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Burkina : « Nos médias sont construits en fonction de celui qui les dirige, s’il n’est pas là, le média tombe », Ifzou Kiemdé, journaliste et analyste politique

Publié le dimanche 9 février 2025 à 22h45min

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Burkina : « Nos médias sont construits en fonction de celui qui les dirige, s’il n’est pas là, le média tombe », Ifzou Kiemdé, journaliste et analyste politique

Selon le journaliste Ifzou Kiemdé, les médias constituent une force de pression. Et dans ce contexte de crise que vit le Burkina Faso, ils peuvent jouer un grand rôle dans la reconquête du territoire aussi bien que le repositionnement du pays sur la scène internationale. Pour y arriver, il faut une bonne organisation permettant aux acteurs de mener efficacement leur mission. Malheureusement, déplore-t-il, les médias burkinabè sont construits en fonction de celui qui les dirige. « Si celui qui les dirige n’est pas là, le média tombe. On ne construit pas des entreprises », a-t-il déclaré. Dans cette interview, il dénonce aussi l’instrumentalisation de la presse. Pour lui, les médias ont été utilisés sur l’aspect politique pour aboutir à l’insurrection populaire. La presse burkinabè doit se réinventer et s’adapter au contexte, a-t-il lancé.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter davantage ?

Ifzou Kiemdé : Je suis journaliste à la RTB/radio. Mais actuellement, je suis reparti à l’Institut des sciences et techniques de l’information et de la communication (ISTIC) pour parfaire ma formation. Et je suis actuellement stagiaire en journalisme, c’est-à-dire la catégorie A1 de la fonction publique. Je vais sortir conseiller en sciences et techniques de l’information et de la communication.

Comment êtes-vous arrivé dans le journalisme ?

Je suis arrivé dans ce métier par concours direct. J’ai postulé à plusieurs fonctions. Très sincèrement, c’est la dénomination du journalisme qui m’a attiré. C’était « agent spécialisé en sciences et techniques de l’information et de la communication ». J’ai été admis à trois concours, notamment l’action sociale, l’enseignement et celui de l’ISTIC en 2011. J’ai opté pour l’ISTIC. J’ai été aussi guidé par un grand frère dans le choix de ces concours qui m’avait conseillé de choisir le journalisme. À l’époque, la fonction publique voulait seulement deux personnes à ce poste. J’étais premier sur la liste. Voici comment je suis arrivé dans le journalisme.

Faut-il comprendre par là que votre arrivée dans le journalisme est un concours de circonstances ?

Pas du tout. Comme les résultats du concours de l’ISTIC ont été publiés avant les autres, beaucoup de personnes de mon quartier pensaient que j’étais allé à l’action sociale. Quand je leur ai dit que je suis devenu journaliste, elles disaient que j’ai eu mon travail. C’est pour vous dire que cela n’a pas étonné les gens et que j’aimais déjà le journalisme avant d’embrasser le métier. Donc, ce n’est pas un concours de circonstances. Pour la petite anecdote, mon papa était artiste. Je partais le représenter dans plusieurs activités. J’avais affaire à la radio. J’ai même été interviewé à plusieurs reprises. À l’époque, la radio était en vogue. La radio m’enchantait. Autre aspect aussi, lors du 40e anniversaire de la radio nationale en 1999, elle avait organisé une compétition artistique. C’est mon père qui a remporté le trophée. Et moi, j’avais ce trophée comme symbole de satisfaction envers mon père.

Régulièrement, on écoutait la radio, les informations sportives, parce qu’à l’époque, on n’avait pas la télé, mais la radio nationale couvrait toujours. Donc c’est pour vous dire que j’étais prédisposé à faire ce métier. Depuis tout petit, j’aimais les débats, j’aimais même jouer le rôle de journaliste, à faire des retransmissions des matchs, à présenter le journal.

