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De l’impérialisme colonial français en Afrique occidentale (Pr Magloire Somé)

Publié le lundi 3 mars 2025 à 22h05min

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De l’impérialisme colonial français en Afrique occidentale (Pr Magloire Somé)

Ceci est une tribune du Professeur Magloire Somé, Professeur titulaire d’histoire contemporaine à l’Université Joseph Ki-Zerbo, sur l’histoire coloniale française en Afrique occidentale. Par cette contribution parvenue à notre rédaction, Pr Somé met également en relief les visées impérialistes, la conquête, l’installation coloniale et la création de la Haute-Volta.

Fin octobre, début novembre, j’ai dispensé un cours sur la méthodologie de la recherche historique. J’ai indiqué comment après le choix du sujet, il importe d’opérer une rupture épistémologique, c’est-à-dire une déconstruction des connaissances communément admises, mais qui ne sont pas fondées sur des expériences vécues ; qui sont donc le plus souvent fausses.

Après avoir indiqué la démarche, j’ai pris des exemples sur l’histoire du Burkina Faso. Les étudiants réagissant me firent comprendre que c’est ce qu’ils ont appris depuis le primaire ; c’est ce qu’on leur a enseigné et qu’il leur est difficile de les remettre en cause.

Cette réaction des étudiants me rappelle cet enseignement de Marc Ferro dans Comment on raconte l’histoire aux enfants ? (Paris : Payot 2004, 464 pages) : « Ne nous y trompons pas, l’image que nous avons des autres peuples et de nous-mêmes est associée à l’histoire qu’on nous a racontée quand nous étions enfants. Cette représentation nous marque durant toute notre vie ».

Ces « vérités » enseignées depuis la tendre enfance sont aujourd’hui comparables aux vérités et dogmes religieux que nous sommes appelés à accepter parce qu’elles ont été dictées par Dieu aux prophètes.

J’ai compris qu’on peut contribuer à éclairer de temps en temps le peuple sur certaines questions dont il n’a pas une bonne compréhension. Aujourd’hui, les manifestations du néocolonialisme nous poussent à exprimer souvent des sentiments de réprobation et des réactions légitimes de colère souvent mal contenue. Quelque éclairage pourrait permettre de réagir en toute connaissance de cause.

En déconstruisant l’idée souvent ressassée selon laquelle, Bobo-Dioulasso fut la première capitale du Burkina Faso, les étudiants me posent des questions plus générales sur l’impérialisme colonial français. Dans ce petit écrit, je partirai des visées impérialistes à la conquête, à l’installation coloniale et à la création de la Haute-Volta. D’ores et déjà, il faut souligner que l’écriture de l’histoire est exigeante. Il faut croiser les sources, les critiquer parce qu’elles ne sont que des témoignages qui peuvent être orientés et dont les auteurs peuvent manquer de probité et de précision dans leurs dépositions. Les témoignages peuvent même contenir du mensonge, etc. Il faut surtout comprendre le texte comme source que l’on utilise pour l’écriture de l’histoire. Il faut surtout replacer les sources dans leur contexte de production pour mieux les comprendre, etc. Les historiens amateurs des médias et des réseaux sociaux finissent par dérouter l’opinion avec leurs « connaissances » souvent sujettes à caution.

En simplifiant le schéma de l’évolution des manifestations de l’impérialisme français en Afrique de l’Ouest, je prends les comptoirs fortifiés comme point de départ de la conquête. Les marchands européens se sont installés depuis le XVIIe siècle sur les côtes africaines, suivant leurs nationalités, mettant en place une administration dirigée par un répondant agissant dans le sens des intérêts de la communauté marchande. Les initiatives prises par cette administration garantissent en même temps les intérêts de la métropole. De là, la signature de traités divers d’expansion territoriale, d’exploitation de ressources et de relations commerciales, etc.

