Burkina : La politique étrangère sous Lamizana, une diplomatie pragmatique

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Arrivé au pouvoir le 3 janvier 1966 à la faveur d’un soulèvement populaire, Sangoulé Lamizana a adopté une politique étrangère pragmatique, conciliant « réalité interne, intérêt national et environnement extérieur », basée sur « la nécessité d’éviter toute discrimination arbitraire dans la coopération tant avec les nations africaines qu’avec les autres nations… » Retour sur la politique étrangère sous Lamizana avec Pr Issa Cissé, historien des relations internationales à l’université Joseph Ki-Zerbo.
Sur le plan théorique
Les traits de la politique étrangère du régime de Sangoulé Lamizana étaient visibles dans certains discours, comme le rappelle Issa Cissé, en mettant en évidence quelques-uns :
« Depuis cette période (1966) la Haute-Volta s’est avant tout préoccupée de prendre en main son propre destin. Elle a compris, après l’euphorie des premières années d’indépendance, que celle-ci n’est ni un repli romantique sur soi, ni un cri de protestation contre les colonisateurs et les nantis, ni une robe de parade sur les places publiques internationales, mais une conscience et une responsabilité exigeantes et dont le champ d’application est avant tout interne avant d’être externe : il faut en effet mettre en place un État moderne, forger une nation sur un substrat d’une Afrique tribale et créer les conditions essentielles pour le progrès et le développement. La souveraineté internationale n’aurait pas de sens si à l’intérieur, il n’y avait pas une conscience commune des exigences à la fois exaltantes mais ascétiques de l’indépendance nationale », affirmait Sangoulé Lamizana quelques jours après son arrivée au pouvoir.
Son ministre des Affaires étrangères en septembre 1967 à la tribune des Nations unies, clarifiait sa politique étrangère en ces termes : « l’aide apportée à la Haute-Volta par les nations amies est déterminante pour sa remontée économique (…) Dans son ascension économique, les épreuves que connaît la Haute-Volta contribuent tout logiquement et tout légitimement à tracer les sentiers de sa politique extérieure qui comporte : le réalisme avant tout, la politique du possible, d’où des décisions promptes en vue d’adopter toute notre diplomatie à la réalité nationale en la modelant à la mesure de notre responsabilité et de nos possibilités financières ; la nécessité d’éviter toute discrimination arbitraire dans la coopération tant avec les nations africaines qu’avec les autres nations… »
Sur le plan pratique
Concrètement, la politique étrangère sous Lamizana s’est déroulée de manière souple, compte tenu des réalités de la Haute Volta de l’époque et des exigences de son développement. Pr Issa Cissé explique cette souplesse et ce pragmatisme en ces termes : « Dans la pratique, la grande dépendance du Burkina de l’aide extérieure a incité le président Lamizana à la prudence et à la pondération dans les prises de positions sur la scène internationale. Cette dépendance a aussi été une motivation réelle qui entraîna le Burkina à s’ouvrir davantage vers d’autres horizons. S’agissant des attitudes souples du Burkina vis-à-vis des problèmes internationaux sous Lamizana, elles se sont révélées à plusieurs occasions :
Sur la question du dialogue, par exemple avec l’Union sud-africaine, le président Lamizana a adopté une attitude très habile : « Nous sommes en faveur du dialogue, dit-il, mais à certaines conditions. Il faut notamment que le dialogue se situe d’abord entre le gouvernement de l’Afrique du Sud et les Africains de ce pays. Nous sommes partisans du manifeste de Lusaka ; d’un autre côté, nous considérons que tous les points de vue doivent pouvoir s’exprimer ». Il respecte, ainsi les positions des pays comme la Côte-d’Ivoire qui désirent établir des contacts avec Pretoria, mais astucieusement, il pose des conditions que le régime raciste ne remplira pas de sitôt. En juin 1971, la délégation voltaïque se retire du Conseil ministériel de l’OUA à Addis-Abeba, en même temps que les délégations ivoirienne et gabonaise ; elle fait savoir qu’elle reprendra sa place après l’examen de la question litigieuse sur I’ouverture en direction de Pretoria. Le Burkina s’abstient donc dans le vote de la résolution condamnant le « dialogue ». Ce qui ne veut pas dire qu’elle transige sur les principes. « Nous avons toujours condamné le racisme et le colonialisme… »
Concernant les conséquences de la décolonisation du Sahara occidental, le Burkina a eu une attitude très prudente lors des votes des résolutions dans les instances internationales. A l’OUA tout comme à l’ONU, la position du Burkina vis-à-vis des problèmes sahraouis a varié très peu. Soit il se range du côté de la majorité, soit il s’abstient dans le contexte de choix jugé délicat.
