FESPACO 2025 : « Pour mes petites épaules, c’est un vrai challenge », dixit Chloé Aïcha Boro, réalisatrice burkinabè en course pour l’Étalon d’or

Photo prise lors de la 28e édition du FESPACO. La réalisatrice venait de recevoir un prix spécial de la part de l’UEMOA
Chloé Aïcha Boro est l’une des deux Burkinabè en lice pour l’Étalon d’or de Yennenga dans la catégorie fiction long métrage. Avec son œuvre, elle porte sur ses épaules, l’espoir de tout un peuple. Dans cet entretien qu’elle a accordé à Lefaso.net, Chloé Aïcha Boro, a philosophiquement partagé ses pensées. Elle a en outre décrit les conditions de tournage de son film et la thématique abordée.
Lefaso.net : Qui est Chloé Aïcha Boro ?
Chloé Aïcha Boro : Elle est humblement une rêveuse qui a gardé son âme d’enfant et qui est prête à faire tous les sacrifices nécessaires pour les réaliser. Elle met ses tripes et sa vie sur la table pour toucher du doigt ses songes d’enfants. Elle est la petite fille de Dédougou (région de la Boucle du Mouhoun) qui s’est donnée comme seul but dans la vie de toucher du doigt ses rêves qui sont pour la plupart du temps, des rêves artistiques. Elle aime raconter des histoires à travers la littérature, le cinéma et la chanson.
17 films de 16 pays sont en compétition pour s’offrir l’Étalon d’or de Yennenga dans la catégorie fiction long métrage. Vous et un autre réalisateur représentez le Burkina Faso. Quel est votre ressenti ?
Je me sens toute petite. C’est dingue de se retrouver dans la même catégorie qu’un Dani Kouyaté. J’étais encore étudiante quand j’ai découvert son œuvre « Sia, le rêve du python ». J’avais aussi vu son magnifique documentaire « Joseph Ki-Zerbo, identités, identité pour l’Afrique ». J’étais allée à la projection et je m’étais battue ardemment pour participer aux débats à l’issue de la projection. D’ailleurs, j’ai pu assister à la projection parce que c’était gratuit. Si ça avait été payant, je n’y aurais pas pu assister. J’étais une étudiante ‘’galèreuse’’ de Ouagadougou à l’époque. C’était très compliqué pour moi de payer un ticket. Me retrouver dans la même compétition que de si grands noms, c’est surréaliste.
Je ne m’en rends même pas compte. La petite fille en moi serait presque tentée de prendre ses jambes à son cou. Mais ce que veut vraiment cette petite fille, c’est d’arriver comme une guerrière dans cette arène et marcher la tête haute parce que le ciel aura été clément et abondant. C’est un film autoproduit. C’est un honneur de se dire qu’on a la chance de pouvoir représenter son pays. C’est un honneur incroyable, de me dire que de ma petite place, je vais pouvoir représenter le Burkina Faso. J’ai de la gratitude envers le ciel et l’enfant en moi qui a osé rêver.
N’êtes-vous pas angoissée de savoir que tous les regards des Burkinabè soient rivés sur vous ?
Pour mes petites épaules, c’est un vrai challenge parce qu’encore une fois, qui suis-je ? Je ne suis rien, je ne suis personne, comme le dit la chanson. Et en même temps, se dire qu’il y a une attente à l’échelle d’un pays, c’est tellement d’honneur. On a envie d’être à la hauteur. On a envie de porter le plus haut possible le drapeau du pays dans cette belle compétition continentale. Ma prière formulée est à ce niveau-là. Et à la fois, comment oser espérer et attendre quoi que ce soit quand on a d’aussi prestigieux challengeurs en face. C’est angoissant, j’essaie de ne pas y penser et d’oublier, mais ça vient me chercher évidemment. Ce sont des espoirs, et ce n’est pas oser espérer quoi que ce soit. On parle quand même de la compétition officielle qui n’est pas n’importe quoi.
De quoi parle votre œuvre cinématographique « Les Invertueuses » et pourquoi avez-vous abordé cette thématique ?
Je vis à l’extérieur et je sais que j’appartiens à un pays qui est en guerre contre le terrorisme. Je suis de tout cœur avec mon pays, mais malgré tout, je le réalisais sans le réaliser. C’est lors du précédent FESPACO (2023) que j’ai pris conscience de certaines choses. Pendant la cérémonie d’ouverture, qui était belle, résiliente et vertigineuse, j’en profité pour saluer tous ces talents qui ont mis en place ces chorégraphies, je me suis parlée à moi-même et oralement. J’ai dit à mon voisin qui était mon producteur, qu’on est dans un pays en guerre. Je me rappelle, quand je suis rentrée chez moi, j’ai dit à mes enfants : « vous savez, nous appartenons à un pays qui est en guerre ».
