Burkina : Fadilatou Karambèga, la technicienne et entrepreneure qui déconstruit les clichés du travail

Allier passion et profession, c’est le pari réussi de Zénabou Fadilatou Kiswensida Karambèga. Ingénieure en hydraulique et chargée HSE (Hygiène-Sécurité-Environnement) dans une entreprise minière, elle est aussi entrepreneure dans la fabrication d’épices naturelles. Entre les défis d’un secteur technique dominé par les hommes et la gestion d’une activité agroalimentaire, elle incarne la résilience et l’audace. Portrait d’une jeune femme qui déconstruit les clichés et inspire sa génération.
Ce qui distingue véritablement Fadilatou Karambèga, c’est sa capacité à allier ses compétences techniques à un esprit entrepreneurial. Elle s’est inspirée de sa mère qui est une passionnée de cuisine et de mélanges d’épices à base de plantes. La jeune entrepreneure a donc transformé les habitudes culinaires de sa génitrice en un business. Aujourd’hui, elle propose plus de 26 variétés d’épices 100% naturelles et bio. Du poivre noir à la cannelle, en passant par des créations uniques comme son « sel aromatisé » destiné à remplacer les bouillons chimiques, la jeune entrepreneure ne manque pas d’imagination dans ses fabrications. Il est important pour elle d’élaborer des épices sans additifs chimiques pour une alimentation saine sans compromettre le plaisir gustatif de ses clients.
Un parcours parfois troublé par le genre
Fadilatou Karambèga est actuellement chargée HSE (Hygiène-Sécurité-Environnement) dans une entreprise minière. Naviguer dans un domaine technique jugé très souvent masculin n’a pas été chose aisée pour elle. Très souvent seule femme dans des environnements dominés par des hommes, elle a dû affirmer son autorité et gagner le respect par son expertise et sa détermination. « Il n’a y a pas beaucoup de filles qui s’intéressent à mon domaine d’étude. Au début, quand je disais à mon entourage que je voulais faire cette filière assez technique, ils m’ont demandé pourquoi je ne choisis pas l’économie plutôt ? Parce que pour eux la filière que j’ai choisie est plus réservée aux hommes. J’ai refusé de les écouter car c’est un choix volontaire et je me suis donné les moyens d’y réussir. Et avec le temps, j’ai eu le soutien de ma famille » explique la jeune fille avec fierté. Elle reconnaît néanmoins que la réalité est parfois difficile en tant que femme.
« Si, par exemple, très souvent quand je dois travailler sur un site ou un chantier BTP, il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes. Être la seule femme et avoir parfois à donner des ordres à des hommes qui pourraient avoir l’âge de mon père ou de mon grand frère, ce n’est pas évident. Donc, il faut déjà avoir la tête sur les épaules, pouvoir faire la part des choses, faire asseoir son autorité tout en respectant la personne en face de soi. Au début pendant mes stages, il arrivait que je doive prendre la parole face à plus de 200 ou de 300 hommes. Et je me suis plusieurs fois demandé comment est-ce que je vais y arriver » a-t-elle raconté précisant qu’il y a eu des moments où elle avait envie d’abandonner. Mais qu’il s’agisse de la rigueur des études, des clichés, des défis professionnels ou de la gestion d’une production d’épices face à des commandes imprévues, rien ne freine Fadilatou. Au contraire ce sont des obstacles qui ont participé à renforcer sa résilience et son envie de montrer que rien n’est impossible quand on croit en ses rêves.
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Son premier soutien : sa famille
Fadilatou Karambèga est perçue dans sa famille comme une jeune femme dynamique qui conjugue avec brio ses études et son activité entrepreneuriale. Sa mère est son premier soutien surtout pour son entreprise. C’est en 2019, après l’obtention de son baccalauréat, que cette dernière lui suggère de faire des épices à base de plantes locales. C’est ainsi que les choses commencent pour Fadilatou avant même ses études universitaires. « Je suis vraiment reconnaissante envers ma mère pour ses conseils, son soutien et son amour. Elle est ma première source d’inspiration et un véritable boost pour moi dans tout ce que je fais », indique la jeune fille. Passionnée et persévérante, elle s’investit pleinement dans ses projets. Awa Tapsoba Ouédraogo, sa tante, témoigne de ce dynamisme avec fierté. « C’est une fille que j’ai vue naître, une fille qui a toujours excellé. À l’école primaire, au collège, au lycée, comme dans son cursus universitaire. Et au-delà de ça, c’est une petite qui travaille à nos côtés, dans les travaux domestiques. J’apprécie le fait qu’elle ne se pose pas de limite dans le travail. Selon moi, c’est une bonne idée de cumuler deux choses à la fois, les études et l’entrepreneuriat. Je l’admire parce que ce n’est pas facile », a exprimé sa tante qui est très proche d’elle. Ce soutien familial joue un rôle clé dans le parcours de Fadilatou, lui permettant d’aller au bout de ses ambitions avec confiance et détermination.

Entre ses déplacements réguliers entre Mogtédo ou elle travaille et Ouagadougou, ses cours et ses engagements sur le terrain, elle peut compter sur toute sa famille pour que sa petite entreprise fonctionne à son absence. Sa capacité à jongler avec ces multiples responsabilités est certes le fruit de l’organisation et d’une volonté inébranlable de réussir, mais surtout celui du soutien que lui apporte sa famille.
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Un message d’encouragement pour les jeunes filles
À travers son parcours, Fadilatou Karambèga veut inspirer les jeunes filles à croire en leurs ambitions et à ne pas se laisser freiner par les stéréotypes de la société. Pour elle, aucun rêve n’est trop grand tant que l’on se donne les moyens de le réaliser. « Moi, je dirais de croire en ses rêves. Elles n’ont qu’à croire en leurs rêves et se dire que rien n’est impossible. Qu’elles se donnent la capacité de réaliser ce qu’elles voudront faire. Nous sommes au 21e siècle et on peut, autant que les hommes, relever les défis du travail. »
Elle insiste sur l’importance du courage, de la persévérance et surtout de la foi. Pour elle, les échecs ne doivent pas être vus comme une fatalité, mais plutôt comme des opportunités d’apprendre et de se relever encore plus forte. « Même si on tombe dix fois, on va se relever onze fois, comme on le dit souvent. Peu importe les difficultés, on ne lâche pas parce qu’il n’y a rien de facile », insiste-t-elle.
Fadila encourage également les jeunes entrepreneures à ne pas se laisser décourager par le manque de soutien autour de soi. Elle croit fermement qu’avec du travail et des résultats concrets, la famille et l’entourage finiront par comprendre et accompagner. « Ce n’est pas tout le temps facile d’avoir le soutien de sa famille. Mais il faut juste trouver la manière de leur expliquer ce que l’on veut faire et leur prouver que c’est quelque chose qui nous tient vraiment à cœur. » Fadilatou Karambèga se projette déjà dans l’avenir. Elle souhaite développer Rinôgô, sa marque en une entreprise prospère et reconnue au-delà des frontières tout en faisant carrière comme HSE.
Farida Thiombiano
Lefaso.net