Enfin, nous pouvons clore la série des exemples d’attitudes de prudence voltaïque sur la scène internationale avec le problème chinois. En effet, depuis 1964, le gouvernement de Formose envoie au Burkina ses techniciens pour aménager des zones rizicoles. Au regard de cette coopération, et lors du vote à l’assemblée générale de l’ONU concernant l’admission de la Chine populaire, à l’automne 1971, M. Joseph Conombo, le ministre des affaires étrangères, a adopté une attitude originale : « Nous allons voter, disait-il, pour le maintien de Formose à l’ONU, et ensuite nous ne nous opposerons pas à l’entrée de la Chine populaire. Il ajoute quelques jours plus tard : « À notre sens, cet isolement diplomatique d’un État de plus de 700 millions d’habitants est plus nuisible à la communauté internationale que bénéfique ».
L’apport de l’aide extérieure ainsi protégé par ces prises de positions équilibristes sur les problèmes internationaux a aussi été à l’origine de la multiplication des liens de Burkina sous Lamizana. Diversification des liens avec l’extérieur pris dans la tourmente des difficultés économiques, le régime de Lamizana a réduit le déficit budgétaire, en témoignent les chiffres suivants. Ce déficit, qui était en 1965 de 532 millions de FCFA, en 1966 de 160 millions, disparaît pour faire place à des excédents : 251 millions en 1967, 368 millions en 1968, 580 millions en 1969 et 738 en 1970.
En janvier 1969, les 2/3 de la dette envers le secteur privé étaient remboursés. Le redressement financier a eu pour conséquence la réduction des représentations diplomatiques, qui sont passées de 10 ambassades à 8. Malgré cette réduction, liée à la politique des moyens, on a enregistré une diversification des liens avec l’extérieur. II faut d’abord préciser que Lamizana a maintenu, voire amélioré, la politique du bon voisinage. Cette amélioration a été facilitée par un festival de coups d’État dans la sous-région donnant lieu à une sorte d’internationale des militaires : Togo 1967, Ghana 1967, Mali 1968, Niger 1974.
En outre, à la fin des années 1960, l’axe révolutionnaire avait disparu. Mais les liens privilégiés entre la Côte d’Ivoire et le régime déchu ont failli engendrer des malentendus durables. Néanmoins, des missions d’explications et la sortie de Lamizana consacrée à la Côte-d’Ivoire ont pu normaliser les relations entre Ouagadougou et Abidjan. Ce qui a également contribué à instaurer un climat d’entente au sein du Conseil de l’Entente.
Du côté du Mali, la sauvegarde du bon voisinage se lit à travers les allusions de Lamizana sur la profondeur des liens historiques et culturels avec ce pays lors de sa visite à Bamako : « Lorsqu’il a fallu trouver une frontière entre l’ancien Soudan et la Haute Volta (…) la tâche n’a pas été aisée pour le colonisateur, tant, il est vrai, que des deux côtés on retrouve les mêmes attitudes psychologiques ».
Les dirigeants ghanéens, quant à eux, ont même présenté leurs excuses à Lamizana pour les agissements antérieurs de N’Krumah. Le différend était d’ordre frontalier. Dorénavant, ils acceptent la frontière délimitée par le traité franco-britannique de 1890.