Avant même la conférence de Berlin, les métropoles prenaient des initiatives de conquêtes. La Grande Bretagne commence la conquête de l’Afrique du Sud, particulièrement du royaume zoulou dès 1876. Après avoir échoué à plusieurs reprises à vaincre les Zoulous, c’est seulement en 1879 qu’ils réussirent à s’imposer à eux. La France présente en Algérie depuis 1830 avait élaboré ses visés impérialistes, au-delà du Sahara, sur l’Afrique occidentale. Elle voulait occuper cette partie du continent de la Méditerranée à la Côte des esclaves (l’actuel Golfe de Guinée) et de l’Atlantique à la mer Rouge. De Saint-Louis du Sénégal, elle conquiert la partie occidentale du Soudan jouxtant l’océan Atlantique. En 1880, la colonie du Haut-Fleuve est créée. Le commandant Gustave Borgnis-Desbordes est nommé gouverneur de cette colonie qui correspond au Sénégal actuel. C’est Gallieni nommé gouverneur du Haut-Fleuve dès 1886 qui mène les conquêtes les plus significatives. Il affronte Ahmadou Tall, fils d’El Hadj Oumar Tall qu’il réussit à vaincre. Samory, après avoir fléchi face à Gallieni, signe le traité de Bissandougou en mars 1887 par lequel il cède la partie méridionale de son empire aux Français. Le traité spécifie du reste qu’il se place lui-même et ses héritiers sous le protectorat de la France. Mais contrairement aux termes du traité, Samory poursuit sa résistance tout en évitant un nouvel affrontement avec les Français. Du Haut-Fleuve, l’extension des conquêtes jusqu’à Ségou pris en 1890 permet de créer la colonie du Soudan le 18 août de cette même année. Louis Archinard, successeur de Gallieni en 1888 pousse les conquêtes jusqu’à Bandiagara. Après la prise de Bandiagara, l’espace non conquis du Soudan, du bassin des Voltas jusqu’au territoire de la république actuel du Niger est inscrit dans les visées impérialistes des puissances coloniales européennes.

Les Français sont en rivalités avec les Britanniques et les Allemands pour occuper le bassin des Voltas. Ils remontent de Saint-Louis et de Grand Bassam tandis que les Britanniques remontent d’Accra et les Allemands d’Aného. Les Français voulaient absolument occuper le Bassin des Voltas pour « s’ouvrir un boulevard » vers la mer Rouge. Chacune des puissances déploient des explorateurs militaires chargés de signer des traités d’amitié et de protectorat. Les Allemands envoient, les premiers dans la Boucle du Niger, Gottlob Adolf Krause en 1886 qui traverse les pays kasséna et bissa avant d’entrer à Ouagadougou le 24 septembre 1886 où il est hébergé par la princesse Baouré. Il visite le Yatenga, le pays kurumba et le Macina avant de replier sur la côte par Ouagadougou. Kurtz von François en 1888 entreprit la deuxième mission allemande en visitant les pays kasséna, bissa et gourounsi.

Les explorations françaises s’ouvrent avec les expéditions du capitaine Louis Gustave Binger en mars 1887. Celui-ci est hébergé à Bobo-Dioulasso par la princesse Guimbi Ouattara et à Ouagadougou par la princesse Baouré. Avant d’arriver à Ouagadougou, il a visité les pays senoufo, tyéfo, bobo, bwaba, marka et gourounsi. A sa suite le lieutenant Spitzer, le docteur Crozat, visitèrent les pays du Bassin des Voltas. Parfait-Louis Monteil, envoyé à Ouagadougou pour signer un traité avec le Moogo Naaba avant les Britanniques et les Allemands après les explorations infructueuses de ses devanciers, n’y parvient jamais.

Le Britannique George Ekem Fergusson, un métis fanti, entre à Ouagadougou par Koupéla le 2 juillet 1894. Il est le seul qui réussit à signer avec le Moog-Naaba Wobgo, entouré de ses dignitaires, un traité d’amitié et de protectorat après deux semaines de séjour. Au passage du docteur Crozat en septembre 1890, Naaba Wobgo avait signifié sa préférence pour les Blancs établis au sud sur la côte de l’océan. Ces Blancs, ce sont les Britanniques. Et Fergusson, ce métis est venu au nom des Britanniques.

Les Français, qui tenaient à prendre Ouagadougou, contestèrent la validité du traité. Une crise de succession au Yatenga leur permet de s’immiscer dans les affaires intérieures de ce royaume et d’en prendre possession dès 1895. Destenave envoie Paul Voulet et Julien Chanoine prendre d’abord la Boucle de la Volta dès le mois d’août 1896 à l’appel d’une partie des protagonistes des conflits internes à la région. Le 1er septembre ils prenaient Ouagadougou. A l’appel d’Hamaria le chef de la résistance des Nouni contre les envahisseurs zaberma, Voulet et Chanoine prennent le pays gourounsi et mettent le cap sur le pays gourmantché où ils appuient Banchandé contre son frère Yentuguri et prennent possession de ce pays dès le premier trimestre de 1897.

Voulet et Chanoine poursuivent leur chevauchée au Niger où ils se firent remarquer leurs brutalités sans norme, massacrant les populations jusqu’à rencontrer la forte résistance de la reine haoussa Saraouniya de la région de Dan-kassari.