Nous avons appris que vous aviez réussi au concours avec le niveau BEPC. Vous confirmez ?

Oui, j’avais seulement le BEPC quand je passais le concours et j’ai été le premier sur la liste. Après, j’ai fait deux ans de formation à l’ISTIC. J’y suis entré en 2011 et j’en suis sorti en 2013. Je suis revenu à travers un concours professionnel en 2017 pour sortir en 2019, c’est-à-dire le bac+2 et je suis revenu en 2023. Je dois sortir en 2025, bac + 2. Cela fait pratiquement une dizaine d’années que je me forme dans le journalisme.

Sinon, je n’avais même pas le baccalauréat quand je suis venu au journalisme. J’ai eu le brevet en 2000 et j’ai eu le concours en 2011. Comme je vous disais quand j’ai fait le concours, je n’avais pas le bac. Après avoir réussi au concours et après avoir fait deux ans de formation à l’ISTIC, je suis allé passer le bac. Je faisais la série D. Comme c’est un bac littéraire qui permettait de faire ce concours, je suis allé faire le bac A. J’en connais beaucoup qui ont commencé le journalisme avec le BEPC. La première promotion de cette école a été recrutée avec le niveau BEPC. Il y en a parmi eux qui ont par la suite poursuivi leur cursus pour décrocher un doctorat.

Depuis un moment, nous avons constaté votre absence sur les plateaux de débats à la télévision. Qu’est-ce qui explique cela ?

Je suis un journaliste de la fonction publique, donc travailleur de la fonction publique. La fonction publique est régie par des textes. Lorsque vous êtes stagiaire, vous devez vous consacrer au stage. Vous devez plus vous consacrer à votre stage. Ensuite, le temps de l’école ne nous permet plus d’être vraiment dans les conditions pour aller sur un plateau. Ce sont les raisons, sinon il n’y a pas de problème, je n’ai pas été sanctionné. C’est une question de planning, et mon planning ne me permet pas d’intervenir sur un plateau.

Quelle appréciation avez-vous de la pratique professionnelle dans ce contexte de crise ?

Une fois, l’actuel Premier ministre avait dit, quand il était le ministre en charge de la communication, qu’il n’y a pas de journalisme hors-sol. Par là, je dirai qu’il y a déjà une réalité sociologique et pratique. Est-ce qu’aujourd’hui, un journaliste peut-il se lever sans l’aide des forces de défense et de sécurité pour faire un reportage à Djibo ou à Sebba ? Il faut se poser déjà cette question. S’il n’est pas encadré par les forces de défense et de sécurité, je pense qu’il ne reviendra pas. Je pense que la pratique journalistique au Burkina Faso est en régression. Il y a une floraison de médias, mais la pratique elle-même est en régression. Cela peut être dû aussi au rajeunissement prématuré des acteurs, à la non-maîtrise des genres journalistiques, à l’influence des structures de communication sur le traitement de l’information, à la régression des libertés individuelles, mais aussi au contexte sécuritaire que nous vivons.

De nos jours, quand vous demandez aux Burkinabè leurs besoins primaires, ils vous diront la sécurité d’abord. La liberté d’expression ne viendra pas en première position. Pour ceux qui connaissent le Burkina Faso, il y a eu des périodes où des maisons de presse ont été saccagées.

Pendant l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, les médias publics ont été pris à partie par les insurgés qui ne se reconnaissaient pas dedans. La radio nationale a été saccagée, la télévision nationale aussi. Pendant le coup d’État manqué du 16 et du 17 septembre 2015, Radio Omega a été prise à partie, Savane FM aussi. Pendant la révolution, L’Observateur Paalga a été pris à partie. Récemment, beaucoup de journalistes ont été l’objet d’intimidations.

D’aucuns estiment que la presse est mise au pas. Est-ce que vous avez aussi cette perception ?