Tout d’un coup, je me suis posée des questions. Le corps, c’est une assignation à résidence. On ne choisit pas son corps. On ne peut pas sortir de son corps. On le sait, dans tous les pays du monde, en temps de guerre, le corps de la femme est un enjeu de domination. Sur les terrains de guerre, les femmes se font violer. Mon film ne parle pas de cette thématique, mais il traite de la question du corps de la femme. Dans mon film, il y a cette grand-mère à qui tout le monde dicte tout. Parce qu’elle a plus de 65 ans, elle n’a plus droit au plaisir, au désir, aux sentiments et à l’amour. Et pourtant, c’est son corps, donc elle y a droit. Je ne voyais pas comment on pouvait traverser ce long temps de guerre, cette période sombre de notre histoire que le pays mène avec bravoure, sans parler de l’impact sur le corps de la femme.
C’est aussi l’un des sujets du film, à savoir la liberté d’être soi-même, de cette grand-mère à qui on veut imposer beaucoup de choses. Il faut de la retenue dans la vie, mais jusqu’à quel point ? Parce qu’on a 65 ou 70 ans, on n’a plus le droit d’aimer ? Si son corps parle, a des désirs et que son cœur a des sentiments, a-t-elle le droit ? Et encore en temps de guerre où les hommes pensent qu’ils ont encore plus de droits sur le corps de la femme. Je profite de l’occasion pour saluer la résilience de nos militaires par rapport à la situation.
Vous l’avez tourné pendant combien de temps ?
Le film a été tourné pendant plus d’un mois. Mais, je n’ai pas eu de vie pendant toute l’année 2024. Déjà, dans la deuxième moitié de l’an 2023, j’étais plongée dans le travail, étant donné que j’ai écrit seule le scénario et assumé toute la préparation comme je n’avais pas d’argent. Il a fallu assumer énormément de postes par moi-même. On a tourné en début 2024, de février jusqu’en début mars. Jusqu’à la dernière minute, je ne savais pas si j’allais réussir à aller jusqu’au bout.
Quelles ont été les difficultés rencontrées avant et pendant le tournage ?
Tout était lié à l’argent, parce qu’avec l’argent, on soulève des montagnes aujourd’hui. Sans argent, tout est beaucoup plus difficile. Pendant la préparation jusqu’à la dernière minute, on ne savait pas si on allait réussir à tourner jusqu’au bout. Je ne savais pas si on allait réussir à payer tout le monde, finalement ça a été fait. Rien n’était gagné d’avance. Tout a été une lutte, j’ai l’impression d’être revenue à mes années de jeunesse avec mon premier roman « Parole d’orpheline » qui avait été édité quand j’avais 17 ans. J’avais écrit dans ce roman que chaque miette était une bataille. Pour « Les invertueuses », chaque miette a été une bataille. C’est pour cette raison que ma prière formulée et informulée à l’endroit de l’univers c’est de pouvoir moissonner. Que toute cette lutte, cet acharnement et abnégation avec son cœur et ses tripes sur la table puissent se matérialiser en une belle moisson. Que les cieux ouvrent les vannes de la bénédiction et de la reconnaissance des pairs et que 2025 soit enfin l’année de la récolte et de la moisson.
Pensez-vous que vous avez toutes vos chances ?
L’avenir nous le dira. Je sais qu’il y a de très grands noms en face et moi, je ne suis personne. Je ne suis que la petite fille de Dédougou qui rêve et qui continue de mettre toute son âme à essayer de toucher du doigt ses rêves. Je laisse la réponse au ciel parce que je ne suis personne pour avoir une réponse à cette interrogation. Comme Esther dans la Bible qui trouve grâce aux yeux de son roi, j’aimerais aussi trouver grâce aux yeux de mes pairs qui jugeront notre travail.
Quel état des lieux faites-vous des contenus cinématographiques au Burkina Faso ?
Je suis toujours très impressionnée parce qu’avec des petits bouts de ficelles et des petits moyens, mais avec de grands talents et beaucoup de cœur, les gens font énormément de choses. Si vous saviez avec quels bouts de ficelles on a fabriqué mon film… C’est l’occasion pour moi de saluer tonton Bill Traoré qui a fait la décoration avec trois fois rien parce qu’il n’y avait pas d’argent. Bill, David et Aude Ouédraogo ont fabriqué tout le décor du film avec des bouts de ficelles. C’est la preuve qu’il y a des talents et du cœur dans notre pays. Il y a de vrais talents comme Bakary Sanon qui a géré de mains de maître toute cette équipe en tant qu’assistant réalisateur. Cet homme était vraiment à sa place sur le plan professionnel et humain.