De Paris, l’on eut écho des atrocités des massacres du duo Voulet-Chanoine. Le lieutenant-colonel Jean-François Klobb est envoyé pour arrêter les sanguinaires et reprendre la direction de la mission. Il les retrouve à Mayjirgui où il veut affirmer son autorité d’officier supérieur sur ses subalternes. Voulet refuse d’obtempérer, fait abattre le lieutenant-colonel Klobb et tente de s’enfuir. Il est aussitôt abattu par une sentinelle. Julien Chanoine subit le même sort. Les deux sanguinaires sont enterrés sur place à Mayjirgui. Le regard de la France est alors tourné vers le Tchad et au-delà le Soudan anglo-égyptien. Mais revenons en Afrique occidentale.

Les territoires de la boucle du Niger et du bassin des Voltas ne sont rattachés à la colonie du Soudan français qu’après conquête effective. Au fur et à mesure des conquêtes, pour des besoins d’imposition de la domination, sur proposition du gouverneur général, Paris organise, sinon réorganise les espaces conquis. Après la prise du Yatenga en 1895, de la boucle de la Volta noire, de Ouagadougou et du pays gourounsi en 1896, du pays gourmantché et des régions de Gaoua et de Bobo-Dioulasso en 1897, il s’est révélé nécessaire de créer de nouvelles circonscriptions. En 1897, alors que les résidences de Fada N’Gourma et de Say étaient rattachées au Dahomey, le reste des résidences intégrées dans la future Haute-Volta furent rattachées à la Région Est et Macina du Soudan français créée le 14 novembre 1896. En 1897, la Région Niger-Volta fut créée avec pour capitale Bandiagara et regroupait les pays de Haute-Volta, à l’exception des résidences de Fada N’Gourma et de Say alors rattachés au Dahomey, et de celle de Dori rattaché au Niger. Comme on le voit, la conquête des pays intégrés plus tard dans le territoire devenu plus tard la Haute-Volta n’a jamais été faite en un seul jour. Les différentes régions du Burkina Faso actuel ont été conquises de 1895 à 1897. C’est pour cette raison que Yacouba Banhoro et moi, en éditant l’ouvrage collectif sur l’histoire de la Haute-Volta, avons retenu 1897 comme date de fin de la conquête.

L’année suivante, en 1898, avec la prise de Sikasso en mai, la signature à Kombissiri de la convention franco-britannique de partage des zones d’influence respectives et la capture en septembre de Samory, la France considère que la conquête coloniale est achevée. Commence maintenant ce que Jeanne-Marie Kambou-Ferrand a appelé la véritable conquête, c’est-à-dire la pacification par les opérations de police. Georges Madiéga indique que le décret du 17 octobre 1899 portant réorganisation de l’AOF a disloqué le Soudan-français. Les résidences de Dinguiray, Siguiri, Kouroussa, Kankan, Kissidougou et Beyla furent rattachés à la Guinée française tandis que celles d’Odienné, de Kong et de Bouna étaient rattachés au territoire de Côte d’Ivoire. Enfin, les résidences Fada N’Gourma et Say furent rattachées au Dahomey.

Restaient les territoires du Haut-Sénégal et Moyen Niger qui étaient administrés de Kayes par un représentant du Gouverneur général. Les autres territoires où la soumission à la domination française n’était pas encore acquise ont été subdivisés en territoires militaires relevant directement de l’autorité du gouverneur général qui en avait confié l’administration à des commandants militaires. Le Premier, qui eut pour chef-lieu Tombouctou, regroupait les résidences ou futurs cercles de Tombouctou, de Sumpi, de Goundam, Bandiagara, Dori et Ouahigouya. Le deuxième était composé des résidences de Bobo-Dioulasso, de San, Ouagadougou, Koury, Sikasso, Dédougou et Lokhosso (La résidence de Lokhosso sera transférée à Gaoua en 1904, au moment du passage à l’administration civile. Mais le cercle du Lobi restait soumis à l’administration militaire ). Ainsi délimité, le Deuxième territoire militaire, dont le chef-lieu était Bobo-Dioulasso, regroupait déjà les deux tiers du territoire de la future Haute-Volta. Le Troisième territoire militaire, créé par décret du 23 juillet 1900, eut pour chef-lieu, Sorbo-Haoussa, ensuite Zinder. On détacha du Premier Territoire les résidences du Yatenga et de Dori pour les y rattacher. Les territoires militaires sont créés pour la pacification, en raison de l’insoumission des Africains dans de nombreuses régions du Soudan.