Ailleurs, dans l’ensemble, Lamizana a maintenu le climat de bonnes relations avec les pays occidentaux, surtout avec la France. Cependant, il a tenu à diversifier les liens en ouvrant le Burkina aux pays de l’Europe de l’Est dans un temps, ensuite au monde arabo-islamique. En février 1967, une délégation s’est rendue en URSS pour la 1ʳᵉ fois depuis l’indépendance et il a été décidé d’établir des relations diplomatiques entre les deux pays. Les ambassades sont échangées en 1969. La même année, les relations avec la Roumanie ont aussi vu le jour. En 1968, la Yougoslavie et le Burkina s’entendent pour resserrer leurs liens.
Toujours dans l’élan de diversification des liens avec l’extérieur, Lamizana a noué des relations avec les pays arabes de l’Afrique du Nord et ceux du Moyen-Orient. En Afrique, le Burkina a repris les relations avec l’Égypte en 1970, rompues dès 1961 ; elles ont été précédées par des accords de commerce signés en juin 1969. Quelques temps après le rétablissement des liens, L’Égypte a nommé un chargé d’affaires à Ouagadougou. Le Burkina à son tour n’en fait autant qu’en 1977. Le choix de l’Égypte pour l’ouverture d’une première ambassade dans le monde arabe, répondait à une double stratégie ; éviter les dépenses susceptibles d’être occasionnées par l’ouverture de plusieurs ambassades. L’Egypte, siège de la Ligue arabe (à l’époque), abritait beaucoup de missions diplomatiques, il était alors facile de toucher le plus grand nombre de pays à la fois.
Le Caire a donc été le premier pôle diplomatique choisi par le Burkina pour s’ouvrir vers les Émirats, le Kuweit et l’Arabie saoudite avant que les relations ne soient directes. Les liens avec L’Algérie et la Libye datent respectivement de 1973 et 1972. Ces deux pays, après l’Égypte de Nasser, accordent une place importante pour des raisons différentes à l’Afrique noire. Les motivations algériennes sont résumées par CHIKH en ces termes : « L’Afrique offre à une Algérie sortie victorieuse d’une longue lutte de libération nationale un terrain privilégié pour se présenter en modèle et jouer un rôle de moteur de conduite, au risque parfois d’irriter. C’est en effet à travers notamment sa politique africaine, que l’Algérie va se hisser au rang de pays leader et exercer une certaine influence sur la scène internationale. C’est l’Afrique qui constitue le principal terrain d’envol de sa stratégie tiers mondiste. »
C’est à l’ONU en 1967, à l’occasion d’un discours prononcé par Malik Zoromé, que le Burkina va retenir l’attention des Algériens. Et l’occasion de la préparation et le déroulement du 4ᵉ Sommet des non-alignés à Alger en 1973 a donné forme aux relations entre l’Algérie et le Burkina. En 1974, un conflit frontalier a éclaté entre le Mali et le Burkina. A cause de son rôle de médiateur, l’Algérie s’était rapprochée du Burkina. Les deux pays, par le biais de leur ministère de la Jeunesse organisent « un séminaire d’amitié algéro-voltaïque » en 1975 dans le but de consolider leurs relations. Au cours de la même année, ils signent un accord de coopération. Pour parachever leurs liens, I ’ambassadeur algérien résidant à Niamey fut accrédité auprès du Burkina en 1976. Et du côté burkinabè, son ambassadeur du Caire couvrait l’Algérie.
Quant à la Libye, ses déboires dans la recherche de l’unité avec ses frères arabes, et son dessein panislamique vont l’orienter vers L’Afrique noire.