Évidemment, c’est un être humain comme chacun de nous, il y a par moment des failles chez moi comme chez lui. Je salue aussi l’équipe costume. Les filles au maquillage qui sont encore en formation auprès de leur cheffe Françoise avaient tellement de cœur et de talent. Je salue toute l’équipe de manière générale, dont les acteurs qui ont un talent incroyable. C’était un rêve pour moi de faire jouer Serge Henry, ce qui a été réalisé dans ce film. J’avais toujours le sentiment que son talent était sous-exploité. Je trouvais que les réalisateurs pouvaient aller chercher plus en lui. Je ne sais pas si j’ai pu relever ce défi, mais, c’était un bonheur de travailler avec lui ainsi que l’actrice principale et les autres acteurs. J’ai côtoyé des talents immenses et c’était une grande chance pour moi.
Vous êtes surtout connues pour faire des documentaires, pourquoi avez décidé de faire une fiction pour cette œuvre ?
Au début de ma carrière dans le cinéma, je voulais faire une fiction. Seulement, je n’avais jusque-là pas réussi à convaincre des producteurs et à trouver des financements pour faire de la fiction. Finalement, j’ai forcé le destin en m’autofinançant. Ce n’est pas la raison pour laquelle je faisais des documentaires. J’aime énormément les documentaires. J’avais des choses à raconter en documentaire. Je suis contente que la vie m’ait permis de réaliser des documentaires pendant plus de 10 ans et de pouvoir exprimer ce que j’avais à dire par cette discipline cinématographique. J’ai écrit mon tout premier scénario de fiction il y a pratiquement 20 ans aujourd’hui.
Quels conseils avez-vous à donner aux femmes qui souhaitent se lancer dans le cinéma ?
J’ai toujours eu peur du mot « conseil » parce que cela suppose que je peux dire quoi faire, alors que je ne sais pas, j’apprends tous les jours. Je fais beaucoup d’erreurs, j’essaie de grandir de mes erreurs. Je suis une personne qui doute beaucoup. Le mot « conseil » ne correspond pas forcément à ma complexion. Par contre, si je vais enlever ce mot et essayer de répondre à votre question, je peux dire à ces femmes que nous sommes fortes. Toutes les femmes sont fortes et ont des tripes. Il faut se marier à son cinéma parce que, pour vraiment faire du cinéma avec son cœur et son âme, on ne laisse pas de place à beaucoup d’autres choses. J’ai mes trois enfants et j’en suis ravie.
Mais sincèrement, à part mes enfants, je n’ai pas une grande place dans ma vie pour quoi que ce soit d’autre. Je ne peux pas consacrer du temps à un homme, à vouloir le satisfaire en lui cuisinant des petits plats. Je ne peux pas, je n’ai pas le temps. Je suis mariée à mon célibat. Je ne peux pas passer mon temps à tenir une maison parce qu’il y a un mari à satisfaire. Ma vie est consacrée au cinéma et à mes enfants. Je ne dis pas que c’est la même chose pour tout le monde. Il y a ceux qui parviennent à concilier la vie de couple avec le cinéma. Mais ce n’est pas mon cas. J’ai l’impression que le cinéma nous donne beaucoup, mais, il demande tellement de notre temps, de notre énergie et de tout ce qu’on a à lui donner, qu’on ne peut pas le faire à moitié. Il faut savoir ce que l’on veut. Si on veut le cinéma, il faut le choisir jusqu’au bout. C’est ce que je peux dire avec sincérité.
Samirah Bationo
Lefaso.net
Bio-filmographie de la réalisatrice Chloé Aïcha Boro
Écrivaine et cinéaste burkinabè, après des études universitaires de lettres modernes, elle commence comme journaliste dans la presse écrite. Elle se met au documentaire avec un premier long métrage remarqué : « Farafin ko », maintes fois primé.
Suivi d’un deuxième long : « France au-revoir, le nouveau commerce triangulaire ». Elle signe son troisième long métrage, « Le loup d’or de Balolé », Étalon d’or du long métrage documentaire au Fespaco 2019, et Trophée francophone du meilleur documentaire 2021 de l’espace francophone. Son dernier long métrage : « Al Djanat » remporte le prix documentaire Encounters Al Jazeera 2024 en Afrique du Sud. Et les prix des compétitions internationales MajorDocs 2024 et au FICAA 2024 en Argentine. « Les invertueuses » est sa première fiction. Chloé Aïcha Boro est aussi productrice.