C’est comme ce que je vous disais plus haut. Est-ce qu’aujourd’hui un journaliste peut se rendre dans la région du Sahel seul sans l’encadrement des forces de défense et de sécurité pour travailler ? C’est-à-dire qu’on limite déjà son champ d’action. Quelqu’un ne peut pas te protéger pour aller faire un travail, et tu vas venir dire le contraire. C’est l’endroit où ils veulent que tu ailles, qu’ils vont t’envoyer. C’est déjà une réalité sociologique, une réalité pratique.

Vous parlez de rupture générationnelle, qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Les gens n’ont pas souvent de recul pour analyser la pratique professionnelle dans plusieurs domaines. L’ISTIC, par exemple, a été créé pour former des journalistes. Avec la crise des pays de l’Afrique à travers les programmes d’ajustement structurel, l’État a abandonné un certain nombre de secteurs. Et l’ISTIC avait fermé ses portes. En son temps, pour se former en journalisme, il fallait partir à l’école du Conseil de l’Entente au Togo, ou partir au Cameroun ou encore au Sénégal. Ils sont combien qui peuvent y aller ? Il fallait avoir une bourse.

Quand la vague de ces journalistes formés à l’extérieur, c’est-à-dire en France et ailleurs, est allée à la retraite, il y a eu un fossé. Il y a eu une rupture brusque qui n’a pas permis à certains de pouvoir transmettre leurs connaissances. L’autre aspect est que les crises sociopolitiques ont impacté le corps du journalisme, puisque c’est un corps intimement lié à l’actualité.

Les gens avaient travaillé à politiser le corps. Vous vous rappelez ici, on avait des journalistes pro-CDP, des journalistes pro-opposition, ainsi de suite. Et quand il y a eu l’insurrection, cela a impacté sur le corps.
Et il y a aussi eu une catégorie de journalistes qui a quitté à la limite les médias pour les directions de communication. Après quelques années d’expériences dans le journalisme, beaucoup quittent les rédactions pour faire de la communication. Conséquence : les rédactions sont vidées d’un coup. Alors qu’on dit que le journaliste est comme du vin qui se bonifie avec le temps.

Comment peut-on expliquer cette situation alors ?

Tout simplement parce que les changements politiques ont amené les acteurs politiques qui venaient d’arriver à vouloir des journalistes pour les accompagner dans leur communication. Donc ils ont cherché les journalistes pour les mettre dans les directions de communication.

L’Internet a démocratisé la parole. Et les réseaux sociaux sont vus comme les concurrents des journalistes. Comment le journaliste doit-il se comporter pour marquer la différence par rapport aux usagers des réseaux sociaux ?

C’est un aspect qui a contribué à noyer le travail des journalistes. Si vous n’avez pas de journalistes qui ont de l’expérience, qui sont des spécialistes, qui ont marqué le monde de la presse par leurs plumes, il sera toujours difficile de donner de la perspective à l’information.

Selon Ifzou Kiemdé, les médias doivent se réinventer pour être en phase avec les défis du moment

Vous avez de jeunes journalistes qui passent leur temps à traiter l’information factuelle, qui n’utilisent pas ce qu’on appelle les genres élaborés dans le traitement de l’information. Les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont libéré la parole. Et les citoyens, depuis Falagountou ou depuis la Chine, peuvent avoir accès à une panoplie d’informations. Souvent, on ne les informe pas, on les met au courant de quelque chose. Si la mise en forme de l’information, qui était la spécialité du journaliste, ne se fait plus et c’est le traitement de l’information factuelle, vous serez comme les blogueurs, ceux de Facebook ou les activistes. Puisqu’ils peuvent faire la même chose. Donner de la perspective, donner de la profondeur à l’information, c’est cela le journalisme. Si les journalistes n’apportent pas un plus à l’information et se contentent de reprendre l’information factuelle, ils ne sont pas loin des activistes. Lire la suite

Interview réalisée par Serge Ika Ki
Lefaso.net

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