ce forum a été une occasion de comprendre les causes de cette déperdition scolaire, d’échanger des solutions adaptées à notre contexte pour lutter contre l’abandon scolaire et garantir une scolarisation complète à tous les enfants du pays », a justifié la haut-commissaire du Ganzourgou, Aminata Sorgho Gouba, à la sortie de la rencontre. Elle a souhaité que les résolutions et solutions issues de ce forum ne restent pas simplement à l’état d’écrit, mais se traduisent en actions concrètes pour chaque maillon de la chaîne.

Des solutions au nombre de trois devront diminuer le départ des enfants et baisser le taux de déperdition au niveau des classes. « Il s’agit, premièrement, de renforcer la sensibilisation des parents d’élèves et des élèves eux-mêmes sur l’importance de l’école et sur les dangers des départs des enfants. Et en deuxième lieu, nous avons trouvé comme solution le renforcement et l’amélioration des rendements scolaires ; parce que, dans les causes, nous avons vu que certains enfants abandonnent pour insuffisance de travail. Et en troisième, nous avons retenu le fait de mettre en place un mécanisme de suivi et de réinsertion des enfants déscolarisés », informe la directrice provinciale de l’éducation préscolaire, primaire et non-formelle du Ganzourgou, Célestine Zagré Zoungrana, qui a dirigé les travaux de groupe du forum.

Malgré cette volonté manifeste des autorités locales et des acteurs communautaires, la réalité des enfants sur les sites d’orpaillage reste préoccupante. Entre les migrations et les conditions de travail éprouvantes, ces jeunes troquent leur avenir scolaire pour des promesses souvent illusoires. Cependant, l’implication croissante des ONG comme Children Believe, en collaboration avec les autorités locales, laisse entrevoir une lueur d’espoir. Ces actions combinées pourraient offrir la possibilité d’un futur où l’éducation reprend sa place dans le Ganzourgou, loin de la poussière des mines.
Farida Thiombiano
Lefaso.net