De ce fait, c’est sur l’insistance de Kadhafi que Lamizana a effectué sa 1ʳᵉ visite en février 1972 à Tripoli, date à laquelle les relations entre la Libye et le Burkina vont s’établir. En l977, la Libye ouvre son ambassade à Ouagadougou. Mais l’image de la Libye dans la sous-région n’a pas permis au président Lamizana de consolider ses liens avec Kadhafi. Selon Mamadou Sanfo, à l’époque, la politique nationale et internationale était fortement influencée par le clergé. Hormis la Libye et l’Algérie, le Burkina entretenait des relations également en Afrique blanche avec le Maroc et la Mauritanie. Cependant, ces liens étaient insignifiants, si bien que très peu de documents font allusion à ces pays dans la politique arabe du Burkina en Afrique du Nord jusqu’en 1980.
Au Moyen-Orient, l’Arabie saoudite est le point central de la politique extérieure du Burkina dans les pays arabes du Golfe. Le pèlerinage du président Lamizana en 1974 a été une étape importante dans le processus d’établissement de ces liens avec les Saoudiens. En 1978, un agent des affaires étrangères a accompagné les pèlerins voltaïques à la Mecque.
Au cours de sa mission, il s’est entretenu avec la représentation diplomatique qui s’occupait des intérêts voltaïques en Arabie saoudite. Évoquant la teneur de l’entretien dans son rapport de mission, l’agent a souligné la nécessité pour le Burkina de resserrer les liens avec l’Arabie saoudite en ces termes : « Au cours de cet entretien (écrivait-il) l’ambassadeur (du Sénégal) et son 1ᵉʳ conseiller m’ont laissé entendre que nous gagnerons à ouvrir un consulat à Djedda afin de les décharger du travail que nous leur demandons (…) Les difficultés relatées chaque année, sont dues essentiellement au manque d’une représentation voltaïque en Arabie saoudite (…) L’ouverture d’un consulat ou d’une ambassade à Djeddah n’est pas seulement un service que nous rendons aux pèlerins et aux ressortissants voltaïques, mais une question d’honneur et de dignité » En février 1980, le Burkina ouvre alors une ambassade à Djedda après la nomination d’un chargé d’affaires le 6 septembre 1979 pour occuper le poste. Ce chargé d’affaires devait aussi s’occuper des autres pays du Golfe à partir de la juridiction de Djedda.
Au plan multilatéral, le Burkina a adhéré à l’OCI, à la coopération afro-arabe ainsi qu’à leurs organes subsidiaires. Après sa création en septembre 1969 à Rabat, le Burkina, malgré le mécontentement du clergé, a participé au 2ᵉ sommet de l’OCI de Lahore au Pakistan en 1974 ; il était ainsi devenu membre de l’organisation panislamique. Quant à la coopération afro-arabe, ses bases ont été édifiées par la rencontre des ministres des affaires étrangères de l’OUA et de la Ligue arabe à Dakar en avril 1976. Ensuite ce fut la 1ʳᵉ conférence au sommet des chefs d’États au Caire en mars 1977.
Le président Lamizana, à la tête de la délégation voltaïque, a lui-même participé à ce sommet du Caire qui a ainsi permis I’adhésion du pays. Retenons que l’engouement du pays sous Lamizana pour le monde arabo-islamique a eu pour fondement la dynamique continentale constatée au cours des années 1970 et le désir du pays de bénéficier des subsides financiers, comme lui-même nous le confiait en 1991. La plupart des liens ou leur consolidation se situent dans le sillage de l’offensive diplomatique des pays arabes à partir de la crise pétrolière de 1973 et au cours de l’institutionnalisation de la coopération afro-arabe en 1977.
Pr Issa Cissé est enseignant-chercheur au département d’Histoire et archéologie à l’université Joseph Ki-Zerbo
Wendkouni Bertrand Ouédraogo (collaborateur)
Référence
– ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL : BURKINA FASO EN AFRIQUE ET DANS LE MONDE Du23 au 25 novembre 2022 à l’Université Joseph KI-ZERBO, TOME 2, Presses Universitaire, P 14-30