Supposé retrait du Kenya de l’OMS : Il n’en est rien

Dans une vidéo de 1 minute 30 secondes largement relayée sur le réseau social Facebook et partagée dans plusieurs groupes WhatsApp, on voit un homme accuser l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’avoir, au cours d’une campagne de vaccination organisée en 2013 au Kenya, provoqué la stérilité de plusieurs enfants nés des femmes qui ont reçu le vaccin. Cette vidéo, qui date de mai 2024, a refait surface dans un contexte marqué par le retrait, le 21 janvier 2025, des États-Unis de l’OMS. Elle est brandie par beaucoup d’internautes comme la raison pour laquelle le Kenya a décidé de quitter l’OMS, parce que le pays ne fait plus confiance à l’institution. Mais il n’en est rien. À ce jour, aucune source officielle n’indique le retrait du Kenya de l’OMS.
L’homme qui s’exprime dans la vidéo est Dr Wahome Ngare, gynécologue obstétricien kenyan. La vidéo, qui suscite actuellement de nombreuses réactions, est une partie de son discours prononcé à l’occasion de la conférence interparlementaire africaine sur les valeurs familiales et la souveraineté tenue en mai 2024 à Entebbe, en Ouganda. À travers une capture d’écran de la vidéo et grâce à la recherche inversée d’images, nous avons pu l’identifier. Une recherche sur le réseau social Facebook nous a permis de retrouver sa page Facebook avec le nom de Dr Wahome Ngare, où il a partagé l’entièreté de son intervention longue de 10 minutes 2 secondes et qui a touché 1 207 personnes.
Dans la vidéo, Dr Wahome Ngare a affirmé que plusieurs vaccins, notamment ceux censés lutter contre le tétanos, le paludisme et le HPV, ont été conçus pour réduire la fécondité en Afrique. Il va plus loin en affirmant que dans son pays le Kenya, plusieurs jeunes couples visiblement bien portants, avaient des problèmes de conception. Cette situation, poursuit Dr Wahome Ngare, est consécutive au fait que durant la campagne de vaccination contre le tétanos néonatal chez les femmes en âge de procréer initiée en 2013 par le gouvernement kenyan avec l’appui de l’OMS, le vaccin utilisé avait été associé à une hormone afin de stériliser secrètement les enfants qui naitraient de ces femmes.
Il a aussi affirmé dans son discours que le vaccin contre le papilloma virus provoquait la stérilité chez les femmes. Selon lui, le frottis vaginal est plus efficace pour l’Afrique et pour la détection précoce du cancer. Dr Wahome a aussi soutenu que les vaccins contre le paludisme étaient utilisés pour réduire la population africaine. Il préconise des remèdes naturels à base d’artemisia, au lieu des vaccins contre le paludisme.
Dans la vidéo, Dr Wahome n’affirme à aucun moment que son pays quitte l’OMS. Il soutient toutefois au début de son allocution qu’il n’était plus possible de croire en l’OMS. Aucune source officielle kényane ne fait cas non plus d’un retrait du pays de l’OMS. Le site web du ministère de la Santé du Kenya que nous avons parcouru, ne mentionne nulle part ce supposé retrait.
Dans une publication faite le 31 janvier 2025, il a lui-même affirmé qu’il y avait une confusion quant à sa vidéo qui a refait surface.
« Il semble y avoir une confusion généralisée. Certaines personnes ne réalisent pas que bien que je sois kenyan. Mes remarques ont été adressées au président de l’Ouganda concernant le traité de la pandémie. J’aimerais vraiment que le Kenya se retire de l’Organisation mondiale de la santé mais je doute qu’un président africain ait le courage de faire une telle action audacieuse », a-t-il expliqué.

Des accusations balayées d’un revers de la main
Les propos tenus par Dr Wahome sont considérés comme de la désinformation. Au lendemain de la publication de la vidéo polémique, le ministère ougandais de la Santé (qui avait accueilli la conférence interparlementaire) a publié un communiqué pour se désolidariser des propos du médecin kenyan. « Nous prenons note de la désinformation générée par un manque de preuves scientifiques vérifiées, de la confusion et du trafic visant à détruire un programme de santé publique très précieux qui sauve des vies », peut-on lire dans un communiqué en date du 12 juin 2024 publiée sur les réseaux sociaux et dans les journaux ougandais.
En 2014, l’OMS avait déjà fait l’objet d’accusations de stérilisation de masse à la suite de cette campagne de vaccination contre le tétanos au Kenya. Dans une déclaration faite conjointement avec l’UNICEF, l’OMS avait affirmé que les allégations de stérilisation des femmes par ce vaccin ne sont étayées par aucune preuve et risquent d’avoir un impact négatif sur les programmes nationaux de vaccination des femmes et des enfants (déclaration).
« L’OMS et l’UNICEF confirment que les vaccins sont sûrs et qu’ils sont achetés auprès d’un fabricant présélectionné. Cette sécurité est garantie par un système mondial de tests à trois volets et le vaccin a été administré à plus de 130 millions de femmes avec au moins deux doses dans 52 pays », peut-on lire dans la déclaration.
Selon nos confrères de AFP Fact Check, des organisations scientifiques comme Médecins catholiques du monde entier (FIAMC), ont soutenu la campagne de vaccination de l’OMS incriminée par Dr Wahome. « Si les vaccins antitétaniques administrés à des millions de femmes dans de nombreux pays pouvaient provoquer la stérilité, il existerait suffisamment de données démographiques pour le confirmer. Nous n’avons pas connaissance de telles données », avait laissé entendre la FIAMC.
Armelle Ouédraogo
Lefaso.net