Le décret du 1er octobre 1902 crée le territoire de la Sénégambie et Niger administré directement par le gouverneur général de l’AOF. Deux ans plus tard, il est démembré par le décret du 18 octobre 1904 créant la colonie du Haut-Sénégal et Niger avec pour capitale Bamako. Le nouveau territoire résulte en fait de la fusion des deux premiers territoires militaires avec adjonction des résidences du Moyen Niger. Le Territoire militaire du Niger n’en fait pas partie. On lui ampute cependant Ouahigouya et Dori qui passent à l’administration civile et sont rattachées au Haut-Sénégal et Niger. Il reste un territoire autonome, dépendant sur le plan financier du Haut-Sénégal et Niger, mais administré par un officier supérieur répondant directement du gouverneur général. Le décret du 2 mars 1907 détache les cercles de Fada N’Gourma et de Say du Dahomey pour les rattacher au Haut-Sénégal et Niger. Il faut attendre le 1er janvier 1912, pour que le territoire militaire du Niger ait son autonomie financière et cesse de dépendre du Haut-Sénégal et Niger.

En octobre 1904, en dehors de quelques résidences comme celle de Lokhosso qui restait encore à pacifier, la France a estimé devoir instituer l’administration civile. Les résidences, circonscriptions de gouvernance militaires, deviennent des cercles. Si le terme de cercle a pu être employé à la fin du XIXe siècle pour désigner des circonscriptions administratives au Sénégal, en Guinée, en Côte d’Ivoire et au Dahomey, cette notion n’a été généralisée en AOF qu’à la fin de la pacification des pays de l’hinterland et du passage à l’administration civile en 1904. Au passage à l’administration civile, certains cercles portent des dénominations rappelant l’identité ethnique : « Cercle du Lobi », « Cercle du Mossi », etc. Il est à remarquer que l’appellation de « Cercle du Mossi » n’a jamais désigné l’ensemble des pays de la future Haute-Volta. Dès 1919, les dénominations ethniques sont remplacées par celles des localités : cercle de Gaoua, cercle de Ouagadougou, etc. A partir de 1910, l’on crée les cantons comme composantes des cercles.

L’oppression coloniale a provoqué de nombreuses révoltes dont certaines prirent le caractère de guerre anticoloniale. La première éclate chez les Toussian à partir du troisième trimestre de 1913. A la suite des Toussian, Sambla et Samogo se soulèvent. En 1914, les Touareg de l’Oudalan actuel se soulèvent à leur tour. En novembre 1915, ce sont les Marka, suivi des Bwaba, des Sana qui engagent une guerre sans merci contre le pouvoir colonial. Tout le cercle de Dédougou fut embrasé. La révolte touche le cercle de Koudougou, en particulier le Lyélo. Après la répression des révoltes, par l’entremise de certains auxiliaires africains de l’administration coloniale, il s’imposait de réorganiser le Haut-Sénégal-Niger. Dans l’immédiat, la colonie est réorganisée dès 1917 en six régions subdivisées chacune en cercles. On recourut aux dénominations de type géographique ou socioculturel : région Bambara-Malinké (chef-lieu Bamako), la région de La Volta (Bobo-Dioulasso), la région du Mossi (Ouagadougou), du Macina (Mopti), de Tombouctou (Tombouctou) et du Sahel (Nara).

La solution censée être la plus durable a consisté au démembrement du Haut-Sénégal-Niger par la création de la colonie de Haute-Volta par décret du 1er mars 1919. Mais selon les intérêts du colonisateur français, ce territoire fut disloqué en 1932 et reconstitué en 1947 à la demande du Moogo Naaba appuyée par une coalition de forces.

Pour répondre aux échanges orduriers que nous rencontrons dans les médias et les réseaux sociaux, il faut relever que jamais l’ensemble du territoire du Burkina Faso n’a été conquis en un seul jour, le 1er septembre 1896, et n’a été appelé « Cercle du Mossi ». Le chemin de fer, n’était pas celui du Mossi, mais de l’Abidjan-Niger qui arrive en 1934 à Bobo-Dioulasso. A la demande du Moog-naba Kom II, le tronçon Bobo-Dioulasso – Ouagadougou a été construit. Le chemin de fer arrive à Ouagadougou vingt ans plus tard, en 1954. Pour tout le reste, je renvoie les lecteurs à notre dernier ouvrage :

Magloire Somé, Yacouba Banhoro, Histoire de la Haute-Volta de 1897 à 1947. Création, dislocation et reconstitution. Paris : Hémisphères éditions/Maisonneuve et Larose, 2024, 600 pages. Cet ouvrage sera bientôt disponible dans nos librairies.

Magloire Somé

Professeur titulaire d’histoire contemporaine

Université Joseph Ki-Zerbo

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